Les raisons mythanalytiques de M@gm@
Reste avec moi
« Dans ton dessin / Je me reflète / Je joue des tours / aux ombres / Je regarde au fond / tes yeux / et / de ton image reflétée / il ne reste que le souvenir. » (Maria Gemma Bonanno)
Les publications électroniques en libre accès ont grandement compté pour moi au fil des ans. Depuis 1995, lorsque je suis rentré en Sicile après une expérience universitaire de quatre ans à la Sorbonne, et plus tard, en 2002, lorsque j’ai fondé la revue M@gm@. Je ressentais le désir de chérir la langue française et de tirer profit de ce que j’avais appris à l’Université et de ce que j’avais envie d’imaginer pour moi : la recherche d’un accomplissement de soi-même étant complexe et sans doute n’étant pas de la simple accumulation d’apprentissages ou de connaissance pour se doter d’une nouvelle sagesse. Je me suis rapproché de la Francophonie et de son espace international en découvrant la richesse des ressources, des contacts et des relations qu’Internet pouvait me révéler.
À ma grande joie, je me suis lié d’amitié avec Jean-François Marcotte, qui réside toujours dans la province canadienne du Québec. Je ne le savais pas encore, mais cette amitié allait me faire vivre une première aventure inoubliable. L’Esprit Critique, que Jean-François venait juste de créer et de diriger, avait l’ambition de se penser comme une revue électronique en devenir. Un espace transdisciplinaire pouvant accueillir des auteurs, des étudiants, des chercheurs et des professionnels dans le domaine des sciences sociales, et diffuser leurs réflexions et analyses autour de la sociologie. Nous allions vivre l’expérience la plus intense et la plus décisive, devenant des acteurs à part entière dans le processus d’innovation des publications scientifiques. Une nouvelle génération de revues était déjà présente comme aspirant à transformer les méthodes de diffusion classiques tout en rénovant la conception de l’accès aux contenus publiés.
En plaisantant, je me qualifiais à l’époque de sociologue virtuel, par nécessité et par choix. Les diplômes universitaires étrangers n’avaient aucune valeur légale en Italie. Des procédures très longues et confuses pour les reconnaitre sur une base bilatérale entre les pays, ainsi que la question des équivalences, très complexe et onéreuse, entravaient ou empêchaient et, dans une certaine mesure, encore aujourd’hui, l’accès aux concours publics et au monde du travail. Cependant, j’ai choisi de demeurer en Sicile, pour des raisons d’histoire de vie et non pour des raisons de qualification professionnelle ou de carrière académique, concevant un rôle social et culturel du sociologue qui n’était pas aligné à des groupes élitistes, exclusifs et privilégiés, ou soumis à un familisme amoral, humiliante et mortifiante par l’asservissement intellectuel et politique de notre humanité. J’ai privilégié autant que possible la France pour ma formation universitaire, un doctorat en sociologie à l’Université Paul Valéry en 2012. Revendiquant et réaffirmant la liberté de circulation des savoirs et des personnes dans une vision émancipatrice et internationale d’une Union européenne aveuglée par la libre circulation des capitaux et des marchandises.
À côté de cette réalité italienne, je vivais une expérience relevant de même d’une expérimentation militante, d’une profession de foi pour le libre accès, et de l’espace potentiellement prometteur d’une communauté francophone. La collaboration à distance, c’était un lieu d’apprentissage, un lieu d’exercice de compétences et un lieu de vie. Motivé à apprendre et à maîtriser l’HTML, le langage de marquage pour les hypertextes que je continue à privilégier ou à ne pas l’abandonner complètement en souvenir de cette période bienheureuse, je me suis confronté au nouveau modèle éditorial qui prenait forme. Avec la collaboration entre pairs, l’organisation à distance du travail éditorial et une pratique concrète en mesure de conjuguer la publication périodique, la recherche sociale et le libre accès gratuit associé à des licences libres sans négliger les droits des auteurs. C’était une expérience qui m’a incité à penser ou repenser une communauté de pratique indépendante et une rédaction affranchie de la contrainte financière et institutionnelle pour éditer librement et éthiquement. De nombreux autres projets d’édition voyaient le jour dans différents domaines scientifiques, mais ne négligez pas la disparition d’innombrables revues électroniques. La survie des revues nées dans ce contexte est désormais donnée par la capacité d’archiver et de sauvegarder les contenus publiés pour préserver sur le long terme un patrimoine immatériel scientifique et culturel. C’est l’enjeu majeur pour toute expérience de publication soutenant un espace d’autonomie et légitimité dans la recherche sociale et culturelle, tout en modifiant la ligne de démarcation entre experts, producteurs de connaissance et éditeurs-lecteurs, consommateurs du produit éditorial. La logique et la structure institutionnalisée des éditeurs conventionnels ont depuis été bouleversées à jamais.
La revue M@gm@ a été ma seconde aventure dans le mouvement du libre accès. Depuis sa création, cette publication s’est alignée sur l’Initiative de Budapest pour le libre accès. La Budapest Open Access Initiative, une réunion convoquée en 2001 par l’Open society maintenant Open Society Foundation, ayant pour objet la mise en valeur des revues en accès gratuit et sans restriction ni abonnements après leur diffusion. La déclaration qui énonce les lignes directrices pour rendre la recherche librement accessible et disponible à toute personne ayant accès à Internet a également fêté ses 20 ans. Le vingtième anniversaire du Directory of Open Access Journals, DOAJ, est aussi révélateur. L’index unique et exhaustif de plusieurs revues en libre accès du monde entier, dont la revue M@gm@, représente une communauté grandissante qui s’engage à garantir qu’un contenu de qualité soit en accès libre en ligne pour tous. Voici une conjonction d’anniversaires significatifs qui pourraient s’avérer une occasion propice pour évaluer la portée du libre accès aujourd’hui et son avenir. M@gm@, avec ses vingt ans d’expérience éditoriale, se retrouve sans aucun doute dans les mots-clés et les thèmes qui ont caractérisé les événements organisés à l’occasion de l’anniversaire du DOAJ : accès libre, globalité, fiabilité. À partir de ce moment, une nouvelle génération de revues en libre accès, faisant le choix de l’Open Access, va se confronter à l’enjeu de bâtir un modèle fiable de publications scientifiques.
Et, nous voilà, à nouveau, confrontés au marché des éditions scientifiques. Nous avons voulu échapper au monopole de certains groupes d’éditions en sachant que l’accès libre à la littérature scientifique et aux revues évaluées par les pairs n’était pas gratuit. Mais, comment assurer la charge financière des bonnes pratiques ? L’archivage à long terme des contenus publiés et déposés en externe, la mise en œuvre et la gestion des métadonnées reliant les auteurs, les articles et les contenus, voici quelques exemples pertinents pour assurer une diffusion la plus large possible et une intégration avec les systèmes bibliométriques d’évaluation de la recherche. Dans un marché quasi monopolisé de services offerts, les éditeurs commerciaux perçoivent la plupart des revenus consacrés à l’accès libre. Les éditeurs à but non lucratif doivent se débrouiller pour assurer les bonnes pratiques citées plus haut, ainsi que la gestion de celles-ci, offerte à des coûts exorbitants. En raison des coûts et des redevances que les éditeurs commerciaux imposent aux éditeurs en matière de conservation et d’accessibilité des contenus dans le temps, il est nécessaire de bouleverser le système actuel pour créer des métadonnées libres et durables pour qu’un plus grand nombre de publications soit aisément identifiables et leurs ressources exploitables à long terme. Les réseaux de partage et de collaboration dans les sciences humaines et sociales représentent et vont représenter des communautés de pratiques qui contrecarrent le risque d’imposer des conditions commerciales ou politiques à des connaissances qui sont au contraire un bien commun.
Mais, quelle est l’histoire de la revue M@gm@ ? Au début de l’année 2002, j’allais créer un portail sur les approches qualitatives en sciences humaines et sociales, un point d’accès sur Internet proposant une sélection de ressources par domaine thématique disponible dans le cyberespace. Le Portail d’Analyse Qualitative a été développé comme un outil potentiel d’informations et d’analyses approfondies, un guide en constante évolution concernant les ressources et les outils auxquels peuvent accéder les navigateurs intéressés ou intrigués par l’approche qualitative. L’intérêt pour les approches qualitatives a été un autre élément important dans la naissance de la revue, car ces dernières allaient réintégrer la multiplicité de l’expérience humaine et sociale dans l’analyse et les pratiques sociologiques. Ainsi, avec la volonté d’adhérer et de soutenir une politique éditoriale d’accès libre, animé par l’esprit anticonformiste et non conventionnel qui orientait mes démarches vis-à-vis de la vie sociale et de la sociologie, la revue M@gm@ allait faire entendre ses premiers vagissements avant la fin de l’année 2002.
Les contributeurs des premiers numéros de la revue M@gm@ et les lecteurs fidèles se souviendront probablement du site web, qui était à l’origine un portail, aujourd’hui devenu un instrument de communication des projets et des activités de la revue et de ses partenaires. Il a été nécessaire ensuite de constituer juridiquement, en 2007, une association culturelle scientifique sans but lucratif, l’Observatoire des Processus de Communication, prenant en charge les éditions de M@gm@. Plus de six cents auteurs ont publié leurs contributions dans soixante-neuf numéros de la revue, publiés dans les vingt-et-un volumes présents à ce jour dans nos archives, indexés par DOAJ et répertoriés par un sujet extérieur tel qu’Internet Archive, une bibliothèque numérique proposant un accès universel et gratuit aux livres. Je me souviens comme si c’était hier quand je suis allé au greffe du Parquet de Catane, pour enregistrer l’en-tête de la revue et lancer les procédures requises pour une publication électronique : obtenir un numéro ISSN, International Standard Serial Number, identifiant la publication périodique, m’inscrire à l’Ordre des journalistes de la Sicile en qualité de directeur responsable pour assumer la paternité des publications à garantie juridique de ces dernières. Depuis lors, j’ai soutenu et accompagné cette petite fille qui m’a rendu responsable envers une communauté scientifique internationale en langue italienne, francophone et espagnole, enrichissant avec des collaborations spécialisées dans le domaine des sciences humaines et sociales un patrimoine de connaissances offertes à nos lectrices et nos lecteurs, ainsi qu’un public de professionnels et chercheurs, enseignants et étudiants, universités et instituts de recherche, travailleurs sociaux et culturels.
L’employée de la chancellerie me demandait avec curiosité. « M@gm@. Mais qui êtes-vous ? Des volcanologues ? » Pour quelles raisons avais-je choisi ce nom de baptême ? Je doute que la dame ait compris le sens de ce choix. De nombreuses raisons, parfois inavouables, m’ont conduit à devenir le père de M@gm@. J’ai perdu mon père, François, dans mon adolescence, quand il était encore un jeune homme. J’ai aussi vécu un autre deuil dévastateur lorsque j’ai perdu mon fils, Emiliano, dans ses premiers mois de vie. Je ne peux pas cacher à moi-même la portée de ces chagrins qui m’ont marqué et qui ont façonné ma vie de manière significative. Les arobases dupliquées dans le titre me fascinaient et soutenaient mon désir de préserver et de soutenir une croissance humaine et spirituelle, en compensant une introversion morbide et un détachement de la vie. Et puis, comment éviter d’aller avec la pensée, depuis les pieds de l’Etna où se trouve la rédaction de la revue, au magma du volcan ? Un magma, compris comme un ensemble chaotique et indistinct, une réalité en mouvement constant, est l’image symbolique d’un monde difficile à comprendre. Il est nécessaire d’adopter des perspectives hétérogènes pour l’interpréter lorsque la complexité sociale, caractérisée par des processus culturels qui se présentent comme des occurrences et des formes émergentes, sont liées à la temporalité de la société contemporaine. Depuis sa naissance, la revue M@gm@ nous a permis de considérer la nature magmatique de l’être humain en examinant les simplifications et les homogénéisations que nous utilisons pour élucider et rendre cohérentes les relations et manifestations multiples des mondes sociaux créés et vécus par les femmes et les hommes. Nous avons cheminé depuis, numéro après numéro, le long des racines de l’institution de la société et des significations qui la guident, explorant la tendance de l’être, du vivant, à constituer son propre monde organisé en le fondant sur des principes d’universalité et d’ordre.
J’avais accueilli en son temps, avec reconnaissance et affection, les vœux et les souhaits de Georges Bertin, directeur exécutif d’Esprit Critique, comme signes qui prédisaient une longue et riche vie à M@gm@. Nous allions œuvrer dans la mise au jour du magma constitutif de l’imaginaire social contemporain, dans sa capacité de renouvellement, sondant une troisième voie pour accéder à l’expérience sociale et la comprendre par ses dimensions mythiques et sacrées, sociales et historiques de l’action et de la pensée. Ma chère M@gm@, les échanges et les collaborations, les rencontres et les relations que nous avons eues au fil du temps, certaines d’entre elles sont devenues des amitiés et nous ont accompagné dans une quête commune. Rendre manifestes les connaissances que les disciplines nous permettent d’élaborer en transcendant les savoirs différents et diversifiés générés, pour les connecter et soumettre dans une relation dialogique la théorie à l’expérience, les connaissances théoriques à la recherche empirique éclairant un changement réciproque. La maladie nous a éloignés, et sans aucune chance de relancer et de raviver notre relation amicale, la mort de Georges nous a empêchés de nous retrouver. Nous nous sommes rencontrés seulement deux fois au cours de plus de douze ans, en nous connectant plus souvent par courrier électronique. Une expérience enrichissante, où nous avons eu l’occasion de nous confronter et de développer des projets éditoriaux en commun, mais aussi difficile. Je suis un malade chronique, j’ai vécu avec ma maladie toute ma vie. Je comprends ainsi combien il est compliqué et dramatique de prendre soin de soi-même et de nos relations amicales lorsque nous sommes dans une condition avilissante. L’amitié réclame de la patience, de l’attente, et pourtant, la perte d’une relation, comme vous l’aurez compris, est pour moi une montagne insurmontable.
J’imaginais une longue vie pour toi, ma chère M@gm@ ? Je ne peux pas le nier. Je ne peux pas nier l’aspiration à créer quelque chose d’important, de significatif. Cependant, je ne m’étais pas borné sur la mort et la disparition des personnes avec lesquelles je pouvais me lier. Ma pensée revient ainsi à Lucio Luison, Félix Ernesto Chávez et Maria Immacolata Macioti. Nous avons rêvé avec Lucio, sociologue dans le secteur de la santé publique, d’une catégorie professionnelle aussi hétérogène que celle du sociologue qui ne soit pas seulement une vocation, que l’on puisse vivre pour la sociologie, mais aussi que les jeunes générations puissent vivre de sociologie. Nous nous méfions toutefois des exigences de la légitimation scientifique qui a contribué, à juste titre, à l’abandon des confusions analytiques et méthodologiques, mais qui a dispersé les intentions participatives et le désir de lier la recherche sociale à l’engagement civique. Cependant, vivre de sociologie ne peut pas augmenter sa valeur pratique au détriment de sa valeur de guide de vie. Je n’ai pas eu la possibilité de faire la connaissance du jeune et talentueux Félix Ernesto, qui disparaît à l’âge de 34 ans, et nous lui sommes reconnaissants d’avoir fait un petit bout de chemin avec nous. Je chéris avec affection et amitié le souvenir de Maria Immacolata Macioti, récemment décédée, avec qui nous avons partagé des émotions et des passions, des projets et des événements. Lorsque nous avons célébré ensemble le premier grand jalon de la revue M@gm@, ses dix premières années, nous nous sommes retrouvés pour lier les thématiques qui nous sont chères, la mémoire et l’approche biographique, l’écriture autobiographique et l’imaginaire. Un partage d’idées qui a permis une grande diversité d’événements publics, de conférences et de séminaires entre Catane et Rome, ainsi que des numéros monographiques consacrés à ces sujets. Maria Immacolata a été une digne amie et une excellente compagne de M@gm@. C’était une attention révélatrice pour tous les protagonistes les plus humbles de la société qui nous a rapprochés, celles et ceux que nous côtoyons au quotidien et qui font les frais des erreurs des plus riches, des plus puissants de leur temps. Et, surtout, la conviction inconditionnelle de l’importance d’une approche interdisciplinaire et transdisciplinaire, pénalisées au même titre que l’approche qualitative par ceux qui ont ancré leurs certitudes disciplinaires dans les rigides schématismes académiques et ils ont peur de se tromper de champ, de prendre parti pour ou contre.
La revue M@gm@ a également connu une vie imprimée, avec une série de cahiers monographiques, dix numéros publiés de 2007 à 2019 par la maison d’édition Aracne de Rome. Cette nouvelle version des cahiers est l’occasion de célébrer le vingtième anniversaire de la revue. Nous vous proposerons des publications gratuites et en libre accès aux formats PDF et ePub, des livres électroniques, des eBooks dont le premier, celui-ci, rassemble une sélection de courts messages de vœux reçus par la rédaction et un aperçu de témoignages et d’écrits envoyés ces derniers mois. Vous allez lire, dans l’ordre où elles se présentent, les communications d’Hervé Fischer, Mabel Franzone, Vito Antonio D’Armento, AnnaMaria Calore, Augusto Debernardi, Nicole Saliba-Chalhoub, Jawad Mejjad, Maria Francesca Carnea, Bernard Troude, Luc Dellisse, Chistian Gatard, Rod Summers et Ruggero Maggi. Les deux dernières, celles de Georges Bertin et Maria Immacolata Macioti, ont été publiées précédemment dans les numéros périodiques de la revue. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers chaque personne mentionnée et à remercier toutes et tous ceux qui m’ont fait parvenir leurs vœux et leurs messages, et continuent de le faire encore aujourd’hui. Leurs textes nous racontent de la rencontre à distance, celle entretenue par les nouvelles technologies, d’un échange sensible, d’affinités culturelles et intellectuelles devenues des rencontres face à face. Ainsi, je souhaite vivement que cela soit possible avec tous les contributeurs et amis engagés dans la vie de la rédaction. Les nombreuses rencontres que nous avons eues en présence ont inspiré et encouragé chacun d’entre nous, moi-même, les autres contributeurs, les lecteurs, à embrasser la nécessité et le bon sens de la logique magmatique de la revue.
L’image de l’ « Effet M@gm@ », tel qu’il a été décrit par Vito Antonio D’Armento, me récompense en tant que directeur scientifique, pour les efforts déployés dans le projet éditorial et pour le travail bénévole et l’engagement prodigués pendant les vingt dernières années. Cela me permet de ne pas oublier le logo accompagnant le titre de la revue, celui que vous trouvez sur la couverture de ce livre, qui a conquis la scène internationale de la sociologie et des sciences humaines et sociales. Notre logo représente un détail stylisé des représentations pariétales gravées dans les grottes de l’Addaura au pied du Monte Pellegrino à Palerme. Dans la continuité de l’héritage spirituel des cultures archaïques des communautés tribales, représentant leurs corps pour rendre le monde et le cosmos proches et familiers, les femmes et les hommes continuent de représenter leurs corps pour les rendre à nouveau présents à eux-mêmes et au monde. Je tiens tout particulièrement à remercier mon ami Vito Antonio qui, dès la première rencontre, a su apprécier et reconnaître la valeur du projet éditorial et M@gm@ elle-même en tant que revue dialoguante, avec un goût pour la réflexion et le questionnement radical et pour la connaissance comme pratique. À cet égard, je le remercie du fond de mon cœur pour ses paroles bienveillantes exprimées lors d’une présentation de mon autobiographie, « Avec un cœur imprescriptible : journal d’un déserteur », dans la salle de conférence du Manoir construit par Frédéric II de Souabe à Catane, et à ce que je venais de confier à ces pages que j’aurai bientôt le plaisir d’offrir à la lecture également en français.
Avant d’être un sociologue je suis un jeune déserteur du service militaire, un ex-détenu et exilé, qui se prend soin de l’état d’esprit de l’adulte, le chérissant comme un bien précieux. Je suis un adulte soigné et élevé par un jeune déserteur, réticent à devenir une personne mûre comme il se doit, incapable de poursuivre le mythe d’une maturité créée et encouragée par des adultes pour les adultes. L’homme d’aujourd’hui a été généré, par ce jeune déserteur, à une vie nouvelle, créative et responsable. Tout comme il y a des femmes et des hommes qui nous font repenser à ce que nous pouvons être, j’espère que M@gm@ soit aussi notre alter ego. Nous pouvons être persuadés que certaines choses que nous échangeons soient la vérité. Cependant, une théorie n’est pas quelque chose qui sert à embellir et à gonfler l’orgueil de ceux qui ont le droit de décrire cette vérité. Il faut autant de revues non conventionnelles comme M@gm@, pas pour désenchanter des illusions et révéler des vérités, mais pour redonner un sens aux utopies et aux mythes comme des récits et des pratiques qui ouvrent des possibilités et recherchent de nouvelles voies de réalisation.
La fascination exercée par ces chainons d’images a encouragé cet homme de l’Etna à envisager l’intervention professionnelle, la recherche sociale et la formation, l’analyse et l’intervention dans les contextes sociaux et culturels, en tant qu’observation, interprétation critique et changement participé de la vie quotidienne. La revue allait nous aider à comprendre cette mystérieuse alchimie. Faire appel aux histoires de vie, aux imaginaires sociaux et radicaux institués et instituants, conscients des contraintes structurant le champ de la recherche. L’ampleur de la qualité, des approches et des méthodologies qualitatives privilégiées par M@gm@, n’a fait que révéler des zones de fracture. Ces failles sont nécessaires aux innombrables hésitations et choix des seuils à franchir pour remettre en question la définition formelle des critères de validité des connaissances. Pour assumer les contradictions existantes en reconnaissant le pouvoir que l’on s’attribue ou que l’on nous attribue pour expérimenter et appréhender la vie sociale et la liberté de s’en servir, afin de reconnaître le non-savoir dans la pratique inconfortable du dépassement de la connaissance. Nous partageons ce sentiment avec les associés et fidèles amis de M@gm@ et je souscris de tout mon cœur les propos d’Augusto Debernardi, avec lequel nous rapprochent nos tentatives mutuelles de concilier ce qui semble inconciliable dans la recherche d’une promesse de renouveau social : la distance de notre commun parcours avec la revue est égale à la distance entre Trieste et Catane. La distance totale est ainsi égale à celle qui sépare de la Sicile, le Québec et l’Argentine (Hervé Fischer, Mabel Franzone), le Liban et la France (Nicole Saliba-Chalhoub, Jawad Mejjad, Bernard Troude, Chistian Gatard), la Belgique et la Hollande (Luc Dellisse, Rod Summers), Turin et Rome (Ruggero Maggi, AnnaMaria Calore), Lecce e Crotone (Vito Antonio D’Armento, Maria Francesca Carnea).
Nous nous sommes retrouvés plus souvent que je ne l’avais espéré sur les pentes de l’Etna en Sicile. La fonction première des îles est de connaître le bonheur et la vision de l’infini à portée de main. Notre ami Luc Dellisse ne pouvait mieux exprimer et partager, sur la côte sicilienne, face aux rochers que le géant Polyphème lança sur les navires d’Ulysse, ces énergies et ces héritages poétiques qui font récit, étayant nos difficultés d’être présents à nous-mêmes et au monde. L’élan de M@gm@ est qualitativement appréciable par les formules des esprits magmatiques et insulaires des amis rencontrés dans l’île. Nous avons pu réfléchir à la possibilité d’explorer notre futur, tout en considérant, avec Christian Gatard depuis le Palais de la Culture de Catane, comment nous sommes tous en train de découvrir ces éléments dans notre vie quotidienne afin de déchiffrer un avenir qui est déjà présent. Tout cela représente la possibilité de partager avec M@gm@ et ses lecteurs la vocation de réenchanter le monde. Ainsi, je demande à moi-même et à la revue : « Quel est ton mythe Orazio Maria ? », « Quel est ton mythe M@gm@ ? ».
Je suis moi aussi reconnaissant à Mabel Franzone pour avoir éprouvé, assis sur les anciennes marches du théâtre grec de Taormine, contemplant avec elle le profil de l’Etna qui domine l’île et nous lie pour toujours, cette gratitude qui provoque une expansion de cœur. Elle m’a demandé pour la première fois dans quel mythe je me reconnaissais. « Ulysse », j’allais répondre. Comme pour Ulysse, c’est l’esprit féminin de M@gm@ qui m’a aidé à arriver à moi-même. Cet esprit est incarné en même temps par une amie délicate et sensible telle que Mabel, par les vers de ma mère, la poétesse Maria Gemma Bonanno, qui m’ont accompagné et soutenu, et par l’amour et l’indulgence de ma femme, Maria Crivelli, avec laquelle nous avons partagé des nuits blanches pour suivre la gestion technique et administrative de la revue. Le fil rouge féminin de mon expérience m’a aidé à me compléter en tant que personne et chercheur indépendant. J’ai choisi mon camp. J’ai choisi le pouvoir de l’amour contre l’exercice du pouvoir basé sur l’intérêt et l’oppression, l’avidité et le profit, dans la sphère privée et publique. J’ai choisi de privilégier l’écriture pour s’éveiller à nos désirs et à nos besoins, à ces valeurs humaines dont témoigne le respect de l’unité de mesure qu’est l’amour.
Ces derniers mots, je souhaite les dédier à Hervé Fischer. J’ignore s’il sera encore possible de nous rencontrer à nouveau. Je garde le souvenir de notre étreinte affectueuse dans l’ancien Monastère Bénédictin, dans l’amphithéâtre de l’Université de Catane, quand nous avons organisé une conférence internationale sur la mythanalyse de l’insularité. Nos démarches conceptuelles ont été réunies et se complètent sur la base des mêmes valeurs. Régénérer nous-mêmes pour changer le monde, ce qui converge vers le même mythe transformateur du monde et de nous-mêmes. Le magma du monde, étant la matière première de l’écriture de la revue, a ses raisons dans la mythanalyse qu’Hervé Fischer et moi-même explorons en compagnie des autrices et des auteurs appelés à collaborer. Nous sommes tous des « fischeriens » créatifs et laborieux, mon cher ami, quand nous choisissons de parcourir lentement et consciemment un bout de route avec M@gm@. Quand nous partageons la nécessité d’agir avec éthique, de distinguer les fabulations porteuses d’espoir collectif des hallucinations toxiques pour notre humanité, de choisir les fabulations bénéfiques et de s’émanciper des fabulations néfastes qui génèrent de la souffrance humaine. L’Odyssée d’Ulysse dans le chaos du monde est devenue pour moi une quête, la recherche d’une sérénité magique de l’amour dans l’écriture autobiographique. Il est important d’accueillir un changement d’état d’esprit et de pensée qui requiert la participation sensible et la fraternité des femmes et des hommes.
Joyeux anniversaire M@gm@. Puisses-tu rendre possible un chemin de maturité émotionnelle et humaine.
Orazio Maria Valastro (Fondateur et directeur scientifique de M@GM@)
Vingt Ans de M@gm@
Orazio Maria Valastro (dir.)
Les Cahiers de M@gm@
Isbn: 978-88-947742-0-7
Anno pubblicazione: 2024
Prezzo: 0,00 euro
Pagine: 115
Formato: eBook ePub Pdf