Doctorant en sociologie, Sociétés, Territoires, Environnement et Pratiques (STEP), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université Moulay Ismaïl, Meknès, Maroc.
Abstract
L’objet de recherche de cette enquête traite l’ultime construction du profil leadership féminin dans un travail coopératif. A travers ce travail, a été mis en lumière les mécanismes de construction d’un profil leader chez les femmes-dirigeantes au sein d’une coopérative et les mécanismes d’extension de ce profil hors de la sphère de la coopérative. Nous avons procédé notre terrain en deux étapes : La première étape est une étape exploratoire de recherche, où nous nous sommes intéressés à étudier une seule coopérative afin de faire le lien entre les approches théoriques et les pratiques sociales. Dans la deuxième étape, nous avons communiqué avec d’autres coopératives féminines. L’utilisation de trois outils de méthode a caractérisé cette recherche qualitative, à savoir l'entretien semi-directif, l'observation et le récit. Les résultats du travail sur le terrain nous ont conduits à constater que le profil leader se construit au sein de la coopérative dans une première phase grâce à la constance et au développement de conditions favorables, ce qui conduit en conséquence dans une seconde phase à la création d’une mouvance adéquate et propice à l’émergence de la personnalité leader à l’extérieur de la coopérative.
HMSO–00016–JG: HM Stationery Office, Admiralty Handbook of Wireless Telegraphy, HM Stationery Office, 1931. Les biblio-graffitis de Roy Gold (1918-2008), artiste outsider de sa collection de livres. Par Nicholas Jeeves (designer, écrivain et professeur à l'école d'art de Cambridge), in D. Graham Burnett éditeur de la série Conjectures, Revue du domaine public (Mai, 2018).
Consciences d’un leadership féminin existant
Au Maroc, les femmes d’aujourd’hui, cherchent à surmonter les obstacles sociaux hérités des anciennes structures sociales qui favorisent la domination masculine et qui freinent le leadership féminin et la présence de la femme dans la sphère publique. Ces femmes cherchent plusieurs voies pour atteindre leur ultime désir et avoir une autonomie sociale en dépassant ces contraintes structurelles historiques. Elles essaient, pour cela, de prendre la voie économique, politique et associative. En prenant par exemple la voie économique, les statistiques annoncent que les entreprises dirigées par des femmes sont aujourd’hui de 10 % de toutes les entreprises et seulement 2 % de femmes PDG au sein des grandes entreprises marocaines [1]. Ces chiffres posent une interrogation parce qu’ils avalisent les insuffisances pour une égalité de genre au Maroc malgré toutes les créations législatives qui visent à promouvoir cette égalité. Ce qui montre que l’ascenseur des femmes dans la hiérarchie administrative pour atteindre un leadership reste toujours limité. Plusieurs recherches ont expliqué ces freins : nous trouvons par exemple la métaphore de « plafond de verre » chez Carol Hymowitz et Timothy Schellhardt, qui expliquent l’accessibilité visible et l’inaccessibilité invisible à un leadership pour les femmes, c’est-à-dire, on ouvre aux femmes la perspective d’accès à une échelle supérieur d’une manière visible et on bloque leur mouvement à cet échelle d’une manière invisible [2] ; nous trouvons aussi la métaphore de « labyrinthe » chez Alice Eagly et Linda Carli, qui ajoutent d’autres murs invisibles entre les femmes et leadership [3]. Toutes ces études mènent à soulever plusieurs obstacles qui freinent l’avancement des femmes dans l’échelle de leadership, à savoir, le stéréotype de genre, les préjugés, la résistance au leadership de la femme, les difficultés liées au style de leadership, les exigences familiales [4].
Afin de dépasser ces freins invisibles, et les anciennes structures, les femmes se confrontent à des nouvelles pistes sous formes des structures d’opportunités aidant à l’émergence de nouveaux acteurs qui vont faire l’apparition de nouvelles formes de leadership [5]. Dans une recherche menée par Zakaria Kadiri, Mohamed Tozy et Mohamed Mahdi, ces chercheurs ont focalisé leur objet d’étude sur ces nouvelles structures d’opportunités, à savoir les coopératives, comme étant des innovations qui créent une reconfiguration structurelle dans la société et qui conduisent à l’émergence de nouvelles formes de leadership [6]. Ces chercheurs ont ciblé les jeunes masculins, et ils ont clarifié le processus de la création d’un leadership masculin chez les jeunes par la voie coopérative ou associative. Nous projetons de cibler ce même processus chez les femmes, et de s’interroger sur la possibilité d’avoir un processus identique chez les femmes, puisque les femmes et les jeunes sont parmi les catégories marginalisées dans les instances décisionnelles ; alors qu’ils ont des mécanismes similaires de fonctionnement pour se mettre au-devant des scènes de ces instances. Dans ce sens, quelques études ciblant la question des coopératives féminines au Maroc vont être exploitées. Ces études ont mis en lumière le rôle joué par ces organisations sociales : dans la préservation et la valorisation de patrimoine [7] ; dans la contribution à un développement durable [8] ; dans le nouveau modèle managérial des coopératives féminines [9] ; dans la performance collective déclenchée par les coopératives féminines marocaines [10].
Ces études ont mis en relief les mécanismes féminins qui mettent la femme au cœur du processus de la construction d’un territoire et la participation à sa gouvernance. En effet, ces mécanismes contribuent, aujourd’hui, à reconstruire un espace publique basé sur une négociation « sexuée » [11], dont le leadership « ni bleu ni rose mais il est plutôt violet » [12]. Ces mécanismes permettent aux femmes de sortir de la situation de sous-présentation pour atteindre le leadership. Pour cette raison, notre papier investit le rôle joué par ces coopératives féminines mettant la lumière sur la présence des femmes des coopératives dans l’espace publique comme des leaders, et comment ces femmes exercent un pouvoir de gouvernance comparable à celui des hommes. Notre recherche vise à clarifier comment ces coopératives peuvent constituer des voies d’accès des femmes un profil leader, et comment elles offrent une opportunité aux femmes pour gouverner, pour mettre en œuvre leur créativité, et pour contribuer au développement économique et politique.
Études sur le terrain des coopératives à direction féminine
Tous ces constats préalables à la construction de notre objet de recherche, nous ont amené à faire une observation exploratoire de notre terrain d’études. Nous avons contacté en premier temps l’une de ces coopératives dirigées par des femmes dans la région de Midelt,
Il s’agit de la coopérative Ourgh Aouras de la production et la valorisation des produits agricoles, surtout la production de safran. Nous avons constaté que cette coopérative a connu une dynamique remarquable dans l’accès des femmes à l’espace publique, et parfois l’accès à la sphère de la gouvernance locale, surtout dans une société traditionnelle caractérisée par une domination masculine comme celle de Midelt.
Durant nos premières visites sur notre terrain, nous avons remarqué la présence de Mme Fatima, présidente de cette coopérative, dans une cérémonie d’accueil de Mr l’ambassadeur de la Suisse au Maroc et un comité de l’Agence Marocaine de l’Énergie Durable (MASEN), pour la livraison de matériels agricoles à cette coopérative. La présence de cette femme dans cette cérémonie, et la façon avec laquelle elle s’est présentée et a dirigé le débat, nous a conduit à remarquer les aspects d’un profil de leader chez elle. Dans ce sens, notre recherche vise à mettre l’accent sur ce profil, et comment il est construit, et quel est le rôle joué par les coopératives dans la création de ce profil. Notre problématique s’articule autour de la question suivante :
Comment les coopératives contribuent à la création d’un profil de leader chez les femmes ?
La réponse à cette question demande un travail de terrain pour mesurer le leadership chez les femmes des coopératives, et de voir à quel niveau le travail coopératif peut « casser le plafond de verre » qui sépare les femmes de leadership. Pour cette raison, nous sommes partis des obstacles qui freinent l’ascension des femmes dans l’échelle de leadership.
Nous avons adopté une méthode qualitative dans le traitement de notre sujet, et nous allons nous servir des techniques d’observation, d’entretien et de biographie. Les entretiens ont été pensés et faits semi-directifs (face à face ou téléphonique) parce qu’ils garantissent un degré de liberté assez grand pour la collecte des informations nécessaires. Nous avons entamé notre terrain à travers des études de cas au sein de 8 coopératives féminines, parmi elles, 3 ont connu un succès local et national.
Nous avons émis, comme hypothèse de départ que le travail coopératif féminin est une continuité de travail à domicile, ce qui facilite la création de profil leader chez les femmes coopératives ; le travail coopératif féminin est un espace privé inclus dans un espace public réduisant ainsi le contrôle masculin ; le travail coopératif féminin n’est pas soumis à la concurrence masculine comme celui de l’économie ou de la politique, et en conséquence, les femmes coopératives peuvent surmonter tous les obstacles cités auparavant.
L’intérêt de cet article s’inscrit dans les études dévoilant le mécanisme de fonctionnement de travail coopératif féminin au Maroc. Aujourd’hui, Les coopératives féminines occupent une place importante dans le développement social et la croissance économique. Ces coopératives ont ouvert des horizons porteurs pour créer des projets économiques et sociaux qui concourent à combattre la précarité, l’exclusion, la pauvreté, et amenant l’intégration des petits producteurs sur le marché. Ce qui donne une possibilité pour les femmes d’améliorer leurs situations économiques et sociales, situations parfois précaires, et d’avoir une possibilité d’ascenseur social. Dans ce but, notre recherche vise à analyser l’ambition, l’accès au pouvoir, et le défi chez les femmes souhaitant prendre une place dans la prise de décision avec leurs propres moyens. Le but de cette recherche vise à présenter des femmes ayant réussi à être des leaders au niveau local et national comme étant des modèles à suivre.
Le leadership féminin entre les approches théoriques et les pratiques sociales
Il n’existe pas une définition spécifique du concept de leadership car il est lié aux nombreux facteurs qui se manifestent dans ce qui est individuel ou ce qui est collectif. Dans l’interprétation et l’explication de ces facteurs, nous avons fait l’étude en partant d’un ensemble de théories qui se diffèrent dans l’identification des caractéristiques de la personnalité du leader puis les conditions qui aident ce leader à diriger, motiver, participer, inspirer et influencer ceux qui l’entourent. Cette différence entre les chercheurs sur la façon de comprendre le leadership souligne une complexité de ce concept qui dépend à la fois à des éléments liés aux caractéristiques des individus (compétences, engagement, diplôme, généalogie, charisme…) et d’autre fois, à des éléments relatifs au contexte - social, culturel et organisationnel - dans lequel la personnalité de leadership apparaît. Toutes ces approches rendent le leadership un concept qui se situe au carrefour des savoirs et des sciences humaines : c’est ainsi que l’économie, la psychologie, la psychologie sociale et la sociologie sont tour à tour sollicités. Mais, en tant que concept qui implique des relations interpersonnelles dans une sphère sociale, nous l’avons traité sous la lumière de la sociologie.
L’attention portée par la sociologie du leadership à des groupes restreints (Small groups) n’est pas prise au hasard, mais parce que ces groupes restreints constituent la première source de la construction de liens interpersonnels entre les individus ; ce qui peut nuire à l’émergence de la personnalité du leader. Le concept de leadership est fondé dans la sociologie américaine. Selon Moreno, le leader ou la star, est un individu préféré par la majorité des membres de son groupe et c’est cette personne qui assure la cohésion du groupe. Il exerce une influence et un pouvoir sur ses membres en vue de réaliser un objectif commun. On trouve chez François Bourricaud que le leadership été très explicitement reconnu par les sociologues américains comme un fait essentiel du primary group [13]. Ce concept peut alors être défini comme la capacité de certains individus à diriger un groupe afin qu’il leur fournisse les résultats qu’ils souhaitent. D’après ces définitions, nous concluons que le leadership est un processus d’exercice d’un pouvoir par un individu dans un groupe limité et d’une manière légitime. En général, il pourra être fait une différence entre la légitimité du pouvoir exercé par le leader : est-ce qu’il s’agit d’une légitimité engendrée par le poste occupé ? Dans ce cas on peut parler d’un management plus qu’un leadership. Ou bien : serait-ce une légitimité engendrée par les compétences de celui qui occupe le poste ? Dans ce cas, on peut parler d’un leadershipplus qu’un management.
Dans notre recherche, nous nous sommes basés sur les trois grandes approches qui sont consacrées au concept de leadership, à savoir :
L’approche axée sur les traits de caractère ;
L’approche axée sur les styles de comportements ;
L’approche axée sur la situation.
Ces trois notions ont éclairé notre approche théorique du concept de leadership.
1) La première approche nous affirme que les caractéristiques physiques (comme l’âge, sexe, apparence, taille, poids…) et la structure sociale (éducation, statut social, mobilité…) ne contribuent pas à déterminer les caractéristiques du leader d’une manière directe. Mais la personnalité du leader est caractérisée par des compétences psychologiques où le leader est souvent caractérisé par l’ambition, la domination, l’entêtement, le courage et l’intégrité.
2) La deuxième approche nous affirme que l’efficacité du leadership réside dans les types de comportements adoptés par le leader. Ces comportements aident le leader à pouvoir obtenir la coopération des autres individus pour atteindre les résultats attendus, ainsi que leur satisfaction à la fin des résultats. Ces comportements sont souvent liés à la situation dans laquelle le leader exerce le leadership. Cette situation doit être axée sur les tâches réalisées d’une part et sur les employés d’autre part. C’est-à-dire que le leader doit gérer les conditions pour la bonne réalisation de son projet, et les conditions de la bonne cohésion de son équipe.
3) La troisième approche nous affirme que l’efficacité du leadership peut s’expliquer par les variables qui sont liées à la situation et qu’elles ont souvent un impact direct sur le leader dont certaines sont liées aux traits de personnalité d’un leader qui l’aident à prendre une position légale, à construire des attentes et à identifier des besoins ; en même temps que d’autres variables sont liées aux caractéristiques personnelles des subordonnés.
Généralités pour un exercice du pouvoir social par un leadership
Pour aborder le concept de leadership et lui donner une définition sociologique, il faut aborder tout d’abord les premières racines de ce concept, en référence chez Max Weber et sa théorie sur la légitimité du pouvoir [14]. (1956-1971) Dans ce contexte, Max weber définit trois types de pouvoir : le pouvoir traditionnel, le pouvoir bureaucratique et le pouvoir charismatique. Dans le premier cas, le pouvoir est exercé par le chef en s’appuyant sur des lois traditionnelles qui, dans certains cas, remontent à un héritage ancien ou des traditions immémoriales. Dans le deuxième cas, le pouvoir est exercé par le chef en s’appuyant sur la position du donneur d’ordre au sein de l’organisation et des privilèges donnés à ce chef par les lois juridiques. Et dans le dernier cas, le pouvoir est exercé par le chef en s’appuyant sur ces compétences qui, dans certain cas, sont surnaturelles, surhumaines et jugées extraordinaires [15]. Cette typologie de pouvoir chez Max Weber reste un cadre d’analyse des nouvelles formes de pouvoir, même si les conditions actuelles sont totalement différentes de celles à l’époque de Max weber.
Les sociologues contemporains se sont inspirés de cette typologie pour encadrer les relations d’interaction entre les membres d’une communauté et d’envisager toutes les formes d’exercice d’un pouvoir et sa relation avec la légitimité. Nous trouvons par exemple Alain Caillé, qui a exploité la théorie d’anti-utilitarisme exposée chez Marcel Mauss pour formuler la typologie wébérienne et pour donner une nouvelle typologie qui définit l’exercice d’un pouvoir entre le manager et le leader. Alain caillé a proposé de combiner la typologie wébérienne, basée sur les trois type-idéaux de pouvoir avec le schéma de Marcel Mauss, basée sur les quatre dimensions d’exercice d’un pouvoir : l’auteur Alain Caillé [16]. vise à créer une nouvelle perception de la coordination entre les acteurs sociaux dans un groupe, cette forme de coordination s’organise selon une quadruple polarité, il s’agit dans le registre de l’Intérêt pour soi :
Dans ce schéma, l’auteur Alain Caillé esquisse une typologie des relations de pouvoir qui permet de présenter deux modes d’exercice de ce pouvoir : le pouvoir de manager basé sur les compétences et le pouvoir de leader basé sur le charisme. Pour ces raisons, il a cité quatre dimensions de cet exercice, il s’agit de : la loi, le contrat, l’empathie et la passion en créativité. Et selon lui, il pourra être distingué entre ces deux types d’exercice de pouvoir (compétences et charisme) selon les privilèges adoptés par la personne dirigeante : « Le manager combine et articule les quatre registres de l’action en privilégiant leur dimension fonctionnelle sur leur dimension humaine, et en fonctionnant plus dans le registre du contrat et de la Loi que dans celui de la sympathie et de la créativité. Le leader, au contraire, combine et articule plus les personnes que les fonctions. Il privilégie la sympathie, la créativité et la passion. Son autorité est charismatique » [17]. Le manager exerce un rôle plus administratif que politique, il gère les choses, les raisons et les fonctions. Le leader exerce un rôle plus politique qu’administratif. Il mobilise les personnes, les idées et les passions [18]. Si nous nous en tenons sur ce schéma avec lequel Caillé définissait l’exercice de pouvoir entre le leader et le manager, nous pouvons dire que la personnalité du leader dépend beaucoup de l’empathie, ce côté émotionnel ; ce qui fait que les subordonnés traitent l’autorité hiérarchique du leader en tant qu’autorité qui exige l’obéissance, et l’obéissance ici est une récompense pour ce que le leader fait comme des sacrifices envers eux. Caillé relie ici cette relation à la théorie du don et contre don en référence à Marcel Mauss [19].
Le leadership féminin en coopérative, version morale et émotionnelle d’un pouvoir
Dans ce contexte, nous avons constaté dans les enquêtes réalisées que le leader est la personne qui assure l’esprit émotionnel entre les membres afin de garder l’esprit d’équipe dans le groupe et à ce propos les femmes interviewées déclarent :
« Au sein de notre groupe, notre relation va bien, les femmes ici coopèrent entre elles, l’une ne se distingue pas des autres, la présidente fait partie de nous, même si son jeune âge par rapport à nous, elle nous traite comme ses petites sœurs, on lui fait beaucoup confiance. » (Khadija, membre dans une coopérative)
« Nous travaillons ici pour nos enfants. Nous rions, nous jouons et nous nous défoulons, nous nous libérons des tensions, Nous sommes toutes sœurs, il n’y a pas de désaccord entre nous. » (Fatima, membre dans une coopérative)
Ces réflexions nous conduisent vers l’approche de James M. Burns à propos de leadership. Ce dernier a distingué entre deux types de leadership, l’un est transactionnel et l’autre transformationnel. « Le premier style suppose la présence à la tête de l’organisation d’une personne qui souhaite engager les membres de son équipe dans un échange du type "donnant-donnant" en créant un climat de négociation mutuelle. » [20] Et le second style « vise le développement d’un sentiment de pouvoir et de capacité d’agir parmi tous les membres de l’équipe et favorise un partage du pouvoir et de l’autorité » [21]. Les déclarations de Khadija et de Fatima nous ont fait un retour vers le coté moral dans le leadership où l’émotionnel et la confiance sont indispensables. C’est-à-dire : il est mieux d’avoir un aimable leader plutôt qu’un bon leader, ce qui est traduit dans les relations entre les membres d’un groupe par le pluriel de « Nous avons fait » plutôt que le singulier de « il/elle a fait ».
« …la femme que nous n’aimons pas, nous ne la laissons pas travailler avec nous. » (Souad, membre d’une coopérative)
Ce qui est déclaré par Souad, membre d’une coopérative, montre la nature de l’exercice de pouvoir. Ce qui est à remarquer dans sa déclaration, c’est qu’elle a parlé comme une ‘‘présidente’’ alors qu’elle n’est juste qu’un membre. Elle a utilisé le « nous » comme un sujet dans sa déclaration. Sa façon de parler reflète un exercice collectif du pouvoir. Pour l’étude en cours, nous nous sommes davantage concentrés sur le concept de leadership au sein des coopératives ; ce qui nous a amenés à nous concentrer sur le leadership transformationnel, car il ne donne pas d’importance à la capacité d’agir du leader - capacité comme celle que l’on peut trouver dans les partis politiques et les organisations syndicales - mais, l’aspect transformationnel est plus concentré sur l’aspect de la participation et du partage au sein du groupe. Ce qui signifie que le leadership ici ne se fonde pas seulement sur l’exercice de l’autorité de l’individu, mais l’étend à un exercice collectif du pouvoir, dont le leader devient le représentant du groupe dans la prise de décision. C’est-à-dire que le pouvoir est géré d’une manière morale.
« Je ne peux pas parler de moi en tant qu’une seule personne, car je n’ai rien fait par moi-même, mais je parlerai de mon expérience en tant que groupe de femmes. » (Amina, présidente d’une coopérative)
Dans ce contexte, James M. Burns a mentionné le leadership éthique comme une extension de leadership transformationnel, et Centeno et son équipe ont fait référence, dans leur étude sur le concept de leadership, au nouveau paradigme que Gilligan a introduit dans le concept de leadership. Ce paradigme appelle à introduire l’éthique de la sollicitude comme l’une des dimensions déterminantes du concept de leadership. Centeno et son équipe, ont défini le leadership selon sa dimension morale comme une pratique sociale qui influence sa dimension professionnelle [22]. Ce qui donne à la personnalité de leader un mélange entre le social et le professionnel, autrement dit, un mélange entre le rationnel et l’émotionnel. Fatima, présidente d’une coopérative, nous confirme ce point de vue théorique lorsqu’elle a déclaré :
« Nous créons une ambiance familiale dans le siège de la coopérative, où nous préparons les déjeuners, nous chantons les chansons et les Youyous, c’est une ambiance merveilleuse et 100 % féminine. » (Fatima, Présidente d’une coopérative)
Les théories contemporaines qui envisagent les études sur le leadership constatent les stéréotypes sexistes, qui sont toujours présents dans l’analyse de ce concept. Ces stéréotypes sexistes, « façonnent les croyances et les attentes qu’entretiennent les milieux de travail à l’égard de leurs membres » [23]. En effet, les femmes qui sont considérées comme des leaders sont socialement exclus, il s’agit ici d’une exclusion partielle, car les taches construites socialement selon l’identité féminine ne correspondent pas au statut femme leader. À ce propos le profil de femme leader reste une déviance de statut féminin. Cette situation impose les femmes de rester toujours dans les niveaux inférieurs de l’administration, ce qui explique, dans une recension dirigée par Powell, que les femmes qui occupent le poste de présidente-directrice-générale (PDG) sont moins de 14 % [24]. À ce propos, nous nous sommes interrogés sur la question du genre et son impact sur l’exercice de leadership. Nous avons traité la recherche quantitative que Centeno a menée avec son équipe sur leadership au sein des établissements de l’éducation, et nous avons constaté qu’il lui est apparu clairement qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les hommes et les femmes en termes de pratique du leadership, car la variable du genre ne donne pas de résultats différents entre hommes et femme comme d’autres variables le donnent par exemple l’âge et les années d’expérience. Centeno et son équipe ont mis la lumière sur trois dimensions : la justice, la sollicitude et la critique dans le concept de leadership, et dans les résultats obtenus, ils ont constaté une grande convergence entre les femmes et les hommes, et ils ont clarifié que les femmes sont en avance contre les hommes en termes de « sensibilité éthique » [25] et à partir de ces résultats, ils ont conclu que les femmes pratiquent le leadership dans sa dimension relationnelle et émotionnelle pour résoudre les problèmes et les difficultés rencontrés, alors que les hommes dépendent plus de sa dimension d’obligation et de règles. À ce propos, nos interviewées nous confirment ces résultats, premièrement par les pratiques observées au sein des coopératives étudiées.
« Nous connaissons les conditions difficiles dans lesquelles vivent certaines femmes membres de la coopérative, nous les prenons donc en compte. » (Najia, Présidente de coopérative)
Cependant, dans le contexte marocain, la question de genre impose son impact sur un leadership. Malgré les efforts déployés par le Maroc afin de se doter d’un arsenal juridique pour intégrer les femmes dans le marché d’emploi, pour renforcer leurs contributions à l’économie nationale, on constate, malgré toutes les initiatives visant à lutter contre les inégalités de genre, que les femmes au Maroc n’ont pas encore bénéficié de tous ces efforts, et leur contribution au produit national brut (PNB) est encore inférieure à 21 %, et que leur statut est toujours sous-représenté par l’homme à cause de la société patriarcale et de la domination masculine. Najia nous a parlé à ce propos des difficultés qu’elle a rencontrées avec les hommes de son village pour créer sa coopérative : car ces hommes refusaient de laisser travailler leurs femmes dans la coopérative au motif que cette coopérative ne pouvait leur garantir pas un revenu stable.
Difficultés physiques et morales d’une intégration féminine au marché de l’emploi
Perdant une gouvernance, les hommes refusaient aussi qu’une femme puisse gouverner et gérer la situation de leurs femmes. Cette raison justifiait à ces hommes de n’apporter aucune aide à leurs femmes dans le travail coopératif. Certaines femmes ont même été battues par leurs maris. Mais, après le succès de la coopérative et le fait que les femmes gagnent un vrai revenu stable, les réactions des hommes vis-à-vis du travail de leurs femmes se sont modifiées ; dès lors les conditions du travail et de la compréhension du désir des femmes ont été changées : elles ont commencé à jouir de l’indépendance et elles ont pu échapper au contrôle de l’homme.
« Notre région montagneuse est caractérisée par une domination masculine, nous avons commencé à travailler à domicile pour l’éviter. » (Aicha, Membre de coopératives)
« Travailler en coopérative est bon pour nous les femmes, il nous aide à éviter d’entrer en contact avec les hommes dans les champs de pommes. » (Naima, Membre de coopératives)
« Nous avions communiqué avec les maris et les pères afin de les convaincre que leurs femmes et leurs filles pouvaient venir à la coopérative pour travailler, et ils avaient une condition préalable qu’elles ne rencontrent pas des hommes et que je suis la seule qui sera responsable de sortir. » (Amina, présidente de coopérative)
« J’ai été menacé par des hommes de la région, au motif que j’incitais les femmes contre eux. » (Najia, présidente de coopérative)
Pourtant, cette domination masculine n’apparaît pas directement, mais elle affecte négativement d’une manière indirecte tous les efforts menés par l’état. L’étude faite par Abdelkouddous EL Houdzi a dévoilé les différents obstacles que doivent affronter les femmes dans leur intégration au marché de l’emploi et dans leur accès aux plus hauts niveaux de la hiérarchie organisationnelle et les différents facteurs explicatifs caractérisant le contexte organisationnel et sociétal marocain [26]. Cette recherche vise à montrer comment la domination masculine invisible influence l’accès des femmes aux postes supérieurs. Cette étude en a conclu que de nombreux obstacles sont liés à l’accès des femmes aux postes de leadership dans les administrations marocaines.
Le chercheur Abdelkouddous EL Houdzi a d’abord identifié ces adversités dans la dimension psychologique liée aux préjugés et stéréotypes de genre à l’égard des femmes ; ce qui affecte négativement le processus de la sélection et les procédures de recrutement des femmes pour atteindre les rangs avancés du leadership. En fondement principal, la plupart des hommes marocains n’acceptent pas de travailler sous un leadership féminin. Notre explication confirme le fait que ces préjugés dans leur majorité tirent leur légitimité de textes religieux. Le second obstacle cité par cette recherche reste la résistance au leadership féminin : car les femmes sont considérées comme un être émotionnel n’agissant pas de manière rationnelle dans un ensemble de problèmes, ne se caractérisant pas par l’indépendance dans une prise de décision. Cette prise de décision chez la femme peut être influencée par des effets externes tels que la société ou des effets internes comme la sympathie.
Toutefois, cette résistance tire sa légitimité aux rôles sociaux que la société attribue aux femmes, résistance basée sur la composition biologique et mentale des femmes : c’est ce qui attribue aux femmes sa position de leader dans les espaces privés en étant une personne sous-représentée dans les espaces publics. En ce sens, les hommes adoptent dans l’espace public une attitude protectrice et paternaliste vis-à-vis de leurs présidentes féminines dans le seul but de limiter leur autorité. Ils exploitent donc le pouvoir exercé dans le territoire familial traditionnel de la domination masculine pour créer une extension de ce pouvoir dans les relations professionnelles [27]. La femme se positionne donc entre deux statues opposées : soit être un leader comme une femme de fer et transgresser les normes sociales attribuées à la femme, ou être un leader sous-représenté par l’homme et respecter ces normes.
Un troisième obstacle cité par l’étude se résume dans la liste des difficultés liées au style de leadership, dont le profil de leader nécessite souvent une disposition de rigueur, d’indépendance dans la prise de décision et la ténacité face aux difficultés. Toutes ces caractéristiques entravent l’accès des femmes au leadership par le double statut, dont jouissent les femmes, qui ne correspond pas à ces spécifications. Car la femme ne peut pas acquérir le profil du leader tant qu’elle reste soumise à l’autorité des rôles sociaux qui lui sont attribués [28]. Quant au quatrième obstacle, il est représenté dans les exigences familiales auxquelles les femmes sont toujours confrontées dans la gestion de leur vie professionnelle. Dans ce sens, la femme est toujours confrontée à un conflit entre sa vie de famille en tant que mère ou épouse et sa vie professionnelle en tant que dirigeante ; et ce conflit renvoie à des contraintes de gestion de temps entre ce qui est familial et ce qui est professionnel.
« Je suis une femme divorcée, et grâce à mon travail en tant que présidente d’une coopérative, j’ai réussi d’assurer ma vie et j’ai assuré aussi mes besoins d’estime et de confiance et du respect de soi, et d’avoir une reconnaissance et appréciation des autres. » (Fatima, Présidente de coopératives)
Puisque notre recherche vise à traiter le concept de leadership féminin et sa relation avec les coopératives, notre perception principale se concentrera sur la relation des femmes au leadership, tout en mettant l’accent principalement mis sur les obstacles et les difficultés qui empêchent les femmes d’accéder à haut niveau de la hiérarchie dans la direction. C’est ce qui nous a amenés à discuter ce sujet à la lumière des études précédentes sur le leadership féminin au Maroc, parmi lesquelles la recherche menée par la chercheuse Kawtar Lebdaoui.
Cette chercheuse a constaté qu’un peu de coopératives féminines sont dirigées par une femme, de sorte que seulement le 23 % des coopératives actives créées à Asrir sont dirigées par une femme [29]. Ce qui confirme que l’accès des femmes au leadership par le biais des coopératives est toujours soumis à des obstacles et des difficultés. Selon cette chercheuse, la division sexuelle du travail agricole, artisanal et touristique au sein des coopératives, et la présence marquante des coopératives familiales, sont les facteurs majeurs d’une quasi-absence féminine de la présidence des coopératives [30]. Kawtar Lebdaoui a mentionné un phénomène qui concerne le faux leadership coopératif qui masque des pratiques socio-culturelles et qui joue un détournement de la loi pour bénéficier plus de finance des bailleurs de fond nationaux et internationaux. Ces pratiques socio-culturelles rendent le rôle de la femme invisible dans la prise de décision et son rôle dans la coopérative reste limité dans la production. Par conséquent, La femme se retrouve dans un contexte d’exclusion pour occuper les positions de leadership coopératif. Mais, elle peut se sortir de cette position si elle réussit à se sortir de l’ombre, cette position imposée par la domination masculine. Comme l’indique Kawtar Lebdaoui, le seul cas dans lequel la femme peut avoir le plus d’opportunités d’être une dirigeante selon ses propres qualités et compétences, c’est le cas d’une coopérative non-familiale [31].
« Certains des amis de Fatima l’aidaient à mettre en place la coopérative, et leur présence était forte au début, mais après les cours de formation, Fatima a pu gérer sa coopérative toute seule, et c’est maintenant une coopérative 100 % féminine et nous sommes fier de ça. » Youssef, Fonctionnaire de l’État
Le leadership coopératif : d’un leadership interne vers un leadership externe
Toutes les expériences, que les femmes dirigeantes de coopératives nous ont fait partager, nous montrent que ces coopératives sont devenues la pierre angulaire des quelques politiques publiques au Maroc. Au niveau de développement social, valorisation de patrimoine culturel, participation politique des femmes et croissance économique, ces femmes dirigeantes occupent des postes importants dans la prise de décision dans ces domaines. Grâce au travail coopératif, ces femmes ont réussi leur transformation de simples travailleuses en femmes coopératives puis en femmes leaders et par la suite en femmes actrices clés des politiques publiques ; ce qui leur fera occuper une position de leadership en dehors de leurs coopératives, et par conséquent, elles deviendront des femmes leaders dans des projets étatiques et non étatiques.
Dans l’espace social, et depuis le lancement de l’initiative national de développement humain (INDH) en 2005, l’État marocain a mis l’accent sur le travail coopératif et solidaire et en a fait un tremplin vers le développement durable. Cette initiative a placé les coopératives au centre de ses préoccupations : d’où les coopératives qui s’intéressent au produit local ou à l’intégration des femmes rurales dans le développement. Celles-ci reçoivent une grande attention et une place particulière dans les politiques publiques de l’État marocain tel que les programmes de l’État à travers l’initiative national de développement humain (INDH) ou le Plan Maroc Vert (PMV). Ces nouvelles sociétés coopératives jouent un rôle majeur dans le développement local tout en ne se limitant pas au développement interne des femmes-membres. Ces communautés coopératives vont au-delà pour le développement de tous les acteurs de la région et en conséquence, cette évolution contribue aux développements du territoire. Il nous apparait aussi que les interventions menées par les femmes dirigeantes de ces coopératives s’efforcent toujours d’établir un partenariat de travail avec les institutions impliquées dans le développement, qu’il s’agisse d’associations, d’organisations non gouvernementales ou d’institutions étatiques. Dans ce sens, Amina confirme en disant :
« Je n’arrête pas toujours de collectionner les papiers, à chaque fois que j’entends parler de projets de développement, je m’empresse de mettre notre dossier coopératif afin de bénéficier de ces projets. » (Amina, présidente de coopérative)
Les femmes dirigeantes d’une coopérative contribuent depuis quelques temps à de nombreuses activités de solidarité en dehors de la coopérative. Elles ont obtenu des projets générateurs de revenus dans leur région en ayant réussi de nombreuses campagnes de solidarité : telles que la distribution de couvertures et de vêtements en hiver, des travaux de construction et de rénovation de certaines maisons, l’organisation de certains mariages collectifs et cérémonies de circoncision au profit des familles vulnérables. Il y a eu en parallèle des campagnes médicales ajoutées aux programmes de lutte contre l’analphabétisme encadrés par l’État ou suivis par des organisations non gouvernementales.
« Fatima est une femme militante, elle n’hésite pas à assister à toutes les formations que l’initiative accomplit, elle présente toujours l’image de notre province à l’échelle national, l’INDH fait confiance à tous ses projets. » (Youssef, agent étatique)
Contribution des femmes en leurs coopératives
Par principe, au niveau culturel, la préservation du patrimoine immatériel du Maroc est une mission territoriale, dont tous les acteurs locaux sont invités à participer. Ce que l’on peut noter ici, c’est le grand rôle joué par les coopératives féminines dans tous les secteurs et avec les produits patrimoniaux. Si nous prenons, par exemple, le domaine de l’industrie traditionnelle, nous trouvons les coopératives jouant le rôle d’ambassadeur pour la commercialisation des biens traditionnels dans les expositions nationales et internationales ; et c’est ce qui leur permet de prévoir, avec la préoccupation du Ministère de l’Artisanat et de l’Économie Verte, une valorisation de leurs produits et la création simultanée d’espaces d’échanges. Se faisant, ces coopératives attirent également l’attention des organisations non gouvernementales concernées par les questions environnementales, car leurs produits issus des produits végétaux sont respectueux de l’environnement. Les coopératives féminines qui s’intéressent à la naturalité des produits par les plantes et les denrées alimentaires sont également encouragées par l’encadrement de l’État et la société civile - ONG et commerciale - internationale.
Au niveau politique, la question de la participation des femmes à la vie politique et à la prise de décisions dans la gouvernance locale a été l’un des ateliers les plus importants que l’État a déclenché dans les dernières années. Plusieurs ateliers ont été développés visant à autonomiser les femmes à l’aide des ‘‘mécanismes’’ afin d’assurer leur participation effective. Les coopératives féminines jouent un rôle important dans ces ateliers, d’une manière directe ou d’une manière indirecte. Pendant les interviews, les femmes présidentes de coopératives nous ont assuré que leurs coopératives étaient toujours au centre de l’attention des partis politiques. Dans ces lieux d’échanges, elles sont invitées à assister à des conférences de ces partis et qu’elles sont également conviées à s’engager dans des travaux partisans et politiques. Parce que le travail coopératif était plus en contact avec la population, les femmes dirigeantes sont ainsi également reconnues et respectées par toute la population de leurs régions ; ce qui leur fait occuper une place importante dans la carte politique de la région à laquelle elles appartiennent. Même si toutes ces femmes interviewées n’avaient aucune affiliation politique, elles tiennent à concevoir une place privilégiée auprès des représentants des partis, et obtiennent ainsi la même confiance de la majorité élue.
« Oui, j’ai reçu une invitation à rejoindre le travail politique par le biais d’un groupe de partis. » (Hanifa, présidente de coopérative)
Au rang économique, les coopératives féminines sont certainement une source importante de revenus pour de nombreuses femmes qui n’ont jamais travaillé hors de chez elles ; en particulier, les femmes rurales qui n’ont pas les mêmes opportunités d’emploi que les femmes urbaines. Les coopératives féminines sont donc pour ces femmes une nouvelle opportunité d’obtenir un revenu stable leur permettant de s’épanouir et s’accomplir, et ainsi contribuera de manière indirecte à la réalité du changement social. Ce changement débute par le grand revenu chez les femmes qui mène à une vie de complète indépendance vis-à-vis des hommes. Ce revenu - régulier - permet aux femmes d’apprendre leur liberté d’agir et de prendre des décisions, ce qui leur permet d’accéder à un statut social différent. En plus, l’espace de travail que la coopérative offre aux femmes reste un lieu où elles apprennent à s’affirmer, à prendre des responsabilités. Ce qui conduit ces femmes à apprendre leurs droits et devoirs.
Ce nouveau rôle joué par les coopératives permet aux femmes dirigeantes des coopératives d’avoir la possibilité d’être un nouvel acteur dans le développement économique, surtout au niveau de la lutte contre le chômage en général et en particulier le chômage féminin.
Plusieurs de ces femmes ont été invitées de se présenter dans des formations maintenues par l’État, afin de réussir l’intégration des femmes rurales au cercle économique nationale. Ce qui rend de nombreuses coopératives comme étant une institution non gouvernementale pour l’intégration de ces femmes rurales dans le tissu économique et social ; car plusieurs femmes de ces coopératives disposent aujourd’hui d’un revenu financier qui les aide à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, bénéficiant de ce fait d’une indépendance financière.
La Coopérative d’Artisanat est l’une des coopératives de femmes travaillant dans les domaines du tissage, de la couture et de l’artisanat. Grâce à cette coopérative une dizaine de femmes de zones marginales de la ville d’Oujda ont pu s’accomplir et trouver une indépendance financière qui les empêche de demander de l’argent à des proches, et cela leur permet d’aider à couvrir les coûts de la vie. D’autre part, Mariam la formatrice chez CISE nous a assurés que les femmes dirigeantes des coopératives sont considérées comme des partenaires dans la formation de femmes afin de les conforter dans leur autonomie économique. Ces dirigeantes, selon Mariam, ont contribué à l’encadrement de nombreux programmes générateurs de revenus. Elles ont fourni une possibilité pour les femmes adhérentes de gérer des projets et de prendre des décisions concernant leurs ressources matérielles. Elles ont contribué à renforce le sentiment de statut et de valeur chez les femmes dans la société, ce qui a contribué à la promotion de ces femmes en et par leur position économique, à l’activation de leur meilleure participation à travers les ressources et les capacités dont elles disposent et qui sont souvent disponibles grâce à un travail coopératif. Ainsi, les coopératives de femmes sont devenues un partenaire de l’économie nationale au niveau de la promotion d’emploi et l’intégration économique de la femme confortant leur leadership annoncé.
En conclusion : mouvance propice à l’émergence d’un leadership femme
Durant notre recherche, nous avons constaté que l’ultime construction du profil de leader chez les femmes dirigeantes de coopératives se fait depuis l’intérieur de la société coopérative grâce à la constance et au développement de conditions favorables. Ces conditions passent d’abord par la nature du travail coopératif, une sorte de continuité du travail à domicile permettant aux femmes de ces coopératives d’innover dans leur travail tout en créant une forme de communauté, homogénéité sociale ; ce qui conduit en conséquence à la création d’une mouvance adéquate et propice à l’émergence de la personnalité du leader, femme bien entendu ici.
La conclusion réelle est que les coopératives féminines sont une disposition d’un espace privé produisant son développement dans l’espace public sans être soumis au contrôle masculin, cette caractéristique de la société marocaine. Enfin, l’émotionnel et le moral, cette ultime empathie générale fait partie des caractéristiques contribuant à l’émergence de la personnalité d’un leader dans une coopérative. Ce leadership en société coopérative s’étend à d’autres sphères grâce à la confiance que les femmes dirigeantes ont établie avec les agences publiques, les programmes étatiques et les ONG. Ces derniers contribuent directement au développement et à l’extension de ce leadership coopératif. De ce fait, il est constaté que les femmes dirigeantes de coopératives sont invitées par de nombreux agents à divers événements sociaux ou culturels afin de contribuer à un programme gouvernemental ou non gouvernemental. Nous avons aussi constaté que les coopératives de femmes sont désormais un acteur important des politiques publiques et de la gouvernance locale. Ces ultimes concordances entre État et société de femme ont donné à ces personnes une place majeure dans les agendas de l’État soit directement par la forme de participation politique ou indirectement dans une fonction coopérative avec rôle de conseiller.
Notes
[1] Jonathan Woetzel, Anu Madgavkar and Kweilin Ellingrud, The power of parity, McKinsey & Company, 2015.
[2] Carol Hymowitz and Timothy D. Schellhardt, The glass ceiling: Why women can’t seem to break the invisible barrier that blocks them from the top jobs, in The wall street journal, 1986, vol. 24, n° 1, p.p. 1573-1592.
[3] Alice Hendrickson Eagly and et Linda Lorene Carli, Through the labyrinth: The truth about how women become leaders, Harvard Business Press, 2007.
[4] Abdelkouddous El Houdzi and Khalid Benajiba, la sous-représentation des femmes marocaines dans les postes de décision : les obstacles face au développement du leadership féminin, in Revue des Etudes Multidisciplinaires en Sciences Économiques et Sociales, 2019, vol. 4, n° 2.
[5] Mohamed Tozy, Leaders et leadership. Configurations complexes, ressources politiques et influence potentielle des leaders dans le cas de l’Oriental marocain, in Pierre Bonte, Mohamed Elloumi, Henri Guillaume and Mohamed Mahdi (Dir.), Développement rural : Environnement et enjeux territoriaux : Regards croisés Oriental marocain et Sud-Est tunisien, Tunisie, Cérès éditions, 2009, p.p. 363-378.
[6] Zakaria Kadiri, Mohamed Tozy and Mohamed Mahdi, Jeunes fellahs en quête de leadership au Maroc, in Cahiers Agricultures, 2015, vol. 24, n° 6, p.p. 428-434.
[7] Hassan Faouzi, Impact des coopératives féminines sur la préservation et la valorisation de l’arganeraie : cas de la coopérative Tafyoucht (confédération des Ait Baâmrane, Anti-Atlas, Maroc). In Confins. Revue franco-brésilienne de géographie/Revista franco-brasilera de geografia, 2012, n° 14.
[8] Maryam Abouali, Abdelaziz Bendou and Hassan Bellihi, Le modèle coopératif marocain : un outil propice au service du développement durable : Étude de cas au sein de la coopérative féminine d’Argan Ajddigue, in La Revue Marocaine de Contrôle de Gestion, 2019, n° 8.
[9] Mustapha Jaad, Management des coopératives féminines au Maroc : Pratiques et compétences, in Moroccan Journal of Entrepreneurship, Innovation and Management, 2020, vol. 5, n° 2, p.p. 32-42.
[10] Soumaya Dlimi, Leadership Au Féminin : Facteurs Clés De La Performance De La Coopérative Féminine Marocaine, in International Journal of Accounting, Finance, Auditing, Management and Economics, 2021, vol. 2, n° 1, p. 272-286.
[11] Sophie Louargant, Des territoires de projet au territoire de vie : la création de la coopérative artisanale féminine de Séfrou comme enjeu de modification des systèmes de valeurs sexués, Hélène Guetat Bernard - Anne-Marie Granié, Empreintes et invisibilité des femmes, in IRD - PUM, pp. 289-302, 2006, Ruralités Nord – Sud, halshs-00261766.
[12] Jennifer Centeno, Claire Lapointe and Lyse Langlois, Le leadership des femmes et des hommes : plutôt violet que rose ou bleu, in Recherches féministes, 2013, vol. 26, n° 1, p.p. 69-87.
[13] François Bourricaud, La Sociologie du "Leadership" et son application à la théorie politique, Paris, in Revue française de science politique, 1953, vol. 3, n° 3, p.p. 445-470.
[14] Elisabeth Kauffmann, Les trois types purs de la domination légitime de Max Weber : les paradoxes de la domination et de la liberté, Paris, in Sociologie, Puf, 2014, vol. 5, n° 3, p.p. 307-317 ; François Chazel, La Domination de Max Weber en français : éléments d’appréciation critique, Paris, in Revue française de science politique, CNRS, coll. Les lettres de Sorbonne Université, 2014, 64 n° 4, p.p. 759-764.
[15] Alain Caille, Pouvoir, domination, charisme et leadership, in Revue du MAUSS, 2016, vol. 47, n° 1, p.p. 305-319.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Jennifer Centeno, Claire Lapointe and Lyse Langlois, Le leadership 1 des femmes et des hommes : plutôt violet que rose ou bleu, in Recherches féministes, 2013, vol. 26, n° 1, p.p. 69-87.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] Ibid.
[24] Gary N. Powell, Six ways of seeing the elephant: the intersection of sex, gender, and leadership, in Gender in Management: An International Journal, 2012.
[25] Jennifer Centeno, Claire Lapointe and Lyse Langlois, op. cit.
[26] Abdelkouddous El Houdzi and Khalid Benajiba, La sous-représentation des femmes marocaines dans les postes de décision : les obstacles face au développement du leadership féminin, in Revue des Études Multidisciplinaires en Sciences Économiques et Sociales, 2019, vol. 4, n° 2.
[27] Ibid.
[28] Ibid.
[29] Kawtar Lebdaoui, Les femmes face aux difficultés d’accès au leadership local à Asrir (Maroc), in Alternatives Rurales, 2021, vol. 8, p.p. 19-30.
[30] Ibid.
[31] Ibid.