L'esigenza d'attualità della mitanalisi
A cura di Hervé Fischer - Ana Maria Peçanha - Orazio Maria Valastro
M@gm@ vol.16 n.2 Maggio-Agosto 2018
Atti del convegno In cerca di mitanalisi
Convegno internazionale di studi sulla teoria mitanalitica
23 Ottobre 2017 - Università Paris Descartes
L'ERRANCE POÉTIQUE DANS L'ÉCRITURE AUTOBIOGRAPHIQUE CONTEMPORAINE
Orazio Maria Valastro
presidente@analisiqualitativa.com
Sociologo e ricercatore indipendente, formatore e consulente autobiografico, specializzato nell'immaginario della scrittura autobiografica, nasce a Catania nel 1962, dove risiede attualmente, dopo aver vissuto in Francia per diversi anni. Ha studiato sociologia in Francia, laureandosi alla Sorbona nel 1995, all’Università Paris Descartes, e conseguendo nel 2011 un dottorato di ricerca all’Università Paul Valéry a Montpellier. Si è inoltre perfezionato, nel 2000, in Teoria e analisi qualitativa nella ricerca sociale all’Università La Sapienza di Roma. Nel 2002 ha fondato e dirige in qualità di direttore scientifico M@gm@ Rivista internazionale di scienze umane e sociali. Dal 2005 dirige gli Ateliers dell'immaginario autobiografico dell'OdV Le Stelle in Tasca (Catania) e dal 2012 è il presidente del premio Thrinakìa - premio internazionale di scritture autobiografiche, biografiche poetiche, dedicate alla Sicilia. Affiliato alla Société Internationale de Mythanalyse (Montréal, Québec-Canada) le sue rricerche sono prevalentemente incentrate sulla pratica contemporanea della scrittura autobiografica, sull'immaginario nella scrittura di sé, l'immaginario delle memorie collettive e dei patrimoni culturali immateriali, studiati come espressione privilegiata per comprendere le relazioni umane e la società.
Atelier esperienziale Immaginare per comprendere il mondo L’esperienza dell’erranza vissuta nella creatività autobiografica Disegno: Ian Dimitrescu - Liceo Artistico Statale Emilio Greco Ateliers dell'immaginario autobiografico © OdV Le Stelle in Tasca |
Éendues d'errances aux frontières de l'invisible [1]
« Extérieures aux routes maritimes, échappant aux règles et au tempo de la navigation, inconnues des pilotes et hors de leur atteinte, ces étendues d'errance, avec les êtres qu'on y rencontre, tous coupés du reste de l'univers et enfermés dans leurs espaces de solitude, ne représentent plus les périls du lointain : ils sont la figure de l'inaccessible » (Vernant 1997 : 32).
Quel est le mythe dans lequel tu te reconnais ?
Je me surprends aussitôt à narrer mon histoire, regagnant cette errance balisant de fourmillants accès le long de mes expériences de vie.
Une chère amie en voyage en Sicile [2], où est né son grand père paternel, enchantée par le paysage offert par les monts Madonie tout en dirigeant le regard à la recherche du volcan Etna que nous avons laissé derrière nous, explorait la neige du mois de janvier recouvrant ces lieux originaires. Elle me regarde soudainement, sortant d'un rêve éveillé à la poursuite silencieuse de réminiscences et narrations jamais connues, en traçant un chemin imaginaire et en évoquant d'autres voies souterraines, toutes aussi invisibles, reliant les singulières formations géologiques. Le temps, pour un bref instant, aussi imperceptible qu'extraordinaire, figé entre la neige atteinte par les rayons du soleil et la surface de la route se dévoilant à peine sous la conduite attentive, allait nous révéler des présences vitales reliant des univers existentiels apparemment aussi distants et méconnus.
J'écoute en silence absorbé par ses mots et lentement je me surprends à plonger, moi aussi, dans les sentiers imaginaires tracés et parcourus avec une intensité égale, me révélant des présences transcendant les limites individuelles pour rétablir relations et narrations compromises par la vie ou la mort. « Quel est le mythe dans lequel tu te reconnais ? » Sa voix, berçant l'imagination, me ramène doucement à moi-même, alors que nous errons à la recherche d'une route remontant les montagnes, tandis que la neige résiste avec passion à la faible chaleur du soleil dissimulant le mystère renfermé dans nos histoires de vie. « Ulysse », j'ai répondu, sans aucune hésitation. Elle essayait de comprendre les sentiments ayant généré mon engagement dans la création d'une organisation de volontariat [3], accompagnant à faire l'expérience de la narration et de l'écriture de soi. Je me surprends aussitôt à narrer mon histoire, regagnant cette errance balisant de fourmillants accès le long de mes expériences de vie, avec l'espérance dans le cœur.
Un Ulysse postmoderne se dévoile dans ce mouvement d'errance poétique
Ces femmes et ces hommes, naviguant au-dessus du flux de l'existence entre désespoirs et bonheurs, vont se faire emporter par le mouvement de l'écriture de soi le long d'étendues d'errance.
Pourquoi Ulysse ? Notre société occidentale nous a coupés du rythme de la vie, bâtissant la modernité sur la scission réitérée entre pensée rationnelle et mythique, entre raison et esprit, entretenant, d'autre part, ce désir collectif de se mettre en quête de narrations pour retrouver l'amour envers le monde et la vie elle-même. N'avez vous pas ce même sentiment que moi, dans votre vie personnelle et professionnelle ? Émergent ainsi des nouvelles postures existentielles (Maffesoli 2004) au sein d'une socialité fragile et fragilisée, à saisir également dans l'expérience contemporaine d'enfanter le corps autobiographique. Ces femmes et ces hommes, naviguant au-dessus du flux de l'existence entre désespoirs et bonheurs, vont se faire emporter par le mouvement de l'écriture de soi le long d'étendues d'errance, sillonnant trébuchements et égarements. Cette errance infligée à la figure mythique d'Ulysse, survécu et épargné dans son voyage aux frontières de l'inaccessible où règnent les puissances nocturnes, étant destinée à être chantée par les poètes pour demeurer dans la fidélité à soi-même (Vernant 1999), à la mémoire de son passé et au désir du retour à sa patrie, elle est à présent métamorphosée en errance poétique dans la nostalgie (nostos, le retour, et algia, la douleur) (Durand G. 1997).
Un Ulysse postmoderne se dévoile dans ce mouvement d'errance poétique, en cela réside la véritable modernité (Calvino 1995) d'une télémachie n'étant pas la narration du retour d'un héros épique, ainsi que dans l'errance du fils Télémaque à la recherche de récits sur l'histoire du père, mais représentant les narrations d'une humanité, des femmes et des hommes partageant et suscitant des émotions, avec leurs souffrances et jouissances. Le retour dans la souffrance d'héroïnes et héros ordinaires (Valastro 2012), destinés à traverser la vie et se reconnaitre dans une histoire, c'est un voyage entre la lumière de la réciprocité humaine, se découvrir soi-même et saisir cet autre qui est en nous et en dehors de nous, et le ciel nocturne du sentiment tragique de l'existence. Il n'y a pas de retour possible avançant dans la mémoire et les oublis de jours difficiles, il faut errer poétiquement pour concilier la souffrance sociale et l'inquiétude existentielle, nous approchant des frontières de l'invisible tout en craignant de rester fidèles à une histoire de fixité existentielle. « Regarde l'invisible et tu sauras quoi écrire » [4]. Cette errance poétique chante l'amour, esquissant ce désir inconnaissable qu'expérimente ce qu'on ne voit pas encore, transitant du sentiment tragique de la condition humaine à une nouvelle présence à soi-même et au monde, pour demeurer dans la joie de vivre.
Orazio Maria Valastro con Hervé Fischer e Ana Maria Peçanha In cerca di mitanalisi Convegno internazionale di studi sulla teoria mitanalitica 23 Ottobre 2017 - Università Paris Descartes |
Le genre autobiographique confronté à l'errance a-dogmatique
« 30 juillet 1915 - Voir dans tout homme s'approchant de nous son cœur, lire son état d'âme sur son visage, le comprendre et l'entourer d'affection fraternelle ; se sentir reliés par une solidarité infinie le dévoilant à nous-mêmes comme un être intime, avec lequel nous avons vécu en communion de sentiments ; considérer tous les hommes, proches ou lointains, en tant qu'amis et frères, et non pas comme des étrangers. Avoir pour tous de l'affect et une pensée délicate, même si les autres ne sont pas ainsi avec nous, ou ne se soucient pas de notre pensée ; se sentir toujours rassasiés par la joie sublime d'aimer ou d'être aimés. Voici la poésie douce et gentille de mon idéal » (Misèfari 1973) [5].
Ce désir de délivrance d'un imaginaire fondé sur l'exclusion de l'altérité
Une errance a-dogmatique de récits cheminant entre la magie incantatoire d'un imaginaire nocturne, avec sa vocation de communication entre les êtres et le monde.
Le récit du poète homérique chante les errements se laissant cerner par le langage mythique, ainsi, et c'est la question essentielle que je vais considérer pour saisir la pratique contemporaine de l'écriture autobiographique (Valastro 2013), les récits de vie organisant métaphoriquement l'errance dans le mouvement de l'écriture de soi, vont atteindre l'expérience vive des femmes et des hommes instaurant un imaginaire nocturne composant symboliquement sentiments et pensées. En suivant la thèse postulée par Gilbert Durand (Durand G. 1996) autour du divorce entre le mythe et la poésie, repéré sociologiquement et historiquement dans la ségrégation de l'art, et dans la désaffection envers les mythes au profit du dogmatisme diurne de la représentation du progrès technique, j'ai structuré un dispositif pédagogique d'accompagnement à la narration et l'écriture de soi et une méthode de compréhension des textes créés. Un lyrisme social s'éclaircit, à partir de cette expérience de recherche expérientielle-empirique transformationnelle [6], révélant une errance cheminant dans une contemplation extérieure des histoires de vie. Cette distanciation est disséminée d'incessants aller et retour, nous plongeant dans une temporalité vécue pour revenir de nouveau à l'extérieur du flux de l'existence, sollicitant une conscience imaginante (Bachelard 1968) à créer et vivre des images poétiques. Des images évoquées par des sentiments, des émotions, des réminiscences, et composées métaphoriquement dans une pratique de l'écriture orientant un regard rêveur et créatif sur la relation avec soi-même et les autres. Le récit de ces femmes et ces hommes est ainsi une interpellation existentielle en solitaire questionnant le modèle de la séparation de la modernité, un imaginaire diurne de l'opposition et de la division, tout en élaborant un chant collectif d'amour, un imaginaire nocturne de la compréhension et de la relation, alternatif aux modèles de rationalité politique et économique.
La poétique libertaire, créatrice et dissidente, du journal d'un déserteur de Bruno Misèfari, anarchiste italien, écrit en 1918 dans la prison de Zurich, c'est un signe parmi d'autres du réenchantement généré par ces poétiques contemporaines de la dissidence [7] ambitionnant à soustraire le corps autobiographique à l'enfermement dans un temps et un espace existentiel bouclé sur nous-mêmes, pratiquant un exercice concret d'existence dans l'élaboration d'une pensée sur la vie en mesure de générer solidarité et réciprocité, sentiments fondés sur une connaissance réciproque de soi-même et des autres. Je me reconnais dans cette expérience, ayant été un déserteur moi-même dans les années quatre-vingt, poursuivant un chemin d'errance a-dogmatique fait d'exils et emprisonnements, privations et recommencements. Je reconnais aussi dans la figure du déserteur la tentation de réconcilier la figure du poète avec celle du guérisseur, ainsi que dans la mythologie de Jean Giono de la dernière version de son roman sur le déserteur (Miaillet 1983), proche du désir de délivrance d'un imaginaire fondé sur l'exclusion de l'altérité. Une errance a-dogmatique de récits cheminant entre la magie incantatoire d'un imaginaire nocturne, avec sa vocation de communication entre les êtres et le monde, et la fascination de guérir de la haine envers l'autre, par l'exigence vitale d'amour qui nous lie aux autres et sollicite la rencontre avec l'autre.
Une connaissance de soi vouée à l'inachèvement
Une d'errance a-dogmatique puisque elle se résout dans une quête de soi et de sens s'éloignant de la recherche dogmatique d'une réalité intime et d'une vérité du sujet.
Les artistes, écrivait Friedrich Wilhelm Nietzsche (Nietzsche 2007), nous ont donné des yeux et des oreilles pour voir et entendre, avec aussi du bonheur, la vie que nous avons vécu, ainsi, les femmes et les hommes faisant aujourd'hui l'expérience de l'art autobiographique, vont nous permettre de nous regarder d'en haut, pour éprouver l'expérience vive de la douleur et de la joie, partageant le clair-obscur de l'existence. Les doutes et les hésitations nous accompagnant dans la mise en forme esthétique de la vie, interpellent l'effort de sortir de soi, quittant une présence égoïque au monde, et la tension de la création narrative pour réenchanter la vie et parvenir à la sérénité dans la joie esthétique. Cheminant comme un funambule on se retrouve à déserter les allées du temps, à sortir de la temporalité du quotidien en regardant de l'extérieur notre histoire de vie, et nous avançons en tâtonnant sur le flux de l'existence, essayant de concilier la part d'ombre de l'existence avec l'amour envers la vie. Nous allons jeter «la corde de l'amour» [8] de l'autre coté de la profondeur de l'inachèvement de l'humain, pour faire de l'amour envers la vie un travail d'écriture de nature esthétique et éthique [9].
Les femmes et les hommes modernes apparaissent comme profondément inachevés (Lapassade 1963), assumant pourtant cet inachèvement par la pratique de l'écriture de soi avec ses entrées bariolées dans le flux de l'existence situant la personne (Hess 1996) en tant que figure du collectif, s'appropriant de moments investis de significations, sociologiques et anthropologiques, de fragments de soi dans sa relation à la totalité des moments évoqués. Les études de Georges Gusdorf sur l'autobiographie (Gusdorf 1948 - 1975 - 1990 - 1991) repèrent dans ce genre d'écriture une connaissance de soi vouée à l'inachèvement, s'accomplissant nécessairement dans l'infidélité d'une reconstitution de l'existence et dans le devoir de demeurer fidèle à soi-même, ainsi qu'à ses erreurs, pour rester fidèle au mouvement même de la vie. La difficulté et le malaise éprouvés par ces écrivains ordinaires à se reconnaitre dans leur écriture, dans la création esthétique enfantant un corps autobiographique, rapportés à l'appréhension de devenir une victime cloîtrée par l'ambigüité de son œuvre qu'engage l'infidélité subjective à son histoire et la fidélité au devoir être dans son histoire, sont à reconsidérer par cet état d'errance qui se veut a-dogmatique puisque il se résout dans une quête de soi et de sens, s'éloignant de la recherche dogmatique d'une réalité intime et d'une vérité du sujet. Ces funambules postmodernes, en chemin sur une corde transformée par l'amour envers la vie, orientés par ce vouloir-vivre conciliant la part d'ombre de l'existence et le sentiment de la souffrance avec la joie de la vie, vont convertir une présence de moi à moi-même dans une présence de soi-même au monde. Ce monde rendu malheureux par la méconnaissance du lien de notre destin personnel avec les conditions collectives de l'existence (Bauman 2003), est mis à l'épreuve par la dynamique a-dogmatique de l'imaginaire autobiographique contemporain, une chance pour nous soustraire à une dépoétisation (Wunenburger 1995) et désymbolisation du monde. C'est dans la bilocation du cheminement des sujets entre conscience poétique et mythique, dans la création et l'organisation métaphorique de notre histoire de vie, ainsi que des énergies dramatiques (Durand Y. 1988) sollicitées par le mouvement de l'écriture de soi engageant un échange entre énergies mortifères et énergies de vie, que la compréhension symbolique de l'existence s'ouvre sur un espace d'altération de soi expérimentant la présence de l'autre et du monde.
Héroïnes et héros nocturnes en errance
« Je fais l'épreuve de la douleur. Comme le médecin qui pique un membre pour vérifier s'il est mort, je pique ma mémoire. (...) Que la douleur nous fasse souvenir l’un de l’autre. (...) Entre tuer et mourir existe une troisième possibilité : vivre. » (Wolf 2003)
Accueillir et reconnaitre la vie dans toutes ses dimensions
Orienter le regard au-delà de nous-mêmes pour assumer une autre logique.
Accompagnant à l'exploration de l'expérience vive des femmes et des hommes, le sens de ma pratique de sociologue et formateur autobiographique s'est constitué en cheminant sur deux parcours de recherche qui s'enchevêtrent. Un parcours de recherche expérientielle transformationnelle, celle élaborée par les participants aux ateliers de narration et écriture de soi, en groupe et en solitaire, révélant des inquiétudes et une souffrance sociale souterraine en quête de reliance sociétale. Dans l'effort de se quitter pour se retrouver dans une reliance envers soi-même, les autres et le monde, s'étaye une recherche existentielle (Bolle De Bal 2013) soutenue par un désir de reliance psychologique et sociale, écologique et culturelle, cosmique et spirituelle. Et un deuxième parcours, une recherche empirique transformationnelle, sollicitant ce doute sociologique nous obligeant à la distanciation et à la rigueur ainsi qu'à la participation et la sympathie (Morin 1980), pour mettre à l'épreuve de cette expérience l'élaboration d'un savoir et d'une pratique éducative en mesure d'accueillir et reconnaitre la vie dans toutes ses dimensions, poétiques et créatrices, émotionnelles et spirituelles. Ce double cheminement révèle une exploration qui ne se soustrait pas au poids respectif des déterminations psychiques et sociales (De Gaulejac 1999), à la permanence du passé dans la vie psychique et dans l'expérience biographique façonnée par les trajectoires des individus (Bourdieu 1993), mais elle avance dans un voyage de retour dans la souffrance, réécrivant le voyage archétypique du héros [10] pour éveiller l'amour envers la vie.
Héroïnes et héros nocturnes en errance, sont ainsi ces femmes et ces hommes qui dans le souci de dégager une trame intelligible de leur histoire de vie, de lui donner sens de manière rétrospective, introspective et prospective, comme la Cassandre de Christa Wolf, sont en train d'orienter leur regard au-delà d'eux-mêmes, pour assumer une autre logique. Ce ne sont pas des héros épiques ou des antihéros. Errant entre leur conscience poétique et mythique ils vont poursuivre le schéma de la quête [11] en tant que principe lyrique, toujours en gardant avec eux la sensation de risquer à tout moment l'enfermement de leur corps autobiographique dans le contraste antithétique de maitriser le monde ou succomber à leurs passions. Nous allons ainsi découvrir des récits suspendus à la tentation de se retrouver dans une forme esthétique, à l'exigence de créer un nouveau pacte autobiobraphique [12] entre le narrateur et son lecteur, pour décliner en toute liberté le sujet narrant dans l'écriture de soi. Dans les retours cycliques aux expériences évoquées, tristes et joyeuses, vont donner vie à des sentiments engendrés par le processus dynamique d'univers mytho dramatiques antithétiques, souhaitant réconcilier des images narratives vitales ou intolérables dans leur mise en errance poétique.
L'expérience vive transformée en processus de connaissance vitale
Se mettre en œuvre dans l'espace interstitiel généré par la conscience poétique et mythique, c'est se mettre en errance pour concevoir une nouvelle présence de soi dans le monde.
Se mettre en œuvre, se donner forme par écrit dans l'espace interstitiel généré par la conscience poétique et mythique (Valastro 2016), c'est se mettre en errance pour concevoir une nouvelle présence de soi dans le monde, amorçant un exercice de remise en rythme de la vie. Le regard se pose sur les expériences qui nous ont fait souffrir ou nous ont rendu confiants envers la vie, puisque nous craignons d'apprendre par la douleur ou nous avons peur de ne pas vivre d'autres instants aussi heureux, et poussés par ces inquiétudes nous essayons de choisir des images poétiques de changement et des narrations de transfiguration pour nous altérer. Ces immobilités existentielles reviennent, dans un mouvement de l'écriture participant à la composition poétique de l'existence fondée sur la conscience du sens tragique de l'existence, pour se convertir dans le défi de contempler et vouloir vivre la vie avec ses contradictions. La création autobiographique, bouleversée par cette errance dissidente en résonance avec la figure mythique de Cassandre, expérimente un autre genre de force et de faiblesse par un métissage du temps (Pineau 2000) situant en dehors de l'existence ordinaire ou de la conscience ordinaire de l'existence, pour demeurer dans la continuité et la discontinuité de la vie et de formes plurielles par lesquelles elle se manifeste.
L'expérience vive transformée ainsi en processus de connaissance vitale par l'exercice dynamique des fonctions de l'imaginaire, sollicitant une écoute sensible de soi et de l'autre et une éthique de la réciprocité et de la rencontre, nous pose enfin une question fondamentale. Le retour dans la rêverie, apprendre à fabuler pour se raconter dans ces retours en errance, est sous-jacent aux grands archétypes de l'angoisse humaine et au néant qui travaille cette société, consumériste et matérialiste, mais, en même temps, suggère une quête de mythanalyse à partir de la condition fabulatoire de l'être humain (Fischer 2017) qui travaille les conditions biologiques, psychologiques et psychiques, dans leur rapport aux conditions culturelles, économiques et sociales. La fabulation d'insularités inédites en gestation (Valastro 2017), accouchant un corps autobiographique pour se penser en relation, comme une île participant émotionnellement à un archipel plus vaste, sous-tend des microcosmes paradigmatiques explorant la possibilité de découvrir dans la fonction fantastique de l'imaginaire une relation avec les autres et le monde qui ne se définit pas en termes de compétition et supériorité, pour rendre présent ce monde qui nous vient à l'encontre avec le rythme de la vie dans son inconciliable beauté et altération.
Bibliographie
Bachelard G. (1960), La poétique de la rêverie, Paris, Les Presses Universitaire de France, 1968.
Bauman Z., « La sociologia di fronte a una nuova condizione umana : entretient avec Zigmunt Bauman », réalisé par Mauro Magatti, in Zygmunt Bauman, Una nuova condizione umana, Milano, Vita e Pensiero, 2003.
Bolle De Bal M., Fragments pour une sociologie existentielle : pratiques et engagements, Tome 3, Paris, Éditions L'Harmattan, 2013.
Bourdieu P. (sous la direction de), La misère du monde, Paris, Éditions du Seuil, 1993.
Calvino I., Pourquoi lire les classiques, Paris, Éditions du Seuil, 1995.
Campbell J., Le héros aux mille et un visages, Éditions Robert Laffont, 1992.
De Condillac É.B. (1746), Essai sur l'origine des connaissances humaines, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2002.
De Gaulejac V., L'histoire en héritage : roman familial et trajectoire sociale, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
Durand G., « Mythe et poésie », in Gilbert Durand, Champs de l'imaginaire, Grenoble, ELLUG, 1996 : 35-47.
Durand G., « Orphée et Eurydice : mythes en mutation », Religiologiques, 15, 1997 : 21-41.
Durand Y., L’exploration de l’imaginaire : introduction à la modélisation des univers mythiques, Paris, L’Espace Bleu, 1988.
Fischer H. (sous la direction de), En quête de mythanalyse, Les Cahiers de M@gm@, Roma, Aracne Editrice, 2017.
Greimas A.J., « Les acquis et les projets », in Joseph Courtés, Introduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris, Éditions Hachette, 1976.
Gusdorf G., La découverte de soi, Paris, Presses Universitaires de France, 1948.
Gusdorf G., « De l’autobiographie initiatique à l’autobiographie genre littéraire », Revue d’Histoire Littéraire de la France, LXXV/6, 1975 : 957-994.
Gusdorf G., Les écritures du moi : lignes de vie, Tome 1, Paris, Odile Jacob, 1990.
Gusdorf G., Auto-bio-graphie : lignes de vie, Tome 2, Paris, Odile Jacob, 1991.
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Lapassade G., L'entrée dans la vie : essai sur l'inachèvement de l'homme, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
Lejeune P. (1975), Le pacte autobiographique, Paris, Éditions du Seuil, 1996.
Maffesoli M., Le rythme de la vie : variations sur l'imaginaire postmoderne, Paris, La table ronde, 2004.
Miaillet J. et Miaillet L., « Notice », in Jean Giono, Œuvres romanesques complètes, Tome VI, Paris, Éditions Gallimard, 1983 : 934-950.
Misèfari B., Diario di un disertore, Firenze, La Nuova Italia, 1973.
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Propp V.J., Morphologie du conte, Paris, Éditions du Seuil, 1973.
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Valastro O.M. (sous la direction de), Écritures de soi en souffrance, Les Cahiers de M@gm@, Roma, Aracne Editrice, 2012.
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Valastro O.M., « Mythanalyse de l'Île : polysémie de l'imaginaire de Thrinakìa », in Hervé Fischer (sous la direction de), En quête de mythanalyse, Les Cahiers de M@gm@, Roma, Aracne Editrice, 2017.
Vernant J.-P., « Ulysse en personne », in Françoise Frontisi-Ducroux et Jean-Pierre Vernant, Dans l'œil du miroir, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, p. 11-50.
Vernant J.-P., L'univers, les dieux, les hommes, Paris, Éditions du Seuil, 1999.
Vogler C., Le guide du scénariste, Paris, Dixit, 1998.
Wolf C., Cassandre, Paris, Éditions Stock, 2003.
Wunenburger J.-J., La vie des images, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1995.
Notes
[1] Ce texte, paru dans Les cahiers européens de l'imaginaire (Le voyage, n.9, Paris, CNRS Éditions, 2018, pp.158-165), est publié dans sa version intégrale par M@GM@.
[2] Mabel Franzone, sociologue, enseigne Lettres et littérature à l'Université de Salta en Argentine. Lors de son voyage en Sicile nous avons organisé une rencontre sur la présence des mythes dans les sociétés latino-américaines (Département de sciences humanistiques, Université de Catania, 21 janvier 2016), pour nous confronter avec sa pensée et son engagement en relation à l'imaginaire et aux peuples natifs de l'Amérique latine.
[3] L'organisation de volontariat Les étoiles dans la poche, à été crée en 2005, et depuis cette année, animant un projet dénommée Ateliers de l'imaginaire autobiographique, j'accompagne des groupes de personnes à faire l'expérience de la narration et de l'écriture de soi, avec le soutient de volontaires et la collaboration d'institutions publiques et éducatives, proposant un dispositif autobiographique en mesure de conjuguer un pédagogie de l'imaginaire avec une écoute sensible de soi et de l'autre. Plusieurs ateliers expérientiels sont proposés chaque année (Laboratoire citoyen d'écritures autobiographiques, L'imaginaire dans l'écriture de soi, Chercheurs de mémoires), réalisant aussi des rencontres de lecture des textes réalisés (Nautilus, rencontre d'écoute et lecture de soi et de l'autre). Le prix Thrinakìa (concours international d'écritures autobiographiques, biographiques et poétiques dédiées à la Sicile) et l'Archive de la mémoire et de l'imaginaire sicilien, réalisés ces dernières années, sont aussi partie intégrante du projet des Ateliers de l'imaginaire autobiographique.
[4] Love Song (A Love Song for Bobby Long), film américain de Shainee Gabel sorti en 2004.
[6] Depuis mon intervention « Poétiques dissidentes contemporaines : le dispositif autobiographique entre recherche expérientielle transformative et pédagogie de l'imaginaire », au colloque national Former à la recherche empirique en éducation, Université de Bologna, 18 novembre 2016.
[7] Depuis mon intervention « L'écriture de soi : espace d'autonomie et liberté », rencontre avec le sociologue Orazio Maria Valastro, Teatro Coppola - le théatre des citoyens de Catania, Athénée libertaire Etnéen, 20 novembre 2013.
[8] Citation de Vivetta Vivarelli au sujet de la rédaction provisoire du travail d'écriture de Friedrich Wilhelm Nietzsche (« Nietzsche et il funambolo di Pascal », in Gaetano Chiappini, Echi di memoria: scritti di varia filologia, critica e linguistica, Firenze, Alinea Editrice, 1998 : 527-546) in G. Colli et M. Montinari (sous la direction de), Friedrich Wilhelm Nietzsche, Werke, Kritische Gesamtausgabe, Berlin - New York, Vol. VI/4, 1967 : 23.
[9] Depuis mon intervention « Éthiques et esthétiques de la sérénité : contribution à une approche transdisciplinaire », au séminaire dirigé par Ana Maria Peçanha, De la Sérénité : une approche transdisciplinaire, Université Paris Descartes, 1er décembre 2015.
[10] Cet appel profond au voyage archétypique du héros est identifié par Joseph Campbell, étudiant les mythes et l'histoire des religions, avec le désir de vivre la figure du héros (Campbell 1992), renoué par Christopher Vogler dans la narration cinématographique contemporaine, avec son guide du scénariste (Vogler, 1998). Rogers Pearson, citant Étienne Bonnot De Condillac, saisit dans les images sollicitées par la poétique du héros, la fonction d'accompagnerl'individu dans son parcours pour réveiller des sentiments (Pearson 2016 - De Condillac 2002).
[11] Dans les études de narratologie de Vladimir Jakovlevič Propp sur la morphologie des formes du conte, nous avons la distinction entre un héros quêteur et un héros victime, un héros passionné par sa recherche se laissant séduire ou succombant à ses passions (Propp 1973). C'est avec l'apport de Algirdas Julien Greimas que le schéma de la quête du héros est situé au fondement du sens de la vie que nous offre l'imaginaire humain dans la mise en narration de l'action humaine (Greimas 1976).
[12] L’authenticité du sujet définie par la notion du pacte autobiographique de Philippe Lejeune, articule un pacte de confiance entre l’auteur, en tant que personne réelle, le narrateur, l’écrivain du texte, et le lecteur, un sujet autre que l’auteur, saisissant par la lecture l’image du narrateur et de la vie qu’il est en train de représenter (Lejeune 1975).
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