Alger Algeria, 1961 – Chantegeuse Haute Loire, Francia.
Abstract
Un estratto dal diario di viaggio Voyage à Thrinakìa (Archivio della Memoria e dell’Immaginario Siciliano AMIS - Le Stelle in Tasca ODV Catania), seconda opera classificata nella sezione diari di viaggio del premio internazionale di scritture autobiografiche Thrinakìa.
Thrinakìa journal de voyage - Véronique Béné
Deuxième œuvre primée Section Journaux de voyage
L’Etna
Dans l’avion qui va de Paris à Catane, je dévore le livre de Jean-Pierre Vernant L’univers, les dieux, les hommes / Récits grecs des origines, qui m’est arrivé dans les mains un peu par hasard, en cherchant dans la bibliothèque d’une amie de quoi passer le temps pendant ce court voyage. Je ne sais encore rien de la Sicile, pas même sa géographie mythique dans l’Odyssée. (j’apprendrai qu’elle est identifiée par certains comme l’Île du Soleil, que Polyphème y avait sa grotte, et que Charybde et Scylla sont deux passages dangereux du détroit de Messine, etc.)
Quand l’avion se pose à Fontanarossa, je pense en refermant le livre : « et voici que l’Etna m’est voilé comme l’était Ithaque à Ulysse » car aujourd’hui les nuages masquent le grand volcan. Il me faudra donc patienter pour le voir et pour le moment, découvrir Catane de dessous mon parapluie, la lave noire de ses pavés toute brillante de la pluie d’avril reflétant les lumières de la ville. C’est un éblouissement, bien sûr. Chaque coin de rue semble une scène de théâtre, chaque maison semble un palais, chaque palais semble un squats avec ses tags sur les murs. Ici un escalier, là une ancienne coulée de lave, une fontaine, des arcades. Les rues sont magnifiques de poussière, d’ornements, de vie.
Tout comme l’Etna dans ses voiles, la mer reste invisible depuis la vieille ville, barrée par la ligne noire du chemin de fer. C’est une mer de lave qui l’a fait reculer de plus d’un km pendant la grande éruption de 1669, agrandissant la ville d’autant, isolant le vieux Castello Ursino du rivage. La mer en bouillonna pendant 15 jours, nous dit Dumas. Ce fleuve de voitures qui ceinture la cité, c’était donc l’ancien rivage de la mer ionienne, battant contre les grands murs noirs de l’ancien port !
En découvrant les coulées qui forment la base des maisons à deux pas de la rue où j’ai déposé mes pénates pour quelques jours. Je comprends que les Catanais ont rebâti leur ville sur un magma à peine refroidi, et aussi à chaque tremblement de terre. Cette ville bordée d’un côté par le volcan, d’un côté par la mer ionienne, est noire et grise comme ma ville natale. Est-ce pour cela que je m’y sens bien ? Jour après jour, je découvre la ville comme un gosse émerveillé devant un coffre au trésor. Il y a ces palais crépis de poussière de lave, ces ex-voto à tous les coins de rues, avec des Jésus en plâtre qui voisinent avec des tags à la peinture verte ou noire. Il y a ces boutiques encombrées où ces mêmes statuettes sont proposées à la dévotion des passants. Celle où abondent les céramiques colorées, les fameuses têtes de Maures ; il y a ce bonheur de boire des petits cafés serrés dans des tasses au buvant bien large, ou bien en pleine rue, devant un petit kiosque, avec un jus d’oranges fraiches pressées.
La Sicile est le pays des oranges selon Maupassant, et d’ailleurs en arrivant sur Catane, je n’ai vu que des champs d’orangers. Dans le bus, regardant les vergers à travers la vitre, ces vers de Musset, mis en chanson par Brassens, m’accompagne : Ces beaux lieux où l’oranger / Naquit pour nous dédommager / Du péché d’Ève.
La Sicile serait donc un paradis ? Pour les touristes, peut-être bien : manger à toute heure les meilleures pizzas, les pâtes brûlantes, la « tavola calda », les panini généreux, le vin de l’Etna, l’un des favoris du dieu Bacchus, dit-on, sans oublier les délicieuses bières locales, comme la Yblon, à Ragusa, merveilleuse après la montée vers la ville neuve par les 242 marches de la Scale, entre églises et palais.
Vu du ciel, l’Etna est un immense corps pustuleux avec ses 250 cratères. Je ne suis pas dans le ciel et mes pieds foulent une poussière sèche et glissante. Orazio marche à mes côtés. Son association édite un journal qui s’appelle M@gm@. Il me réserve depuis longtemps cette journée sur le volcan. Près des Crateri Silvestri, des ex-voto jalonnent la route, sur les murs des bâtiments épargnés par les coulées des éruptions de 2001 et 2002. Mons Gibel, la montagne sur la montagne, est un univers vaste et changeant, tout de scories noires et rousses, avec en plus quelques cars de touristes. Puis nous allons plus loin, coté est, sur une petite route qui traverse des vignobles et se perd ensuite dans la montagne, parmi les bouleaux. À 1700 m. d’altitude, je découvre un monde en noir de lave et blanc de neige, dans le vent vif de ce ciel d’avril chargé de nuages qui se mêlent aux volutes de fumée bleue sortant du grand volcan (Je croque rapidement, me réservant de revenir au carnet plus tard et au chaud).
La mythologie raconte qu’un géant à l’haleine de feu est écrasé sous l’ile. L’un de ses derniers soubresauts a détruit un quartier du village de Milo. La route est barrée. Orazio et moi remontons la déviation avant de replonger dans l’agitation Catanaise.
Autant que les cratères, les mythes se bousculent autour de l’immense volcan. Est-il la prison du géant Typhon, la forge de vulcain ou bien ce Polyphème à l’œil unique qui jette des quartiers de roche dans la mer Méditerranée ? Sous les yeux des hommes, le géant des volcans a pris cette forme mentale qui est le mythe.
Thrinakìa journal de voyage - Véronique Béné
Deuxième œuvre primée Section Journaux de voyage
Taormina
Jetée au cœur de Taormina par une belle journée dominicale, je suis loin de savoir ce qui m’y attend tout d’abord : une déambulation éprouvante dans une rue unique et bondée, bordée de magasins de fringues et d’échoppes de souvenirs clinquants, au milieu d’une foule endimanchée qui semble par moments faire assaut de vulgarité dans les tenues vestimentaires et les attitudes ; puis quelques moments de grâce en levant la tête vers les façades et m’esquivant dans les escaliers pour me retrouver face au paysage étonnant de la plongée des jardins vers la mer.
Heureusement, au bout de cette débauche mercantiliste, il y a ce que je suis venu rencontrer, croquer, éprouver : le théâtre antique, au milieu d’un des plus beaux paysages du monde, « le plus énorme ouvrage de la nature et de l’art » (Goethe).
Je monte aussi rapidement que possible en haut des marches, je veux découvrir le grand cirque d’un seul coup. Alors ce fut comme si le vide m’aspirait en même temps le regard et l’esprit, en un demi-vertige. Là-bas, derrière les colonnes brisées, il y a la mer, puis les côteaux piqués de cyprès et l’immense Etna, encore enneigé. Et sur le dernier gradin, le spectacle est inoubliable. Je m’assois, le carnet sur les genoux.
Autour de moi, on prend des selfies, des groupes bruyants s’apostrophent. Je me coince dans une bulle d’air et je flotte entre la pierre et le ciel. Je bois à petits coups gourmands le soleil qui me cuit un peu, la saveur de cette journée qui s’étire dans la beauté, l’infini plaisir qu’il y a à pouvoir rester là, sans rien d’autre à faire que de laisser le crayon courir sur la feuille, mes yeux capter la lumière blanche, mon esprit s’égarer vers l’horizon.