IMG-LOGO
M@gm@ Rivista Internazionale di Scienze Umane e Sociali Motore di Ricerca interno Rivista Internazionale di Scienze Umane e Sociali
Donner : cet acte devenu une ambiguïté sociale / Sous la direction de Bernard Troude / Vol.22 N.2 2024

Don et solidarité, un soutien mutuel de coopération

DOI: 10.17613/5bhcw-xjw76

Youssef Alaoui

magma@analisiqualitativa.com

Faculté des lettres et sciences humaine Sais/Fes 2023/2024 Master en sociologie de l’économie sociale et solidaire. Faculté des lettres et sciences humaines Meknes 2021 License en sociologie. Fonctionnaire Province de Midelt. Formateur Life skills. Formateur « Education par les pairs » Y-PEER Morocco.

 

Abstract

L’article aborde le concept du geste de donner comme un élément fondamental de la solidarité au sein des communautés, mettant en lumière le rôle crucial des coopératives dans la promotion de l’entraide et du soutien mutuel. Le don est présenté non seulement comme un acte de générosité, mais aussi comme une obligation morale, créant des liens de confiance et de réciprocité qui renforcent la cohésion sociale. En intégrant le don dans des actions solidaires, la solidarité se manifeste sous forme d’engagement collectif pour promouvoir le bien-être commun. Les pratiques de don, en tant que dynamiques évolutives, révèlent l’importance de cultiver une culture du don et d’encourager des relations interpersonnelles basées sur la coopération. En outre, l’article évoque les initiatives de figures locales, comme Sœur Geneviève Prat, qui ont contribué au développement social et à l’assistance des plus vulnérables. Ce cadre souligne que le don joue également un rôle économique en facilitant la redistribution des ressources et en combattant les inégalités sociales.

 

IMG

Whisk ferns - Fukami, Gyokuseidō, and Kanga Ishikawa. Seisen Matsuranfu : shokoku bonsai shashin. Mikawa: Gyokuseidō zōhan, 1837.

Concepts évolutifs, réponse aux changements sociaux et politiques

Le don, en tant qu’acte fondateur de la solidarité, va au-delà de la simple générosité ; il est un véritable ciment social qui unit les individus au sein de leurs communautés. En agissant en synergie, les membres des coopératives de Midelt montrent que donner n’est pas seulement une question de ressources matérielles, mais aussi un acte symbolique qui témoigne d’un engagement collectif envers le bien-être de tous. Dans cette optique, le geste de donner s’inscrit dans une dynamique de réciprocité et de confiance, essentielle à la construction de liens sociaux durables. Ainsi, chaque action de don contribue non seulement à l’assistance immédiate, mais renforce également la résilience des communautés face aux défis contemporains.

Cette approche met en lumière l’importance de produire une culture du don, où chaque contribution, quelle qu’en soit la taille, devient un vecteur de solidarité et un pas vers un avenir plus justes et équitable.

Le geste de donner est bien plus qu’un simple échange de biens ou de services. Il représente une dynamique profondément ancrée dans les relations interpersonnelles et la structure sociale. Le don est intrinsèquement lié à des obligations sociales et à une solidarité qui unissent les individus à travers des réseaux de relations [1]. Ce point de vue souligne que le don crée un tissu social reliant les membres d’une communauté, rendant ainsi le geste de donner essentiel à la cohésion de celle-ci. Dans de nombreuses sociétés, le don n’est pas seulement un acte généreux, mais une obligation morale qui appelle un retour, ce qui renforce la confiance et le respect mutuel. Cette réciprocité, souvent implicite, assure la continuité des relations sociales et le maintien de l’harmonie au sein de la communauté [2].

De cette manière, le concept de don s’étend naturellement à celui de solidarité. La solidarité, en effet, repose sur l’idée de soutien mutuel et de coopération au sein d’une communauté. Elle va au-delà du simple acte de donner pour inclure un engagement collectif à aider les plus vulnérables et à promouvoir le bien-être commun. En intégrant le don dans des actions solidaires, nous renforçons les liens sociaux et contribuons à une société plus juste et équitable [3].

La solidarité, en tant que valeur fondamentale, repose sur l’entraide et le soutien mutuel au sein d’une communauté. Elle va au-delà du simple acte de donner, en englobant un engagement collectif à promouvoir le bien-être commun. Le don, quant à lui, est souvent le premier geste de cette solidarité, créant des liens de confiance et de réciprocité entre les individus. En intégrant ces deux concepts, nous voyons émerger des structures comme les coopératives de solidarité. Ces coopératives, regroupent divers types de membres – usagers, travailleurs et membres de soutien – qui collaborent pour répondre à des besoins économiques, sociaux ou culturels communsElles incarnent parfaitement l’esprit de solidarité en permettant à chacun de contribuer activement au développement de la communauté, tout en bénéficiant des ressources et du soutien collectif [4].

La solidarité et le don apparaissent souvent comme des concepts évolutifs, se transformant en réponse aux changements sociaux et politiques. Une analyse de la structure interne des coopératives révèle qu’elles doivent naviguer entre l’autonomie et la dépendance, ce qui peut affecter leurs capacités de don. Les coopératives qui parviennent à équilibrer ces deux aspects sont généralement mieux équipées pour répondre aux besoins de leurs membres et pour maintenir une dynamique de don et de solidarité. Ainsi, le geste de donner peut être interprété non seulement comme un acte individuel de générosité, mais aussi comme une réponse collective à des défis sociaux et politiques. Cette perspective met en lumière l’importance de la structure organisationnelle et de la gouvernance des coopératives dans la promotion d’une culture de don durable et authentique [5].

En explorant la dimension politique des coopératives, il est également important de noter comment la dépendance envers des acteurs politiques peut influencer ces gestes de solidarité. Les coopératives qui réussissent à maintenir leur autonomie et à s’organiser autour des besoins de leurs membres sont souvent plus résilientes et capables de donner de manière efficace. En revanche, lorsque ces entités deviennent trop dépendantes des partis politiques, leurs actions peuvent se retrouver compromises, limitant ainsi leur capacité à agir pour le bien de tous. Cette dépendance peut entraîner une instrumentalisation des coopératives à des fins politiques, détournant ainsi leur mission première de solidarité et de soutien mutuel. Cela soulève des questions fascinantes sur la nature du don dans un contexte où les motivations peuvent être teintées par des intérêts politiques, remettant en question l’authenticité et la spontanéité des gestes de solidarité.

Une approche théorique de la solidarité

A - La solidarité comme une fabrique d’une identité de groupe

Les moyens de contrôle de la société varient, selon le contexte historique de chaque société. Le concept de solidarité reste parmi ces moyens les plus marquants adoptés par la société pour contrôler le lien social. Depuis la sociologie durkheimienne, le concept de solidarité a fait l’objet de critiques et d’études. Ses premières indications commencent avec les écrits de Durkheim dans sa théorie de la solidarité sociale. Durkheim relie le concept de solidarité à la norme sociale à travers son analyse de la manière dont les sociétés se tiennent ensemble et s’organisent. Durkheim distingue deux types de solidarité : la solidarité mécanique et la solidarité organique. La solidarité mécanique prévaut dans les sociétés primitives où les individus partagent les mêmes valeurs et croyances, ce qui conduit à une forte cohésion sociale fondée sur la similitude entre les individus. Dans ces sociétés, les normes sociales sont claires et partagées, et agissent comme une force de cohésion qui lie les individus entre eux[6]. Quant à la solidarité organique, elle apparaît dans les sociétés modernes complexes, où les individus se spécialisent dans des rôles différents, conduisant à leur dépendance mutuelle. Ici, les normes sociales deviennent plus diverses et plus complexes, et la solidarité des individus découle de leur besoin les uns des autres pour remplir diverses fonctions sociétales[7]. Ainsi, Durkheim estime que les normes sociales jouent un rôle central dans la réalisation de la solidarité entre les individus, que ce soit par la similitude et la ressemblance dans les sociétés primitives ou par la spécialisation et l’interdépendance dans les sociétés modernes. D’où la solidarité sociale résulte de la manière dont les normes sociales régulent les relations entre les individus et maintiennent la cohésion de la société.

Marcel Mauss a donné l’importance à ce concept pour bien comprendre le rapport entre la solidarité et le lien social. À travers ses études sur le don et l’échange dans différentes sociétés et dans son célèbre livre Essai sur le don, Mauss explore la notion de don comme l’un des fondements fondamentaux de la solidarité sociale dans les sociétés tribales et traditionnelles[8]. Mauss considère que le don n’est pas seulement un échange économique, mais plutôt l’expression de relations sociales et d’obligations mutuelles qui lient les individus et les groupes. Ces engagements créent un réseau de relations mutuelles qui renforcent la solidarité et la cohésion sociale. Ce système d’échange est important car il montre comment les transactions sociales peuvent être fondées sur la confiance et le respect mutuel, et pas seulement sur l’intérêt personnel. Ce qui montre que Les coopératives jouent un rôle important dans le renforcement des liens sociaux en favorisant la solidarité et l’interdépendance entre leurs membres. Et par la suite ce type des organisations facilite la création d’une masse d’individus cohérente avec des normes sociales bien déterminées. Cette masse peut renforcer le lien social en unissant les individus autour d’une cause commune ou d’un objectif spécifique. Cette masse peut créer un sentiment de solidarité entre les individus, qui conduit à des liens sociaux plus forts qui facilitent la création d’une identité collective lorsque les individus se rassemblent en travail collectif. Cette solidarité peut développer un sentiment d’identité de groupe qui renforce l’appartenance sociale. Elle offre des opportunités d’interaction sociale dans d’autre champs tel que le politique, ce qui contribue à établir de nouvelles relations et par conséquence ces organisation avec ce type de solidarité peut créer des nouvelles normes qu’elles vont influencer l’opinion publique et peuvent stimuler le changement social, en renforçant le sentiment de pouvoir et d’efficacité collectifs.

B - La solidarité : d’une identité de groupe à la pratique de pouvoir

La transition d’une identité de groupe à la pratique du pouvoir est un processus complexe qui implique plusieurs dimensions, notamment sociales, psychologiques et politiques, ce qui est généré facilement par la solidarité[9]. D’où l’identité de groupe se forge autour de caractéristiques communes, qu’elles soient culturelles, ethniques, professionnelles ou autres. Elle crée un sentiment d’appartenance et peut être utilisée pour mobiliser les membres autour d’un objectif commun. Elle facilite la construction de l’identité collective[10]. Cette identité collective peut émerger lorsque les membres d’un groupe s’identifient à des valeurs ou des objectifs partagés, ce qui renforce leur cohésion et leur capacité à agir de manière unifiée. Toutes ces condition facilitent le partage de pouvoir et facilitent la création des leaders pour un exercice du pouvoir et de rendre le groupe ou la masse de groupe comme un levier pour l’exercice du pouvoir, notamment lorsque le groupe cherche à influencer ou à contrôler des décisions politiques, économiques ou sociales.

Les groupes générés par une forte solidarité ont une forte identité collective qui contribue au développement des stratégies pour acquérir du pouvoir, que ce soit par la négociation, la persuasion ou d’autres formes d’action collective. Cette pratique du pouvoir a un impact significatif sur la société dans son ensemble, en façonnant les normes sociales, les politiques publiques et les structures de gouvernance. En résumé, l’identité de groupe peut servir de fondement à la pratique du pouvoir, en permettant aux membres du groupe de s’unir et de se mobiliser pour atteindre des objectifs communs et exercer une influence sur leur environnement social et politique.

C - La solidarité : un processus en mutation

La solidarité se reconstruit généralement selon le contexte de mutation de structure sociale, c’est-à-dire, elle subit à des tournants majeurs, des épreuves difficiles au cours desquelles les valeurs, les institutions et les cadres sociaux sont mis à l’épreuve afin de déterminer leur capacité à préserver la cohésion du groupe et de l’incarner dans des comportements et des pratiques, en plus de renouveler les significations des actes solidaire[11]. Il nous semble donc important d’aborder les pratiques qui accompagnent ces transformations qui soutiennent ou affaiblissent la solidarité, ainsi que les implications qu’elles peuvent prendre liées à ces transformations et les pratiques des organisations de caractère solidaire tel que les coopératives qui peuvent innover des valeurs et des normes pour s’adapter aux changements sociaux.

Le concept de don peut être exploré sous plusieurs angles, chacun révélant des aspects uniques de cette pratique sociale. Par exemple, le don peut être vu comme un acte de générosité pure, où l’individu donne sans attendre de retour immédiat, créant ainsi un sentiment de bienveillance et de solidarité. D’un autre côté, le don peut également être interprété comme un moyen de renforcer les liens sociaux et de construire des réseaux de soutien mutuel. Dans certaines cultures, le don est ritualisé et intégré dans des cérémonies qui marquent des événements importants de la vie, soulignant ainsi son rôle symbolique et sa capacité à renforcer les traditions et les valeurs communautaires. Enfin, le don peut aussi être analysé sous l’angle économique, où il joue un rôle dans la redistribution des ressources et la réduction des inégalités au sein de la société. Ces différentes perspectives montrent que le don est un acte complexe et multifacette, profondément enraciné dans les dynamiques sociales et culturelles. Dans cet article, je vais me focaliser sur un autre aspect de « donner », c’est celui qui se manifeste sous une forme formelle, celui au niveau des coopératives, et bien sûr les défis et les difficultés confronter afin de faire un donner pure sans effets secondaires.

Analyse des coopératives à travers le prisme du fonctionnalisme

Ce chapitre s’inscrit dans une perspective fonctionnaliste pour analyser les coopératives, en examinant leur rôle et leurs relations avec les partis politiques et l’administration, pour essayer par la suite de faire une analyse pour comprendre bien le geste de donner au sein de ces structures. Le fonctionnalisme, en tant que théorie sociologique, s’intéresse aux structures sociales et à leurs fonctions au sein de la société. Dans ce contexte, les coopératives seront appréhendées comme des institutions remplissant des fonctions spécifiques au sein du système social plus large[12].

Les coopératives se définissent comme des organisations démocratiques contrôlées par leurs membres, qui œuvrent pour un intérêt commun. Elles se distinguent des entreprises capitalistes par leur structure de propriété et de gouvernance. Dans une coopérative, les membres sont à la fois propriétaires et gestionnaires de l’organisation. Ils participent aux décisions stratégiques et à la gestion quotidienne de l’entreprise[13].

Selon l’analyse fonctionnaliste, les coopératives remplissent plusieurs fonctions importantes au sein de la société.

Fonction économique. Les coopératives contribuent à la production de biens et de services, à la création d’emplois et à la distribution des revenus. Elles peuvent jouer un rôle crucial dans le développement économique local, en particulier dans les zones rurales ou marginalisées[14].

Fonction sociale. Les coopératives favorisent la solidarité et la cohésion sociale entre leurs membres. Elles encouragent la participation démocratique et la prise en charge collective des problèmes économiques et sociaux[15].

Fonction éducative. Les coopératives permettent à leurs membres d’acquérir des compétences en gestion, en leadership et en coopération. Elles contribuent ainsi à l’éducation populaire et à l’autonomisation des individus.

Les relations entre les coopératives et les partis politiques peuvent être complexes et variées. Historiquement, les coopératives ont souvent été liées à des mouvements politiques spécifiques, tels que le socialisme ou le syndicalisme. Ces liens se sont parfois traduits par un soutien politique aux coopératives de la part des partis politiques, et vice versa[16]. Cependant, les relations entre les coopératives et les partis politiques ne sont pas toujours harmonieuses. Des tensions peuvent surgir lorsque les coopératives cherchent à préserver leur indépendance et leur neutralité politique, tandis que les partis politiques peuvent tenter de les influencer à des fins partisanes[17]. Dans une perspective fonctionnaliste, les relations entre les coopératives et les partis politiques peuvent être analysées en termes de complémentarité et de conflit fonctionnel. Les coopératives et les partis politiques peuvent jouer des rôles distincts mais complémentaires dans la promotion du bien-être social et économique. Cependant, des conflits peuvent également surgir lorsque les objectifs des coopératives et des partis politiques divergent[18]. Les relations entre les coopératives et l’administration peuvent également être complexes et variées. L’État peut jouer un rôle important dans la création d’un environnement favorable au développement des coopératives, en fournissant un cadre juridique et réglementaire approprié, ainsi qu’un soutien financier et technique.

Cependant, l’administration peut également exercer un contrôle excessif sur les coopératives, limitant leur autonomie et leur capacité à répondre aux besoins de leurs membres. Dans une perspective fonctionnaliste, les relations entre les coopératives et l’administration peuvent être analysées en termes de coopération et de contrôle. L’État et les coopératives ont un intérêt commun à promouvoir le développement économique et social. Cependant, il est important que l’État respecte l’autonomie des coopératives et n’entrave pas leur capacité à fonctionner de manière démocratique et efficace.

L’analyse des coopératives à travers le prisme du fonctionnalisme permet de comprendre leur rôle et leurs relations avec les partis politiques et l’administration. Les coopératives remplissent des fonctions importantes au sein de la société, mais leurs relations avec les autres acteurs du système social peuvent être complexes et variées. Il est important de trouver un équilibre entre l’autonomie des coopératives et la nécessité d’une collaboration avec les partis politiques et l’administration pour maximiser leur contribution au bien-être social et économique. Le travail coopératif joue un rôle essentiel dans la société civile, car il favorise la collaboration entre les individus et les organisations pour atteindre des objectifs communs. Il permet aux citoyens de participer activement à la vie sociale et politique de leur communauté, en contribuant à des projets et initiatives qui reflètent leurs intérêts et valeurs. Il renforce la solidarité entre les membres de la société civile, en créant un réseau de soutien mutuel qui peut offrir de l’aide en cas de besoin[19]. En travaillant ensemble, les organisations de la société civile peuvent renforcer leurs capacités, partager des ressources et des connaissances, et ainsi augmenter leur impact sur la société. La coopération entre différents acteurs de la société civile peut conduire à l’innovation sociale, en trouvant de nouvelles solutions aux problèmes sociaux grâce à la diversité des perspectives et des compétences[20]. Les groupes de travail coopératifs peuvent exercer une influence sur les politiques publiques en se mobilisant pour des causes communes et en plaidant pour des changements législatifs ou réglementaires[21]. D’après une étude de terrain au niveau de quelques coopératives dans la province de Midelt au Maroc, nous avons constaté que le geste de donner est fortement présent dans cette région comme il est présent dans le moyen atlas et le sud-est du Maroc, sous différentes formes traditionnelles, alors que les coopératives vont lui donner une nouvelle dimension.

Les coopératives de Midelt incarnent un modèle de collaboration qui illustre parfaitement l’importance de l’action de donner dans le contexte socio-économique local. Situées dans une région où l’entraide et la solidarité sont essentielles pour le développement communautaire, ces coopératives mettent en avant le concept du don non seulement comme un acte de générosité, mais aussi comme un mécanisme de résilience collective. Dans un environnement marqué par des défis économiques, les coopératives de Midelt mobilisent leurs membres autour d’objectifs communs, favorisant ainsi une dynamique de soutien mutuel qui renforce la cohésion sociale. L’action de donner se manifeste ici par le partage des ressources, des compétences et des savoir-faire, créant des réseaux d’entraide qui transcendent les simples transactions économiques. De plus, en maintenant une autonomie vis-à-vis des influences politiques extérieures, ces coopératives préservent leur capacité à agir pour le bien de leurs membres, valorisant une approche centrée sur l’intérêt collectif. Cette articulation entre le don et l’organisation coopérative constitue une réponse pertinente aux défis contemporains, mettant en lumière le rôle crucial des coopératives dans le renforcement de la solidarité sociale à Midelt.

Les Dynamiques de la Société Civile à Midelt : entre Tradition et Modernité

Midelt se situe au centre du Royaume du Maroc au-dessus du plateau de la Haute Moulouya et sur le versant nord du mont Elayachi dans la chaîne du Moyen Atlas, et qui s’appelait autrefois Outatt, en référence à la vallée sur les rives de laquelle elle se trouvait construite, et qui est connue dans les publications scientifiques coloniales sous le nom de Haute Moulouya, cette région jouera un rôle stratégique de corridor sultanien entre la région du Tafilalet, connue pour son importance économique et politique dans l’histoire du pays, et les régions du centre du Maroc. Tout cela en fera l’une des sections de la zone militaire de la ville de Meknès à l’époque du Protectorat[22].

Ce chapitre explore le paysage en constante évolution des composantes de l’économie sociale et solidaire à Midelt, retraçant sa transformation depuis des formes traditionnelles comme la “Twiza” jusqu’aux associations et coopératives modernes. En examinant l’interaction entre ces structures traditionnelles et modernes, nous découvrons les défis et les opportunités qui découlent de cette hybridation.

1 - Les racines historiques de l’économie sociale et solidaire à Midelt

Les origines de l’économie sociale et solidaire à Midelt remontent « et comme plusieurs régions au Maroc » à la “Twiza”, une pratique coutumière enracinée dans la solidarité communautaire et l’action volontaire pour le bénéfice collectif. Ce système traditionnel, caractérisé par son caractère informel et son accent mis sur la cohésion sociale, a servi de pierre angulaire de la vie communautaire pendant des générations. Le terme “Twiza”, qui signifie “S’entraider”, “S’épauler”, “Se seconder”, incarne une philosophie profonde de solidarité et d’interdépendance. Elle dépasse les liens familiaux et communautaires traditionnels pour créer un réseau de soutien mutuel au sein d’un groupe. La Twiza repose sur la complémentarité et la réciprocité, où chaque individu met à profit ses compétences et ses ressources au service du bien-être collectif. Elle reconnaît et valorise tout effort visant à améliorer la vie de la communauté, y compris l’assistance face aux épreuves et aux traumatismes[23].

La Twiza ne se limite pas à répondre à des besoins économiques, mais s’étend également aux dimensions éthiques et relationnelles. Elle favorise la cohésion sociale en encourageant le partage et la reconnaissance mutuelle. Chaque membre contribue à la force du groupe en donnant et en recevant selon ses capacités. Cette réciprocité et ce sentiment d’appartenance nourrissent un esprit de solidarité et de responsabilité collective. La Twiza se présente ainsi comme une réponse holistique aux besoins de la communauté, en promouvant le bien-être individuel et collectif dans une logique d’entraide et de soutien mutuel[24].

2 - Avènement de la modernité, émergence de nouvelles formes de société civile

L’arrivée du colonialisme français à la fin du 19ème siècle a marqué une nouvelle ère pour la société civile à Midelt. L’introduction de structures administratives modernes et l’afflux de missionnaires étrangers ont entraîné la création de nouvelles formes d’organisations de la société civile, souvent dirigées par des groupes religieux. On retrouve, par exemple, le travail réalisé par Sœur Geneviève Prat qui est arrivée à Midelt en 1926[25], qui, plus que quiconque, au cours des vingt-sept années de sa présence à Midelt, s’est distinguée par sa personnalité et sa capacité à lancer et à mener à bien de grands projets de développement social jusqu’à ce qu’elle soit capable d’organiser de manière durable l’assistance aux personnes les plus défavorisées, notamment les femmes et les enfants.

C’est ainsi qu’est née la création de l’association « Atelier », qui fut la première organisation de la région de Midelt à soutenir les femmes et les enfants en situation de vulnérabilité à Midelt et ses environs[26]. Une autre dame qui l’on l’appel Sœur Cécile, qui s’est installée à Midelt en 1961, où elle travaille comme infirmière dans une clinique locale. Les mesures sanitaires de Cécile ont été très bien accueillies dans cette institution, car elle s’est occupée des orphelins et des malades. En 1969, Cécile crée la clinique mobile afin de réduire les souffrances et le manque de soins que vivaient les Bédouins[27]. Ces organisations, ont joué un rôle crucial dans l’introduction de concepts modernes d’éducation, de santé et de protection sociale.et aussi, la création de l’une des premières associations à Midelt en 1942 par un groupe de colonisateurs sous le nom « Association Adeghwal » a donné un nouvel élan au domaine agricole, où ils implantèrent la première ferme de pommes à environ dix kilomètres au nord de Midelt sur la Route de Mibladen[28].

3 - Résurgence de la société civile après l’indépendance

Après l’indépendance, Midelt cherchera son pôle de développement, et sera rattaché premièrement à la Wilaya de Meknès, puis à la province d’Errachidia, puis à la province de Khenifra, et deviendra après l’année 2009 une province qui comprend un groupe de cercles et de communes territoriales. Selon toutes ces étapes historiques, les activités de la société civile connaîtront de nombreux changements, et ainsi l’action collective à Midelt prendra forme à travers trois étapes historiques. Une étape qui s’étend de l’ère de la protection à l’indépendance, que l’on peut décrire comme une étape de transition des formes traditionnelles de travail associatif aux formes modernes. Cette étape a été caractérisée par le leadership des élites européennes pour ce travail associatif, en particulier les religieuses qui vivaient.

Dans la région pendant le colonialisme. Puis l’étape post-indépendance, que l’on peut décrire comme l’étape de participation au développement, menée par les élites nationales où une nouvelle vague d’activisme a galvanisé les jeunes et les éducateurs de Midelt. Inspirés par un esprit de renouveau national et de progrès social, ils ont créé une multitude d’associations dédiées à répondre aux besoins urgents de la communauté. Ces associations, axées sur des domaines tels que l’éducation, la culture et les questions sociales, sont devenues des instruments essentiels pour façonner la trajectoire post-indépendance de la société civile à Midelt. Enfin, l’étape qui a suivi la création de la province de Midelt, qui a été caractérisée par l’étape de l’action collective et le début des séances de plaidoyer civil et des manifestations de participation citoyenne[29].

4 - L’hybridation de la société civile à Midelt

Le paysage contemporain de la société civile à Midelt se caractérise par un mélange unique d’éléments traditionnels et modernes. Cette hybridation reflète le dialogue permanent entre les valeurs et les pratiques durables du passé et les forces transformatrices de la modernité. Les formes traditionnelles de la société civile, comme la “Twiza”, conservent leur importance, fournissant un cadre pour l’engagement communautaire et la résolution des conflits. Ces pratiques coutumières, profondément ancrées dans la culture locale, favorisent un sentiment d’appartenance et de cohésion sociale[30].

Le passage de la « Twiza » comme forme traditionnelle de société civile au tissu collectif comme forme moderne, la soumettra à des processus de formation et de restructuration structurelle à travers un mélange de ce qui est traditionnel et de ce qui est moderne en accord avec les besoins de la société. De l’État à chaque étape de sa construction, et c’est ce qui distinguera les mécanismes de fonctionnement du travail associatif dans la région, afin qu’elle préserve la structure traditionnelle de la Twiza ou du groupe et tente de la former de manière moderne et moderne : forme moderne sous forme d’association ou de coopérative, sans distinction entre la pratique des premières formes comme pratique traditionnelle, familiale et tribale, et le travail collectif comme activité moderne, civile et citoyenne. C’est ce qui lui fera connaître une crise de pratique qui l’affligera dans certains cas, en faisant un instrument de conflit politique[31].

5 - Défis et opportunités dans une société civile hybride

L’hybridation de la société civile à Midelt présente à la fois des défis et des opportunités. Trouver un équilibre entre les approches traditionnelles et modernes peut être une tâche délicate, nécessitant une prise en compte attentive des sensibilités culturelles et des besoins évolutifs de la communauté. Garantir la transparence et la redevabilité au sein des organisations de la société civile demeure un défi permanent. Ceci est particulièrement important dans le contexte de structures hybrides, où les pratiques traditionnelles peuvent coexister avec des cadres organisationnels modernes.

Maintenir l’indépendance de la société civile vis-à-vis d’une influence étatique indue est une autre considération essentielle. Cela nécessite une vigilance et un engagement proactif avec les décideurs politiques pour sauvegarder l’autonomie et l’efficacité des acteurs de la société civile. Malgré ces défis, l’hybridation de la société civile à Midelt offre une multitude d’opportunités. La fusion des valeurs traditionnelles et des pratiques modernes peut favoriser l’innovation, l’adaptabilité et un engagement communautaire profond.

Le Don un acte symbolique

En conclusion, le geste de donner s’impose comme une dynamique essentielle au sein des coopératives, agissant comme un ciment social qui relie les membres d’une communauté et renforce la cohésion collective. Nous avons vu que le don transcende le simple échange économique pour révéler des obligations sociales profondes, renforçant la confiance et le respect mutuel. À travers le développement de structures de solidarité, telles que les coopératives, le don devient un acte symbolique qui non seulement répond aux besoins immédiats, mais contribue également à construire des réseaux de soutien mutuel et d’entraide.

Cependant, la capacité des coopératives à maintenir leur autonomie face à l’influence politique est cruciale pour garantir l’authenticité de ces gestes de solidarité. La dépendance excessive aux partis politiques peut compromettre leur mission, détournant ainsi le véritable esprit du don. Il est donc impératif de cultiver une culture du don, où chaque contribution devient une pierre angulaire du tissu social et du bien-être commun. Finalement, ces réflexions nous rappellent que la solidarité et le don ne sont pas seulement des notions marginales, mais des pratiques évolutives qui nécessitent une attention constante pour s’adapter aux transformations sociales et politiques, assurant un avenir où l’entraide et le soutien mutuel demeurent au cœur de nos interactions.

Bibliographie

Bocognano, Simone. Bucoliques, berbères... Itto, fille de l’Atlas. Paris, Le Fennec, 2010.

Bouquet, Brigitte, Boul, Gaël, Mouhoud, Nabila. L’évolution complexe des politiques sociales de solidarité. Vie sociale, 27 (3), 27-39. 2019.

Brandsen, Taco, Trommel, Willem, Verschuere, Bram. L’État et la reconstruction de la société civile. In Revue Internationale des Sciences Administratives, 83(4), 699-717. 2017.

Caillé, Alain. Marcel Mauss et le paradigme du don 1. Sociologie et sociétés,2004, vol. 36, no 2, p. 141-176.

De Muro, Pascale, Hamhouch, Abdelilah, Cameron, Stuart., Moulaert, Franck, Organisations de la société civile, innovation sociale et gouvernance de la lutte contre la pauvreté dans le Tiers-Monde 1. In Monde en développement, (3), 25-42.   2007.

Delporte-Fontaine, Olivier. (2017). Le « don » dans les actions de solidarité et le travail social : un rapport mortifère entre le sujet aidant et le sujet exclu ? Empan, 105(1), 131-138.

Descombes, Vincent, L’identité de groupe : identités sociales, identités collectives. Raisons politiques, (2), 13-28. 2017.

Dohet, Julien. Le mouvement coopératif : histoire, questions et renouveau. Courrier hebdomadaire du CRISP, (2370-2371), 5-58. 2018.

Eynaud, Philippe, La gestion coopérative : un modèle performant face aux défis de l’avenir. Daniel Côté, JFD éditions, 2018, 425 pages. RECMA, (3), 138-140. 2019.

Girard, Jean-Pierre. Les coopératives de solidarité : Une forme organisationnelle pour renforcer la cohésion sociale ? Synthèse d’une recherche. ARUC-ÉS. 2008.

Ihrai-Aouchar, Amina, Communautés rurales de la Haute Moulouya du XVIIème siècle à nos jours-Administration locale et pouvoir central. Hespéris Tamuda, 26(1), 171-197. 1988.

Lamarche, Thomas, Richez-Battesti, Nadine, Produire est politique : les coopératives, levier de transformation. Introduction. Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs, (34, 1er semestre). 2023.

Lemligui, Ahmed. La construction sociale des solidarités au Maroc : contrôler l’islam et gérer l’action sociale, in Le sociographe, (2), 89-100. 2017.

Majid, Bial, Mouhib, Mohamed. Midelt : Points de vie, in Bouregreg. 2023.

Mengus, Raymond, Notre-Dame de l’Atlas vit au Maroc in Nouvelle revue théologique, 130.

Mouhib, Mohamed, Midelt : esquisses historiques in Esquisses historiques, Dar al Hadaf, Midelt. 1999.

Paugam, Serge. Durkheim et le lien social. Paris, Quadrige, 2013, p. 1-40.

Notes

[1] Selon Marcel Mauss, dans son célèbre Essai sur le don.

[2] Caillé, Alain. Marcel Mauss et le paradigme du don 1. Sociologie et sociétés,2004, vol. 36, no 2, p. 141-176.

[3] Delporte-Fontaine, Olivier. (2017). Le « don » dans les actions de solidarité et le travail social : un rapport mortifère entre le sujet aidant et le sujet exclu ? Empan, 105(1), 131-138.

[4] Girard, Jean-Pierre. Les coopératives de solidarité : Une forme organisationnelle pour renforcer la cohésion sociale ? Synthèse d’une recherche. ARUC-ÉS. 2008 depot.erudit.org.

[5] Caillé, Alain.  Ibidem, 2004.

[6] Paugam, Serge. Durkheim et le lien social. Paris, Quadrige, 2013, p. 1-40.

[7] Paugam, Serge. Ibidem.

[8] Caillé, Alain. Ibidem.

[9] Descombes, Vincent, L’identité de groupe : identités sociales, identités collectives. Raisons politiques, (2), 13-28. 2017 shs.cairn.info.

[10] Descombes, Vincent, Ibidem.

[11] Bouquet, Brigitte, Boul, Gaël, Mouhoud, Nabila. L’évolution complexe des politiques sociales de solidarité. Vie sociale, 27 (3), 27-39. 2019 shs.cairn.info.

[12] Dohet, Julien. Le mouvement coopératif : histoire, questions et renouveau. Courrier hebdomadaire du CRISP, (2370-2371), 5-58. 2018 shs.cairn.info.

[13] Dohet, Julien, Ibidem.

[14] Eynaud, Philippe, La gestion coopérative : un modèle performant face aux défis de l’avenir. Daniel Côté, JFD éditions, 2018, 425 pages. RECMA, (3), 138-140. 2019 shs.cairn.info.

[15] Eynaud, Philippe, Ibidem.

[16] Dohet, Julien, Ibidem.

[17] Lamarche, Thomas, Richez-Battesti, Nadine, Produire est politique : les coopératives, levier de transformation. Introduction. Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs, (34, 1er semestre). 2023 ideas.repec.org.

[18] Lamarche, Thomas, Richez-Battesti, Nadine, Ibidem.

[19] Brandsen, Taco, Trommel, Willem, Verschuere, Bram.L’État et la reconstruction de la société civile. In Revue Internationale des Sciences Administratives, 83(4), 699-717. 2017 documentation.insp.gouv.fr.

[20] De Muro, Pascale, Hamdouch, Abdelilah, Cameron, Stuart, Moulaert, Franck, Organisations de la société civile, innovation sociale et gouvernance de la lutte contre la pauvreté dans le Tiers-Monde 1. In Monde en développement, (3), 25-42. 2007 documentation.insp.gouv.fr.

[21] Lamarche, Thomas, Richez-Battesti, Nadine, Ibidem (34, 1er semestre).

[22] Ihrai-Aoouchar, Amina, Communautés rurales de la Haute Moulouya du XVIIème siècle à nos jours - Administration locale et pouvoir central. Hespéris Tamuda, 26(1), 171-197. 1988.

[23] Lemligui, Ahmed. La construction sociale des solidarités au Maroc : contrôler l’islam et gérer l’action sociale, in Le sociographe, (2), 89-100. 2017 shs.cairn.info.

[24] Lemligui, Ahmed, Ibidem.

[25] Mengus, Raymond, Notre-Dame de l’Atlas vit au Maroc in Nouvelle revue théologique, 130 (4), 793-802, 2008 bibliodioctours.catholique.fr.

[26] Majid, Bial, Mouhib, Mohamed. Midelt : Points de vie.in Bouregrag. 2023 maisondulivre.ma.

[27] Bocognano, Simone. Bucoliques, berbères... Itto, fille de l’Atlas. Paris, Le Fennec, 2010 lefennec.com.

[28] Mouhib, Mohamed. Midelt : esquisses historiques, in Esquisses historiques, Imprimerie Dar al Hadaf, Midelt, 1999 bouquiniste-chella.com.

[29] Majid, Bial, Mouhib, Mohamed. Midelt : Points de vie, in Bouregreg. 2023 maisondulivre.ma.

[30] Majid, Bial, Mouhib, Mohamed. Ibidem.

[31] Mouhib, Mohamed, Midelt : esquisses historiques in Esquisses historiques, Dar al Hadaf, Midelt. 1999.

IMG

Download Vol.22 N.2 2024

IMG

Collection M@GM@

DOAJ

I QUADERNI DI M@GM@

M@GM@ OPEN ACCESS