Il vit à Rennes. Critique d’art et commissaire d’expositions, membre de l’Aica et président du Conseil scientifique et culturel des Archives de la critique d’art. Collaborateur d’artpress et de Critique d’art, il est l’auteur de La Beauté du geste, l’art contemporain et le sport (Regard, 2005), Art & économie (Cercle d’art, 2008). Suite à l’exposition qu’il a conçue au musée des beaux-arts de Calais, il a publié avec Barbara Forest et Christine Mennesson, L’art est un sport de combat (Analogues, 2011) ; puis Yves Bélorgey, anthropologie dans l’espace (avec Jean-François Chevrier) aux éditions du Mamco 2012. Après avoir été commissaire associé pour Stadium (arc en rêve, Bordeaux, 2013), il conçoit une nouvelle exposition autour du sport et de l’art pour le campus d’HEC à Jouy-en-Josas : Une Forme olympique (2016) accompagnée de la publication de l’ouvrage Une Forme olympique / Sur l’art, le sport, le jeu (HEC éditions. 2017). Outre ses travaux sur l’art et le sport, il s’intéresse aux approches singulières de la peinture, au motif économique dans l’art (Art & économie, éditions Cercle d’art, 2007) et en particulier à la question du don (après Marcel Mauss). Il a écrit sur de nombreux artistes, parmi lesquels : François Dilasser, Marcel Dinahet, Gilles Mahé, Roderick Buchanan, Rita Mc Bride, Marylène Negro, Lara Almarcegui, Jacques Villeglé, Guillaume Leblon, Julien Prévieux, Alain Séchas, Les Frères Chapuisat, Guillaume Bresson, Bernard Piffaretti, Dector & Dupuy, Abraham Poincheval, Nicolas Chardon, Berdaguer & Péjus, Martin Le Chevallier… Il est l’auteur d’une monographie consacrée à Gérard Deschamps parue en 2017 aux éditions du Regard : Gérard Deschamps, Nouveau Réaliste.
Abstract
Où l’on traitera de deux domaines en apparence fort éloignés… Où il sera question de quelques points historiques, d’une modernité commune à partir de 1860. Où il faudra cependant se méfier des analogies faciles. Où l’on verra pourtant combien le sport est un formidable pourvoyeur de forme(s). Où l’on montrera qu’au-delà des objets, le sport inspire des attitudes, des agencements et toutes sortes d’œuvres dont le médium n’est pas le plus important. Où l’on remarquera cependant de nouvelles formes de rapport au réel, dans un paysage artistique aux frontières de plus en plus floues et qu’il convient cependant de toujours tracer avec un maximum de précision. Où l’on défendra une conception de l’art fondée sur sa dimension anthropologique et sur sa fonction de représentation, sur son engagement. Où il sera question aussi de jeu et de combat dans un contexte social saturé de rencontres et d’affrontements.
Quelles que soient les époques, les modes de conception et de diffusion, les styles et les contenus, l’art s’affirme de nature résolument anthropologique en ce sens qu’il constitue, en tant que lieu privilégié de la production symbolique, l’un des piliers sur lesquels reposent tout groupe humain, toute société. Le modernisme, depuis les théories de l’art pour l’art au XIXème siècle et jusqu’à son acmé greenbergienne de l’après Seconde Guerre Mondiale, a conclu un peu vite à l’autonomie de l’art. Il serait plus juste, en effet, de parler à ce propos de spécificité plutôt que d’autonomie. Par spécificité nous entendons cette manière dont l’art envisage l’interrogation et la représentation du réel et qui n’appartient qu’à lui. Partant, l’art n’est ni la philosophie, ni l’économie, ni la religion, l’histoire ou la sociologie, la littérature ou le sport. L’art c’est l’art ; mais l’art n’est art qu’en tant qu’il émane des sociétés humaines, qu’il s’articule aux pratiques et aux contextes sociaux. Il n’y a pas d’art sans société et, sans doute, mais c’est une autre question, pas de société sans art.
Au tournant des 20ème et 21ème siècles, l’art et le sport appartiennent à des cultures et à des mondes différents pour ne pas dire antinomiques, mais que rien n’oblige à hiérarchiser. L’intérêt pour les liens entre art et sport ne m’est pas venu comme une bonne idée, mais plutôt, au début des années 1990, d’un constat de critique d’art. Le motif sportif, en effet, occupait tout ou partie de l’univers de nombreux artistes qui m’intéressaient et avec qui, souvent, j’avais déjà travaillé : Jacques Julien, Roderick Buchanan, Pascal Rivet, parmi d’autres. Mais bien sûr, je cherchais aussi ce qui pouvait bien, dans les œuvres elles-mêmes, rapprocher ces deux univers en apparence si éloignés. D’où le titre donné à mon premier ouvrage sur le sujet : La Beauté du geste, persuadé que dans le sport comme dans l’art, le geste est primordial, le beau geste plus encore ; le geste entendu à la fois comme l’intention et comme la forme que l’artiste (le sportif aussi bien) donne à cette intention. Est-ce à dire que les sportifs sont des artistes ? Que le sport peut devenir un art, stricto sensu ? Non. Pas plus qu’une nouvelle forme de religion, le sport n’est et ne peut devenir un art.
Le sport partage avec l’art le fait de « n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société », contrairement à boire, manger, dormir ou se protéger des intempéries, pour reprendre Hannah Arendt, qui dit encore que les œuvres d’art « existent indépendamment de toute référence utilitaire et fonctionnelle ». Cela étant, le sport et l’art ont en commun, quoique plus récemment, d’alimenter un marché énorme et une starification effrénée. Il ne s’agit pas d’affirmer que le sport ne produit pas de beauté. Les gestes sportifs, dans la plupart des disciplines, portés à un haut degré de maitrise et d’élégance, développent une esthétique propre qui séduit jusqu’à l’émerveillement. Comme certains objets naturels (les pierres par exemple dont parle si bien Roger Caillois), le sport est une source potentielle de beauté. Pour autant, dire que le sport c’est de l’art ou est susceptible de le devenir, relève d’effets de langage. « Mon boucher est un artiste », disait la pub. Si l’on considère le sens que le concept d’art a pris dans les périodes modernes et contemporaines, on peut difficilement assimiler sport et art, esthétique et art ayant cessé de se superposer. Et la passerelle de « la beauté du geste » ne suffit pas. La seule exception, me semble-t-il, advient quand un artiste décide que sa pratique d’un sport est à considérer comme sa manière de faire de l’art (on le verra plus loin avec Neal Beggs et l’escalade). C’est là, entre autres, une conséquence de la révolution opérée par Marcel Duchamp et qui montre qu’on peut faire de l’art avec n’importe quoi, c’est-à-dire avec tout. Car il n’y a pas d’art sans intention d’art et il n’y a pas d’art sans artiste assumant cette activité et la revendiquant. Quand Douglas Gordon et Philippe Parreno filment Zidane (Zidane, un portrait du XXIème siècle. 2004), ce n’est pas Zidane l’artiste, ce sont Gordon et Parreno.
Un peu d’histoire
Les jeux sportifs (olympiques, helléniques, pythiques, etc.) dans la Grèce antique constituent l’exemple le plus éclatant de l’intime imbrication du sport, de l’art et des pratiques religieuses et sociales, de tout cela qui fait davantage qu’une culture, une civilisation. La remarque s’applique également à l’Égypte des Pharaons ou à la Chine ancienne, aux civilisations précolombiennes et tout particulièrement à la société Maya. C’est toutefois sur une période plus récente qu’il convient de s’arrêter un instant. En effet, autour de 1860, l’art et le sport constituent deux des aspects essentiels de l’apparition de ce qu’on a appelé la modernité. L’année 1863, par exemple, voit en Angleterre la dissociation du rugby et du football alors qu’à Paris Édouard Manet peint Olympia avant que les impressionnistes ne sortent de l’atelier pour poser leur chevalet auprès des jockeys et des canotiers. Il s’agit de part et d’autre d’élargir les horizons de l’expérience humaine à l’orée de l’avènement des démocraties modernes, tant sur le plan des pratiques physiques et sociales que des expressions symboliques.
Par ailleurs l’ancien terme français de sport (12ème siècle), passé à l’anglais et désignant les passe-temps puis les loisirs aristocratiques, opère son retour en France en 1854 comme titre d’un quotidien, Le Sport (« le journal des gens du monde »), qui s’intéresse autant aux exercices physiques qu’aux échecs ou à la pêche. Ce qu’on appelle désormais le sport, évolue alors vers sa dimension sociale et se confondra de plus en plus, à partir de 1860, avec l’histoire de son institutionnalisation : création des clubs et des associations, compétitions, règles communes, calendriers… L’explosion du phénomène sportif peut alors être lue dans le contexte de l’affirmation du capitalisme industriel autant que de la démocratisation des savoirs et des pratiques, que de la volonté d’émancipation des masses. C’est le moment que choisit le baron Pierre de Coubertin pour restaurer les Jeux Olympiques dont la première édition se tient, en 1896, à Athènes.
Parallèlement, la modernité artistique trouve ses sources dans la peinture de plein air comme dans l’invention de la photographie. Sport/mouvement/vitesse/idéologies constituent au début du 20ème siècle le socle des avant-gardes tant politiques qu’artistiques ; le socle également des divers totalitarismes qui feront de l’art comme du sport les étendards de leurs brutales prétentions. Des avant-gardes du début du siècle à l’après Seconde Guerre Mondiale, deux artistes illustrent ce terreau commun à l’exercice de l’art et à la pratique du sport. C’est, dans la mouvance dadaïste, le poète boxeur Arthur Cravan (1887-1918), neveu d’Oscar Wilde, disparu prématurément en mer dans le golfe du Mexique après un combat aussi grotesque que mémorable, à Barcelone, contre le champion noir américain Jack Johnson. Cravan peut être considéré comme l’ancêtre des performeurs actuels ainsi que d’une conception plus large de l’art, tant il eut à cœur, dans une tradition post-nietzschéenne, de faire de sa vie une œuvre d’art. La seconde figure marquante est celle du nouveau réaliste Yves Klein (1928-1962), l’homme du monochrome et le premier Européen ceinture noire 4ème dan de judo, qui ne dissocia jamais l’exercice de son sport de celui de sa peinture.
La période contemporaine
À partir des années 1990, l’intérêt des artistes se porte à nouveau sur ce que Baudelaire appelait « la vie moderne », renouant ainsi avec ce que le Pop Art et le Nouveau Réalisme avait désigné comme la source féconde de l’art. Ces années 90, en ce qui concerne les arts plastiques, s’étaient caractérisées, entre autres choses, par un certain retour à l’expérience du réel, à l’interrogation des contextes politiques et sociaux, des pratiques décloisonnées, des mixités culturelles et de l’influence des sciences sociales. Or le sport occupe dans ce paysage une place essentielle. Il ne s’agit pas ici de juger du positif ou du négatif de cette place, simplement d’en faire le constat. Avancer que « le sport est le nouvel opium du peuple » prend certes du sens dans une perspective de sociologie critique [1], mais dans le cadre d’une observation des modalités de l’expression artistique contemporaine, il me semble plus productif de chercher à comprendre les raisons qui font du sport l’un des viviers de l’art, quitte à interroger les positions de tel ou tel artiste, les attendus et les intentions de telle ou telle œuvre. J’avancerai ici quelques possibles raisons à cette prise en compte du sport par les artistes : un important réservoir de formes, une réserve d’attitudes (dont celle du combat), une occasion de poser la question politique (appartenances et identités en particulier) ; enfin, et peut-être surtout, le moyen d’interroger le rapport de l’art au réel, c’est-à-dire la question du fil rouge qui marque la séparation de l’objet et de sa représentation.
1. Un réservoir de formes
L’univers du sport a fourni à de nombreux artistes un répertoire d’objets, de formes et d’agencements dont ils ont fait leur miel. Ainsi Jacques Julien modifiant l’articulation des combi (buts de hand et paniers de basket) pour en faire ses Herbivores, broutant paisiblement sur la pelouse du parc, Richard Fauguet matérialisant la trajectoire des balles de ping-pong en hommage aux pionniers de la chronophotographie, Laurent Perbos inventant « le plus long ballon du monde », pièce vertigineuse d’absurdité et de présence plastique. La liste serait longue ! Et tous utilisent de manière très éclectique les médiums à leur disposition : la sculpture ou la peinture, la photo, la vidéo ou l’installation. Non pas dans le but d’une quelconque illustration mais bien toujours dans l’interrogation des attendus de leurs pratiques, le sport ayant sans doute davantage à dire de l’art que l’art du sport.
2. Attitudes et mythologies
Le sport comme l’art est pourvoyeur de mythes et les artistes ont souvent fait de leur passion pour telle pratique sportive, une sorte de panthéon personnel, dans l’admiration ou dans la performance (« performance/performance » sont communs aux deux champs quoique dans des acceptions très différentes). Ainsi de Pascal Rivet sous les traits des icônes qu’il imite à la perfection, avec autant de tendresse que de drôlerie : Cantona, Barthez, Pantani, Ronaldo et jusqu’à … Mary Pierce. De son côté, Neal Beggs pratique l’escalade jusqu’à en faire son médium artistique : performance et performance en effet. Il conçoit au sein même du musée des parcours de grimpe qu’il met à disposition des visiteurs, brouillant au passage les frontières entre l’art et la réalité, et, dans le même temps, revendiquant haut et fort le statut symbolique d’une pratique qui, sorte de ready made, se voit ici déplacée dans un contexte artistique.
En 2011, l’exposition du musée des beaux-arts de Calais, L’Art est un sport de combat [2], puis dans l’ouvrage qui s’en suivit [3], se voyaient interrogées les notions de tensions et de lutte, tant sur le plan de l’art que dans les rapports politiques et sociaux. Et si l’art, lui aussi, était un sport de combat ? J’avais en tête l’ensemble des Bourgeois de Calais que Rodin avait réalisé pour la ville et qui présentaient, chacun pris séparément autant que tous ensemble, des exemples frappants de corps athlétiques et vigoureux, des combattants plutôt que des victimes expiatoires. Le Penseur lui aussi est un athlète, et cela admis, la célèbre sculpture destinée au sommet de la Porte de l’Enfer, peut être lue comme l’allégorie de l’unité retrouvée entre la concentration physique et intellectuelle, un écho moderne à l’idéal des héros d’Olympie. En observant plus précisément les artistes et les œuvres ayant trait, d’une manière ou d’une autre, aux sports de combat, force fut de constater que de nombreuses femmes en faisaient, de la boxe en particulier, une pratique personnelle et plus encore un motif essentiel de leur travail. Ce fut là un axe important de l’exposition et de la publication [4], une confirmation de l’élargissement des préoccupations des artistes et une contribution à une approche plus anthropologique des pratiques artistiques. Parmi les artistes femmes qui interrogent ces sports dits « virils », citons Salla Tÿkkä [5], Suzanna Janin, Vibeke Tandberg, et bien d’autres.
3. La question politique, communautés et appartenances
On sait à quel point le sport moderne a développé les réflexes communautaires, de la simple appartenance aux clubs (supporters et hooligans) [6] jusqu’aux manifestations des patriotismes et des chauvinismes les plus exacerbés [7]. À l’inverse, il a su favoriser les sentiments d’appartenance et de solidarité, un véritable esprit d’équipe, un sens du collectif, une culture [8]. Si Priscilla Monge [9] a pu dénoncer la violence machiste du football, les angles d’approche que les artistes adoptent sont moins dénonciateurs que descriptifs, lucides mais empathiques, souvent nimbés d’humour. L’artiste qui a le plus profondément exploré ce sentiment de communauté engendré par le sport est sans conteste l’Écossais Roderick Buchanan, par ailleurs excellent footballeur. Protestant, il n’en est pas moins fervent supporter du Celtic Glasgow, le club catholique. Ses œuvres évoquent les paysages engendrés par les stades de banlieue, la fierté des amateurs revêtant le maillot des grands clubs, ou bien encore cette incroyable vidéo (Chasing 1000) où on le voit échanger des têtes avec un ami dans le but d’en réaliser mille d’affilée. Un compteur en incrustation revient à zéro quand le ballon tombe. Les joueurs sont revêtus de tenues de basketteurs et évoluent sur un plancher de basket au son du bib bop. Superposition des cultures : le foot à New York, en terre de basket.
4. Le fil rouge (circonscription de l’art et représentation)
On l’a dit, le sport a plus à dire de l’art que l’art du sport. Quand bien même les choses évoluent, les milieux sportifs, particulièrement de haut niveau, s’intéressent peu aux derniers développements de l’art contemporain [10], et c’est à leur corps défendant qu’ils se voient utilisés par les artistes dans le but d’interroger le monde et, plus encore, de questionner l’art lui-même. On sait que l’une des questions fondamentales concernant l’art d’aujourd’hui, c’est précisément celle de sa circonscription. Il s’agit moins, en effet, de produire une définition académique de l’art que de savoir, après Arthur Danto, où et quand il y a de l’art.
Gilles Mahé joue au golf en pensant à Rudy Ricciotti (1993-1996) est sans doute l’œuvre qui s’approche au plus près du réel sans toutefois s’y fondre, sans franchir la ligne rouge qui distingue un objet symbolique de la réalité brute. En échange de son inscription au golf de Dinard, l’artiste Gilles Mahé (1943-1999) remet à l’architecte Rudy Ricciotti toutes les pièces qui touchent à sa pratique assidue du golf. Au total, plus de 300 éléments qui vont de la feuille de score au rapport du Ministère de la Culture en passant par des œuvres d’amis, des objets (tees, balles, etc.).
Les règles du jeu
S’il est un trait commun à l’art, à la littérature tout aussi bien, à la musique tout autant, et au sport, c’est bien la notion de règle ; en l’occurrence de règle du jeu. En 1999, dans Les Règles du jeu, le peintre et la contrainte [11], j’ai tenté de décrire les protocoles contraignants et souvent extérieurs à l’art, par lesquels des peintres comme François Morellet, Véra Molnar, Roman Opalka, Jean-François Dubreuil, Bernard Piffaretti, parmi d’autres, produisaient des tableaux d’une nature inédite. En arrière-plan (j’allais dire « en toile de fond ») se tenait la question de la rhétorique, celle dont usa l’oulipien [12] Georges Perec en particulier qui fit de la « servitude volontaire », pour reprendre l’expression d’Étienne de La Boétie, un formidable moteur de sa création. J’ai à nouveau traité récemment cette question dans Une Forme olympique/Sur l’art, le sport, le jeu [13]. Partant de l’affirmation de Johan Huizinga [14] selon laquelle le jeu préexiste à la civilisation, j’ai tenté de définir ce qu’est un jeu, ce qu’est jouer ; de savoir si le sport est un jeu (parfois oui, parfois non), si l’art est un jeu (parfois oui, parfois non). Affirmer enfin que ce qui unit ces trois sphères de l’activité humaine, c’est bien l’idée de la règle, de son respect (indispensable) et de sa transgression (souhaitable). C’est la loi du genre, c’est le genre de la loi.
On l’aura compris, la recherche que je mène depuis une trentaine d’années concerne avant tout le domaine de l’art. Si l’étude d’un lien, en apparence paradoxal, entre deux champs d’exercice de la vie sociale emprunte forcément à l’histoire, à l’histoire de l’art, à la sociologie, à l’ethnographie, à l’anthropologie, à la philosophie, le point de vue adopté reste en définitive celui du critique d’art. Par le choix d’un tel angle d’attaque, il s’agit bien ici, non pas d’illustrer une quelconque thématique, mais de défendre une certaine conception de l’art.
Notes
[1] En écho à la célèbre formule de Marx (« La religion est l’opium du peuple »), on songe à ce courant dit « critique » de la sociologie, et pour ce qui concerne le sport, représentée en France par Jean-Marie Brohm, par exemple.
[2] Le tire, bien sûr, provient d’un détournement de la formule de Pierre Bourdieu, La sociologie est un sport de combat, qu’il faut restituer dans sa forme complète telle qu’elle apparaît dans le film que Pierre Carles a consacré au grand sociologue : « Je dis souvent que la sociologie est un sport de combat, c’est un instrument de self défense. On s’en sert pour se défendre, essentiellement, et on n’a pas le droit de s’en servir pour faire des mauvais coups ».
[3] L’art est un sport de combat. Barbara Forest, Jean-Marc Huitorel, Christine Mennesson. 2011. Éditions Analogues.
[4] L’art est un sport de combat. Ibid. Cette question de la boxe féminine y est traitée par la sociologue Christine Mennesson : Les boxeuses mises en scène par des femmes : un révélateur des rapports sociaux de sexe.
[5] Power (1999) de Salla Tÿkkä peut être considérée comme l’une des pièces (une vidéo où l’artiste boxe en tenue masculine contre un sparing Partner) les plus significatives de ce corpus.
[6] Mickaël Correia. Une Histoire populaire du football. 2018. Réédition en 2020. La Découverte Poche.
[7] Loïc Trégourès. Le Football dans le chaos yougoslave. 2019. Éditions Non Lieu.
[8] Olivier Margot. L’Homme qui n’est jamais mort. 2020. Éditions Jean-Claude Lattès. Une biographie romancée de Mathias Sindelar, un avant-centre de génie qui, dans la Vienne des années 30, contre le nazisme, affirma les vertus de solidarité et de fair-play. Il le paya de sa vie.
[9] Avec Bola (1996), l’artiste costaricaine conçoit un ballon de football constitué pour les parties noires de cuir utilisé dans l’industrie de luxe, pour les parties blanches, de serviettes hygiéniques.
[10] L’un des contre exemples nous vient du club de football du Red Star qui, par la médiation des Nouveaux Commanditaires, fit commande au peintre Guillaume Bresson d’un fantastique polyptique en hommage au mythique stade Bauer. Un ouvrage est publié à l’occasion. Red Star/Guillaume Bresson. Textes de Horst Bredekamp, Jean-Marc Huitorel et Jérôme Poggi, 2016. Les Presses du Réel, Dijon.
[11] Jean-Marc Huitorel, Les Règles du jeu. Le peintre et la contrainte. 1999. Éditions du Frac Basse-Normandie, Caen.
[12] OuLiPo, Ouvroir de Littérature Potentielle, groupe de travail et de jeu fondé par le mathématicien François Le Lionnais et par l’écrivain Raymond Queneau dont la fonction principale est de revivifier la création littéraire par un usage renouvelé de la rhétorique et en particulier par des contraintes préalables. L’exemple le plus connu restant le roman de Perec, La Disparition, un lipogramme en e, c’est-à-dire où l’usage de la lettre e est proscrit.
[13] Jean-Marc Huitorel. Une Forme olympique/Sur l’art, le sport, le jeu. 2017. Éditions Espace d’art HEC, Paris.
[14] Johan Huizinga, Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu,1938. Gallimard, 1951. Collection Tel, 1988.