Université d’Eswatini, chercheur associé à l’University of the Free State et Coordinateur de linguistique et langues en littérature moderne à l’Institut d'enseignement à distance de l’Université du Swaziland.
Introduction
Comme le note Imen Kacem (2016), l’auteure et baronne[1] belge Amélie Nothomb fait une adaptation mythologique de sa vie à travers son œuvre littéraire en général et à travers ses autofictions en particulier.
L'introspection humaine ou l’autoréflexion est la capacité des humains à faire preuve d'introspection et la volonté d'en apprendre davantage sur leur nature, leur but et leur essence. Dans cette contribution il s’agit d’analyser comment Nothomb combine autoréflexion et mythologie dans ses écrits autofictionnels afin de mieux comprendre pourquoi l’écriture est tellement importante pour elle et en quoi l’autofiction lui permet de communiquer avec ses lecteurs.
Alors que la plupart des critiques parlent d’autofiction au sujet de l’œuvre de l’auteure belge Amélie Nothomb (Amanieux, 2009), deux exceptions sont à noter, à savoir celle d’Amanieux qui préfère utiliser le terme de roman biographique et celle de Nothomb elle-même qui parle d’autobiographie quand elle désigne son écriture (Biographie de la Faim : 228-229). Personnellement, je parle d’autofiction car cela décrit bien le mélange et la transposition romanesque de certains éléments du vécu de Nothomb et le rendement fictionnel qu’elle en fait.
Dans cette contribution je vise en particulier l’autofiction comme moment d’autoréflexion lié à la formation d’une mythologie personnelle, qu’Hélène Jacommard a décrit, en 2003, comme Self in fabula et que Nothomb même avait déjà annoncé en 1997 lors de son entretien avec Helm : elle aspirait à « une écriture qui puisse redonner vie à Eurydice » (Helm, 1997 : 151), une vie dans un monde de substitution, entre réel / factuel et fictif / fictionnel.
Nothomb a clairement dépassé cette première aspiration personnelle, à travers la construction mythologique de sa personne-auteure et les thématiques choisies ; on peut faire allusion au mythème ou principe fondamental d'un récit mythique, d'après Claude Lévi-Strauss.
Parmi les thèmes de prédilection de Nothomb il y a la solitude et l’univers en huis clos, les relations interpersonnelles (enfant-mère-père, homme-femme), le corps humain avec sa beauté, sa décadence, l’alimentation, la mort, le langage, les connotations bibliques et mythologiques, le dédoublement et l’autosimilarité (la mise en abyme, le choix des personnages) et l’intertextualité.
Comment Nothomb combine-t-elle tout cela ? Une des stratégies privilégiées de l’auteure est la variation et la répétition qui sous-tendent sa présence dans ses narrations, son Self in fabula.
Le Self in fabula d’Amélie Nothomb
C’est à partir d’un dialogue incessant entre l’auteure et ses narrateurs, l’auteure et ses personnages, l’auteure et sa mémoire, l’auteure et ses fantasmes, à travers une conversation continue au sein de son écriture, que Nothomb se fabule, se met en scène, se coupe en petits morceaux, en fragments afin de mieux se reconstruire, afin aussi de laisser aux lecteurs (le choix de) la recomposition de son être.
Chez Nothomb, la (re)création de soi passe par une mise en place et une réécriture consciente de plusieurs mythes, notamment le mythe du Japon, le mythe de la Belgique, la mythologie biblique[2] et des sociétés gréco-latines (Orphée[3], Eurydice, Prométhée, …), les mythes fondateurs de la féminité, ... La mise en place de plusieurs figures mythiques et des principaux mythèmes liés permet à Nothomb de « recevoir et de rompre à la fois le fil de l’héritage culturel » (Collin citée dans Rétif, 2002 : 193), un héritage culturel double (au moins) car japonais et belge dès le début.
Par la stratégie palimpseste, qui selon Oberhuber « consiste en la reprise, en tout ou en partie, d'un texte antérieur, donné comme "original" ou "modèle" (hypotexte), en vue d'une opération transformatrice dont le degré d'affranchissement, d'explicitation ou de subversion est variable » (Oberhuber, 2004 : 11) de sa pratique d'écriture, Nothomb fait plusieurs rapprochements intertextuels à travers la reprise de certains fragments de la Genèse biblique, de contes et de nombreux mythes tels que celui de l’Éden et de l’âge d’or, qui sont détournés, parodiés et recontextualisés. D'Ovide à Gérard de Nerval, Cocteau et Balzac, en passant par Perrault (Barbe Bleue et Riquet à la houppe sont deux romans de Nothomb basés sur une réécriture « endémique du sempiternel combat entre beauté et hideur, monstruosité et normalité, « masculin » et « féminin » » (Oberhuber, 2004 : 116) des contes de Charles Perrault), Victor Hugo, les intertextes choisis par l'auteure se démarquent par leur disparité : « L’œuvre d’Amélie Nothomb n’est pas seulement nourrie par une lecture assidue de la littérature classique et de la Bible, mais aussi par une réflexion constante sur les mythes » (Zumkir, 2003).
Le mythe du Japon – que Kacem lie au mythe de la chute (et de l’ascension – ce qui était prévisible vu la prédilection nothombienne de la dualité[4]) commence en terre d’enfance : la représentation littéraire de l’entrée au Paradis à travers l’autofiction. Les connotations bibliques (le Christ est un personnage romanesque, son double féminin devient une Antéchrista, cf. le titre et le contenu de l’autofiction nothombienne de 2003) et mythologiques sont des point forts du style nothombien. Nothomb est loin d’être indifférente à l’égard de la religion, elle développe souvent une analogie entre Dieu et elle-même (l’analogie étant confirmée entre la majorité de ses personnages et entre elle-même, d’où le terme autosimilarité nothombienne – autofiction).
Si le mythe de la chute est un destin (voir, entre autres, Métaphysique des Tubes), celui de l’ascension est un choix, parfois voué à l’échec.
Comment et pourquoi l’autofiction est-elle une terre factice pour la construction des mythes personnels ? Marie-Catherine Huet-Brichard (citée par Kacem, 2016 : 13) résume ainsi le lien entre texte et mythe : « Le mythe faisant éclater les structures closes du texte littéraire et le texte offrant au mythe le lit de ses multiples métamorphoses. Interroger l’histoire de ces liens complexes et les raisons de cette liaison hors nature, c’est, d’une façon oblique, réfléchir sur la finalité de la littérature. »
L’autofiction, la mythanalyse[5]/psychanalyse, l’autoréflexion et la mythologie personnelle
En 1977, Serge Doubrovsky est le premier à parler d’autofiction ; il est aussi le premier à démontrer le lien entre l’autofiction, la réflexion personnelle et la psychanalyse. Une des raisons principales de la découverte de ce lien est que l’auteur et le critique Doubrovsky a « inventé » le terme d’autofiction après une séance psychanalytique mais aussi parce que sa façon d’écrire se base sur les aspects thérapeutiques de l’écriture. Doubrovsky fait correspondre psychanalyse et match de boxe (1988).
Pour Nothomb, l’écriture est un instrument thérapeutique, une cure psychanalytique ; la recherche de sa vérité, de son authenticité est liée, chez cette auteure, à la petite enfance, au début de la quête identitaire, au stade du miroir lacanien, à la synthèse dialectique que fait / doit faire le « je » lorsqu’il ressent la discordance entre sa réalité et la vraie réalité (quoi qu’elle soit). Jeu incessant entre la réalité et la fiction, le réel et l’imaginaire, la fiction et le véridique.
Il est ainsi clair que la recherche identitaire est la clé de voûte de l’écriture autofictionnelle que pratique Nothomb. Qui dit recherche identitaire, dit interrogation identitaire, investigation du soi, réflexion par rapport au moi, et qui dit réflexion, dit mémoire, dit fantasme, dit mythe, dit mythologie personnelle. Comme le dit Nothomb dans Métaphysique des tubes : « Il fallait que je me fasse à cette idée : je n’étais pas crédible. Ce n’était pas grave. Au fond, cela m’était égal, qu’on me croie ou non. Je continuerais à inventer, pour mon plaisir. Je me mis donc à me raconter des histoires. Moi au moins, je croyais à ce que je me disais. » (MT : 127).
Cette mythologie identitaire se retrouve dans ses textes[6] (c’est sur cela que le présent article se concentre) mais elle va au-delà : la construction du mythe nothombien se fait par les rituels (le thé, les lettres aux lecteurs) et par le port de grands chapeaux et de maquillage gothique aussi[7].
Analysons brièvement certains de ces mythes personnels nothombiens. Il s’agit tout d’abord du mythe du Japon. En 2000, Nothomb publie Métaphysique des tubes (MT) dans lequel l’auteure situe le Paradis terrestre, l’Eldorado, au Japon, sa terre natale. Cette terre mythique est liée pour elle au regard, au plaisir, à la formation identitaire : « Être japonaise signifiait être l’élue » (MT : 57), c’est-à-dire avoir l’accès aux trésors de l’Eldorado : « s’empiffrer des fleurs exagérément odorantes du jardin mouillé de pluie, […] s’asseoir au bord de l’étang de pierre, […] regarder, au loin, les montagnes […] » (MT : 57).
Le mythe du Japon en tant que paradis sur terre se transforme lorsque Nothomb y retourne plus tard dans sa vie (après un échec social en Belgique, terre où elle aurait dû se sentir « chez elle ») pour travailler dans une entreprise, situation qu’elle décrit dans Stupeur et Tremblements (ST). Travailler est le motif prédominant de la société japonaise, c’est ce qui donne du sens à l’existence du Japonais car « aux yeux d’un Japonais, on ne travaille jamais trop. » (ST : 105). Ce mythe s’effondre cependant, parce que le travail décrit dans le roman s’avère très souvent superflu ou inutile (le personnage principal – l’incarnation ou la réincarnation d’Amélie Nothomb même doit travailler en tant que « madame pipi » à un certain moment). L’expression « pour avoir l’air de travailler » (ST : 17) et les occupations absurdes (apprendre la liste des employés par cœur, travailler comme « avanceuse-tourneuse de calendrier », photocopier dans « la stupidité répétitive », etc.) en sont les témoignages. Nothomb transmet visiblement son jugement de valeur (négative). Immédiatement après, le mythe de la modernité japonaise s’écroule aussi, à savoir au moment où la narratrice apprend que la comptabilité de l’entreprise japonaise où elle travaille n’est même pas informatisée.
En revanche, là où les mythes sur l’état japonais échouent, le mythe personnel commence à prendre de l’importance. Ainsi, Nothomb se voit en tant que héros mythique à la page 78 : « J’étais le Sisyphe de la comptabilité et, tel le héros mythique, je ne me désespérais jamais, je recommençais les opérations inexorables pour la centième fois, la millième fois. » (ST : 78). Elle retrouve l’aspect héroïque et divin presque de celui de son enfance au paradis japonais où elle était adorée par tout le monde.
Dans Ni d’Eve ni d’Adam (2007) (NENA), autre autofiction mettant en scène la vie privée de l’auteure, Nothomb se retrouve en reine, en femme supérieure, divinisée, elle est Danasama (Excellence) – comme elle était divinisée dans Métaphysique des tubes grâce à son statut d’enfant. Et le mythe du Japon apprécié par le lecteur dans les autofictions précédentes se transforme une fois de plus : à travers le personnage de Rinri le lecteur est confronté à un Japon voué à l’ouverture, prêt à aller à la rencontre d’autres cultures, contrairement à l’idée occidentale que c’est un pays plutôt enfermé : « Je compris à quel point il était japonais : il avait cette curiosité sincère et profonde pour tous les phénomènes culturels étrangers. C’est ainsi que l’on trouve des Nippons spécialistes de la langue bretonne du XIIe siècle et du motif du tabac à priser dans la peinture flamande. » (NENA, p. 172) (Ferenc, 2010 : 89).
Je n’analyserai pas le mythe de la Belgique ou des parties belges de l’identité d’Amélie Nothomb dans cet article. Cela a été fait – et bien fait – par d’autres chercheurs. Il suffit ici de citer Marc Quaghebeur (1980 : 520) : « L’impossibilité d’homogénéiser hâtivement langue, culture et nation, ou de se référer à une matrice historique mythique interdit en effet tout recours à quelque âme du peuple comme à une participation univoque au développement « éternaliste » de la littérature française. […] les lettres belges de langue française constituent dès lors un champ d’investigation exceptionnel pour qui accepte, sans œillères et facilités, de bien vouloir repenser le statut de l’écriture entre langue, histoire et culture. », et de se rappeler que Nothomb écrit au sein de ce champ littéraire « entre langue, histoire et culture ».
Plusieurs récits nothombiens sont organisés tels des récits mythologiques. Un bon exemple de ce procédé est celui du Comte de Neville (2015) (CN) qui s’inspire du Crime de Lord Arthur Savile d’Oscar Wilde et d’Antigone de Sophocle. Ce texte, tel un récit mythologique dont l’annonce rend l’issue meurtrière inévitable, récite l’histoire de la fille du comte, Sérieuse, à l’image d’Iphigénie, sœur d’Electre et d’Oreste, personnage mythique condamné du fait même de sa parenté. Ici aussi, il s’agit d’une autofiction : un récit imprégné de faits réels (Nothomb est, comme son personnage principal Sérieuse, issue du milieu noble belge et les parents de substitution, les Neville, sont proches des Nothomb, une famille noble dans la réalité et même dans la fiction), mais aussi de fictions lues, les références aux œuvres d’Arthur Rimbaud et de Oscar Wilde sont les plus évidentes, et de fantasmes d’enfant réinventant ses parents lors de la recréation du roman familial.
Le rapprochement entre la mythologie grecque et sa réécriture nothombienne devient rapidement visible : dans la mythologie grecque, le roi Agamemnon doit sacrifier sa fille Iphigénie pour apaiser les dieux. Dans l’autofiction de Nothomb, le comte de Neville a l’intention de tuer sa fille Sérieuse qui, comme Iphigénie dans la mythologie, est sœur d’Electre et d’Oreste. Une prédestination donc, surtout lorsque le lecteur apprend qu’on avait interrogé le comte, à plusieurs reprises, « sur le prénom de la petite dernière en s’étonnant qu’il n’ait pas eu la cohérence de l’appeler Iphigénie » (CN : 22). Telle Iphigénie, la Sérieuse autofictionnelle doit mourir comme cela est écrit, comme cela est ordonné par le destin. Le comte s’y résout car : « […] il faut croire que quand on a appelé ses aînés Oreste et Electre, l’impulsion est si forte que quel que soit le prénom de la troisième, le destin se met en branle » (CN : 88).
Chaque année, Nothomb publie un nouveau roman ou une nouvelle autofiction par lesquels elle creuse son identité, elle répète certains traits et ajoute d’autres éléments agissant ensemble dans la construction identitaire de l’écrivaine. Une forme de vie (2010) reprend certains mythes alimentaires chers à Nothomb : la boulimie, l’anorexie qui font partie de sa mythologie. Des maladies corporelles que Nothomb cherche à exorciser grâce à l’écriture.
Dans Frappe-toi le cœur (2017 ; le titre renvoie de façon intertextuelle à la réplique d’Alfred de Musset : « Frappe-toi le cœur, c’est là le génie »), Nothomb déconstruit le mythe de la relation mère-fille. L’amour maternel communément vu comme inconditionnel devient ici un jeu de manipulation, de jalousie, de culpabilité.
Son dernier roman, Les prénoms épicènes (2018), n’est pas une autofiction. Néanmoins, il est utile de souligner le mécanisme narratologique à caractère mythologique dans le simple acte de conversion d’un nom commun en nom propre, celui d’Epicène, le personnage principal, fille de Dominique et Claude, qui hérite son nom lorsque ses parents prennent conscience de leur propre identité. Ces parents accouchent en quelque sorte de leur métaphore, tout comme Nothomb accouche d’elle-même, grâce à l’écriture répétitive, lorsqu’elle publie son prochain livre.
Une fois de plus, Nothomb démontre l’inextricabilité du rapport entre image et identité par le biais de l’autofiction, de l’autoréflexion, de la double identification ainsi que par celui de psychanalyse moderne qui demande de l’individu de porter un regard sur soi, sur les tabous qui l’entourent (l’inceste, le parricide, le meurtre de son fils ou sa fille, le narcissisme qui est aussi la source de la connaissance par soi, en soi et de soi).
La mythologie et l’autoréflexion autofictionnelles aux fins de la communication avec son lectorat
Lors de l’acte de l’écriture, Nothomb se métamorphose en enfant : « J’écris quatre heures par jour, ça signifie que quatre heures par jour, je suis enfant » (Lambert, 1999 : 25).
La naissance de l’écrivain prend la dimension d’une « mythologie » à laquelle assistent les spectateurs, lesquels représentent les lecteurs que seul le texte pourrait rassembler avec l’auteure.
Conclusion
La présence du récit mythique au cœur de l'œuvre littéraire nothombienne se trouve à la base même de la pratique créatrice de l'auteur. La conception du mythe de Gilbert Durand qui considère que « [le mythe est] fond[é] sur la redondance [...] et l'art des « variations » où le « même » adopte les colorations de l' « autre » : [le] mythe [...] propos[e] par cette puissance de répétition qui I[e] constitue, une vérité constamment ouverte. »(Durand, 2001 : 327) se retrouve dans l’écriture de Nothomb qui n’arrête pas de se répéter, de se (re)construire, de se réfléchir, de se refléter (je ne parle pas de l’importance du miroir ici, mais cela a été abordé dans beaucoup d’études déjà car des romans nothombiens comme Mercure s’organisent autour de la thématique du miroir).
D’accord avec Kacem (2016), les mythes nothombiens s’avèrent être des pré-textes ; le vrai mobile de l’auteure est l’écriture. La vraie vie, celle qui est matérialisée par les métaphores de l’Ascension et de la Chute est la littérature.
Nommer (écrire le monde) et s’écrire : ce sont les deux piliers fondamentaux de l’écriture nothombienne – un jeu de dédoublement constant. Le dédoublement dans la fiction – personnages autosimilaires – et le dédoublement dans la réalité – identité japonaise versus identité belge (occidentale) – font partie de la doxa nothombienne.
Se confronter au japonisme (l’affluence et l’intrusion de la culture japonaise dans la culture occidentale et notamment son implantation dans la littérature) est, pour Nothomb en particulier, le fait de se métamorphoser, en d’autres termes, c’est un mécanisme « où s’opère un certain ébranlement de la personne, un renversement des anciennes lectures » (Barthes, 2007 : 14), voire une mise en question constante de l’identité.
Amanieux affirme que Nothomb inscrit « le thème du double entre comique et tragique, entre une valorisation du mythe et sa désacralisation par la dérision. » (2009 : 174). Quel que soit le mythe, Nothomb n’hésite pas à jouer avec les données mythiques au profit de ses textes. Elle les adapte à sa situation et parle même d’un « remake » (Nothomb, 2007 : 57) du mythe, lequel s’avère un matériel de jeu qui lui garantit une traduction fidèle du réel – de son réel autoréflexif et autofictionnel.
Outre la mythologie biblique[8], le double mythe de la chute et de l’ascension nothombiens, il y a le mythe englobant d’une écrivaine condamnée « à l’ascension à l’apogée du paradis textuel afin de choir fatalement dans un réel infernal » (Kacem, 2016 : 14). Le jeu, mythologique, mémoriel ou encore fictionnel, proposé par Nothomb dans ses autofictions, le jeu semble fonctionner comme un substitut subjectif de la vraisemblance, si bien que l’adhésion à un monde fictionnel se traduit presque toujours par l’adoption de pratiques sociales mimétiques. Ceci s’ajoute au système paratextuel, au jeu médiatique que joue Nothomb dans le simple but de brouiller les pistes entre réalité et fiction.
Bibliographie
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Péplum, 1996, Paris, Albin Michel.
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Une forme de vie, 2010, Paris, Albin Michel
Tuer le père, 2011, Paris, Albin Michel
Barbe bleue, 2012, Paris, Albin Michel
La nostalgie heureuse, 2013, Paris, Albin Michel
Pétronille, 2014, Paris, Albin Michel
Le crime du comte Neville, 2015, Paris, Albin Michel
Riquet à la houppe, 2016, Paris, Albin Michel
Frappe-toi le cœur, 2017, Paris, Albin Michel
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Oberhuber, Andrea, Réécrire à l’ère du soupçon insidieux : Amélie Nothomb et le récit postmoderne, Études françaises, vol. 40, no. 1, 2004, pp. 111-128.
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Zumkir, Michel Amélie Nothomb de A à Z : portrait d’un monstre littéraire, Bruxelles, Éditions Le Grand Miroir, Collection une vie, 2003.
Notes
[1] Elle a été nommée baronne en 2015 par le roi belge Philippe.
[2] Même si plusieurs critiques, donc Saunier (2010) ont souligné que les paroles de rupture de Nothomb sur la religion peuvent être appréhendées comme un des éléments de la construction de sa posture d’écrivaine : celle-ci construirait son originalité et sa légitimité en tant qu’artiste en empruntant au mythe du « créateur incréé » bourdieusien (1988).
[3] Voir à ce sujet, entre autres Dewez (2003).
[4] Kacem note le suivant sur Ni d’Eve ni d’Adam : « Face à la dureté d’un destin qui la voue à la chute, Amélie Nothomb a créé le mythe de l’Ascension. Elle crée à partir d’éléments réels un décor mythologique et elle se convertit à son tour en personnage mythique » (Kacem, 2016 : 7). Sur la dualité dans l’œuvre de Nothomb, voir, entre autres, Armanieux (2009).
[5] Selon Gilbert Durand, la mythanalyse est « une méthode d'analyse scientifique des mythes afin d'en tirer non seulement le sens psychologique, mais le sens sociologique » (Durand, [1979] 1992: 313).
[6] Même dans des textes clairement non autofictionnels, comme Péplum, Nothomb fait de sa propre personne le personnage principal d’un récit manifestement fictif et souligne ainsi la vraisemblance problématique de son texte tout en appelant à la croyance du lecteur. Elle utilise les ressorts de la fiction, entendue comme un « monde possible », au sens défini par Lavocat, d’« état de choses alternatif, défini par l’œuvre, qui devient le monde de référence du lecteur ou du spectateur à partir duquel sont accessibles d’autres mondes possibles, actuels ou fictionnels » (2009).
[7] Voir, entre autres, Ferreira-Meyers, K. « L’invention médiatique et la construction identitaire au sein du genre autofictionnel : le cas Nothomb », in French Studies in Southern Africa, No.42, 2012, ISNN 0259-0247, pp. 41-65 ; Ferreira-Meyers, K. « L’invention médiatisée de l’identité chez l’autofictionnaire belge Amélie Nothomb », in Actes du Colloque L’autofiction dans la littérature française extrême contemporaine, 8-9 février 2011, Téhéran : Presses de l’Université de Téhéran, pp. 107-126.
[8] Hélène Marcotte, L'Intertexte religieux et mythique dans Métaphysique des tubes d'Amélie Nothomb, in Ana Clara Santos (dir.), Descontinuidades e conjuências de olharesnos estudos francànos, vol. l, Université d'Algarve, 2010, pp. 417-426.