Quelques mots de remerciements à vous chères et chers collègues qui se sont disposés à réfléchir sur la sérénité, et qu'à partir de vos travaux nous ont apportés de belles réflexions. M@gm@, est ravie de proposer dans son deuxième numéro monographique, vos thèmes aussi riches que variés. Ce thème s'est présenté à mon esprit, quelque temps en arrière, quand ma tête était en fervent questionnement sur qu'est-ce que vivre en paix ? Comment le faire ? Comment trouver un chemin ? Comment partager ces grandes inquiétudes qui me rongeaient ? Les raisons, qui m'inquiétaient étaient diverses, et non plus aussi différentes des autres argumentations que nous trouvons aujourd'hui, et qui se constituent comme des drames de tous les moments, touchant une grande partie des acteurs sociaux de ce monde.
Je ne peux que suivre avec tout mon cœur la poétique d'Ana Maria Peçanha pour plier notre vocation scientifique à la sérénité. L'engagement dans les sciences sociales revendique un choix intellectuel, une exigence et un impératif scientifique pour contraster nos illusions sur le monde et élaborer un savoir sur la réalité. Nous n'allons pas pour autant affaiblir une nécessaire vigilance épistémologique, attentive aux conditions et limites de la validité des approches et des méthodes privilégiés, réfléchissant sur un état d'esprit, un état d'âme, méditant sur la sérénité en tant que voie affective de la raison à la voix du cœur.
Durant mon enfance et mon adolescence, j’ai vécu nombre d’expériences optimales appelées également flow experiences. Dans ces états de plénitude, les sens sont aiguisés, la conscience est amplifiée, le temps se dilate, tout est fluide, tout coule. La sensation de grande sérénité donne envie de les revivre. Pendant les décennies qui ont suivi, je me suis attaché à en comprendre les modes opératoires afin d’aménager des contextes permettant de les induire. Le taijiquan m’est apparu comme une voie particulièrement féconde. Le pratiquant effectuant, seul ou en groupe, les gestes d’un ballet au ralenti ou l’adepte âgé qui, d’un mouvement anodin, envoie un jeune beaucoup plus vigoureux à quelques mètres exemplifient la paix intérieure et la maîtrise. Mes nombreux séjours d’étude en Chine m’ont permis d’étudier différents styles de taijiquan à la source. Le travail intérieur contient des éléments de chamanisme et d’alchimie. Les techniques respiratoires, le travail de l’énergie, l’utilisation d’images intériorisées développent des états de conscience modifiés. Cette conscience élargie est utilisée pour harmoniser sa nature profonde avec les environnements social et cosmique. Le taijiquan est une gymnastique douce, une méthode de santé préventive, un qi gong (travail de l’énergie), un art martial, une méditation en mouvement, un art de vie. Il rassemble toutes ces facettes en un tout cohérent. Le taijiquan permet de se tenir debout entre Ciel et Terre et de se mettre en marche vers soi-même pour devenir qui l’on est. Je ne pense pas qu’il y ait de voie vers une réelle sérénité sans engagement dans un chemin initiatique.
Comment vivre la sérénité en périodes de crises ou de menaces ? Approche psychanalytique : « Et l’inconscient dans tout ça ? » Comment prendre racine dans les parts les plus sereines de soi lorsque la violence vient tuer notre mode habituel de présence au monde ? Travailler sur ce paradoxe : c’est lorsque nous avons le plus besoin de nos ressources intérieures, de nos capacités d’adaptation et d’imagination que nous sommes menacés par l’inhibition, la peur, la peur la plus frontale, le stress, et nous sommes exposés à l’aggravation du risque depuis un autre danger, intérieur celui-ci, qui nous paralyse, nous laisse sur place et sans ressources, encore plus fortement. Quels ressorts, le plus souvent inconnus de nous-mêmes, voire ignorés de toute expérience de la chose, nous font réagir de façon adéquate à la situation, ou nous font nous précipiter vers la mort qui aurait au moins cette étrange vertu de supprimer notre terreur ?
La sérénité est le plus souvent présentée comme un état du sage. Peux t’elle se transmettre, par des expériences, des exercices voire des dispositifs et peut-il exister des « savoirs sereins » ? Une certaine rapidité performative revoit régulièrement à la baisse la pluralité de ces expériences. Leur traduction se fait superficielle dès qu’on la réduit au singulier du concept : la nature du « savoir serein », dans son anonymat ésotérique, se dérobe, tandis que les processus affinés peuvent développer des corolles d’attitudes. Penser à cette question comme un cas d’école ou de rhétorique qui pourrait se récuser, réveille les frissons des examens de philosophie, version baccalauréat, sans que l’on puisse répondre autrement que par un mauvais plan en deux parties, voire un triste plan en trois arguments. Les savoirs sereins sont des pratiques d’énergie qui, dans l’amplitude raisonnée des connaissances, préparent aux transformations des théories cognitives. De fait, les savoirs sereins dont je veux parler avec simplicité dans ces jours qui suivent le traumatisme des attentats européens, sont des processus d’humilité nécessaires, élaborés dans les formes et les forces profondes de la réponse au mal qui vient. Ces savoirs procèdent d’abord de la reconnaissance du souffle de chacun, du souffle de la collectivité quand elle se confie et se sourit, comme un jeu de lumières diffractées : l’espérance, l’inspiration, et la confiance forment le trépied des savoirs sereins. Exaspérer, espérer, inspirer... les tambours du cœur animent l’espoir (spes) et en conduisent le souffle.
La sérénité est l’état de grâce de l’esprit. Elle naît d’un sentiment d’urgence. Elle n’a rien à voir avec la paix de l’âme. Elle possède l’intensité de l’instant. Ce n’est pas en ne se laissant émouvoir par rien qu’on peut l’atteindre. Mais au contraire, en accueillant toutes les émotions que le monde génère, même les plus brutales. Seule la haine n’entre pas dans son cercle. Elle n’est pas le calme mais l’esprit connecté. La sérénité prend naissance dans le fleuve qui coule en nous sans discontinuer, sous le nom de mémoire, et transforme les souvenirs en visions. Les émotions et les images qu'elle fixe constituent un message enfoui dans la masse, comme un paquet de photos oubliées au fond d’un tiroir. Il faut passer par elle pour atteindre des régions inconnues. Elle capte, dans leur jaillissement incertain, des images premières, des impressions brutes, des petits geysers émotionnels, que la succession mécanique des jours occultait. Elle les dégage de leur brume. Elle les organise, non dans la durée mais dans l’instant.
S’il est une valeur indiscutable actuellement, ce pourrait bien être la sérénité. Il est improbable pour ne pas dire impossible de trouver quelqu’un de nos jours, ne la valorisant pas, ou ne la recherchant pas. Qui ne souhaite pas maitriser la situation, avoir des relations pacifiées avec les autres, se sentir calme et serein ? Qui préférerait les situations tendues, les relations conflictuelles, se sentir angoissé ? Le problème commence à se poser quand nous considérons la sérénité comme la norme, obligatoire. Et c’est justement ce caractère impératif, indiscutable qui devrait nous alerter. Pour comprendre cet impératif social, il nous paraît judicieux de l’observer dans l’organisation typique de la modernité, c’est-à-dire l’entreprise. L’entreprise est devenue le lieu du stress et du mal vivre, avec force burn-out et maladies psychiques allant jusqu’au suicide. Dès lors, ce que l’on a tendance à demander presque exclusivement à un manager aujourd’hui, c’est d’éviter les conflits dans son équipe et avec les autres équipes. Autrement dit, le leader sera celui qui saura pacifier les relations, donner confiance aux autres en leur permettant de naviguer sereinement dans un monde trouble. Plus précisément, la compréhension de la sérénité comme valeur discriminante dans le monde de l’entreprise nous permettra d’affiner notre approche, en nous posant la question notamment de la sérénité comme composante du leadership moderne, et comme axe de communication.
Ce texte de réflexion a pour objectif de questionner l'éventuelle perte du sentiment de sérénité de la lecture profonde, au fil des mutations des dispositifs et des pratiques de lecture que nous observons depuis quelques années déjà. C'est à une nouvelle grille de lecture du monde que nous devons nous adapter en nous acculturant à de nouvelles pratiques de lecture. Pour faire face les lecteurs du 21e siècle devront être des lecteurs augmentés. Bien loin de toute sérénité, le lecteur deviendrait lui-même une machine à traiter l'information, un dispositif mental apte à simuler et à stimuler une grammaire générative nous donnant accès à plusieurs niveaux de lecture de l’univers. En arrière-fond de cette mutation des dispositifs et des pratiques de lecture, les grands récits mythiques, d'avant les livres, d'avant même l'écriture, irriguent toujours nos imaginaires et notre inconscient collectif. Romans familiaux et romans nationaux ne font toujours que puiser dans le réservoir de ces temps immémoriaux. Algorithmes, métadonnées et big data, ne sont que des expressions contemporaines de forces antédiluviennes, des mots substitués pour désigner en fait des avatars d'anges et de démons. Les mythes agissent comme de véritables hologrammes narratifs (un hologramme étant un ensemble d'informations qui n'ont justement pas besoin d'un support physique pour apparaître).
Trouver son espace de sérénité, sans doute est-ce chose difficile ; car, si nous devons éviter les obstacles du verbe pondéré que nous percevons d’une façon particulière et personnelle, il est tentant de se conformer à une exégèse de l’instant probablement réductrice parce que récapitulative et surtout faussée par le fait que nous en parlerions comme si nous étions l’auteur exclusif. La difficulté est qu’à partir de l’expérience singulière, comment pourrions-nous déjouer les pièges de l’autobiographie formant notre histoire passée ? L’inclination à nous baigner dans cette volupté de nos autobiographies nous fera accepter les phénoménologies connues de ce fait sédatives. Ce mélange fournit à nos cerveaux des possibilités innombrables de connexions et fonde que l’autobiographie peut gagner son statut de théorique dès lors que ce qui est pensé va procurer l’espace rassurant, justement parce que la « petite » histoire va toucher au réel, l’autre référence des vécus personnels. Le but fixé d’atteindre cette félicité sera de voir clairement la valeur de ces représentations. Sans compréhension de cet aphorisme, l’hypnotisme de cette chose reste présent et nous persisterons à en être prisonniers. Sans ce réveil personnel sur « nos choses », aucune possibilité de maintenir un désir sur « ces choses ». Sérénité veut tout aussi bien dire que je jouis de vos compagnies sur un fondement affranchi de tous liens.
L'esthétique en tant qu'expérience de l'écriture de soi, est une éthique au sens d'un travail sur soi, ainsi il faut reconnaître à l'art de l'autobiographie un but éthique. Cet amour de la vie étayant des poétiques dissidentes, réclame l'accès à la vie par le choix éthique. Et si nous allons plus loin dans cette réflexion autour des pratiques contemporaines de l'écriture autobiographique, il faut considérer comment la quête héroïque sollicite la conscience imaginante à créer et vivre l'image poétique (Gaston Bachelard, 1968), pour élaborer une pensée sur la vie. Ces funambules cheminant vers eux-mêmes au-dessus du flux de l'existence, vont se détacher de l'ensemble de leurs expériences, en regardant d'en haut et avec distanciation leurs histoires de vie. Au moment même où le mouvement de l'écriture s'ébauche, c'est par une image poétique qu'ils vont avoir accès à la vie tout en faisant un choix. Quand l'image poétique émerge de la conscience, recherchée d'abord par le cœur et affectée ensuite par la tête, a un dynamisme propre nous révélant la présence de la profondeur de l'âme humaine. Accueillant et partageant cette image avec les autres - un sentiment, une émotion, un son, une odeur - nous faisons l'expérience de sa résonance intersubjective. Dans cet espace voué à la quête et au partage des émotions nous allons pouvoir observer la vie et la comprendre dans sa dissonance harmonique, et par ces images poétiques d'ombres lumineuses nous allons aussi participer de la capacité de l'être humain de saisir l'invisible à partir du visible, et de créer du sens et des liens entre une pluralité d'existences. Le voyage dans le mouvement de l'écriture sollicite ainsi une écoute sensible de soi et de l'autre qui devient pensée et conscience dialoguante, nous révélant notre humanité tout en nous reliant aux autres et au monde.
Ana Maria Peçanha - Orazio Maria Valastro
Quelques mots de remerciements à vous chères et chers collègues qui se sont disposés à réfléchir sur la sérénité, et qu'à partir de vos travaux nous ont apportés de belles réflexions. M@gm@, est ravie de proposer dans son deuxième numéro monographique, vos thèmes aussi riches que variés. Ce thème s'est présenté à mon esprit, quelque temps en arrière, quand ma tête était en fervent questionnement sur qu'est-ce que vivre en paix ? Comment le faire ? Comment trouver un chemin ? Comment partager ces grandes inquiétudes qui me rongeaient ? Les raisons, qui m'inquiétaient étaient diverses, et non plus aussi différentes des autres argumentations que nous trouvons aujourd'hui, et qui se constituent comme des drames de tous les moments, touchant une grande partie des acteurs sociaux de ce monde.
Je ne peux que suivre avec tout mon cœur la poétique d'Ana Maria Peçanha pour plier notre vocation scientifique à la sérénité. L'engagement dans les sciences sociales revendique un choix intellectuel, une exigence et un impératif scientifique pour contraster nos illusions sur le monde et élaborer un savoir sur la réalité. Nous n'allons pas pour autant affaiblir une nécessaire vigilance épistémologique, attentive aux conditions et limites de la validité des approches et des méthodes privilégiés, réfléchissant sur un état d'esprit, un état d'âme, méditant sur la sérénité en tant que voie affective de la raison à la voix du cœur.
Eric Caulier
Durant mon enfance et mon adolescence, j’ai vécu nombre d’expériences optimales appelées également flow experiences. Dans ces états de plénitude, les sens sont aiguisés, la conscience est amplifiée, le temps se dilate, tout est fluide, tout coule. La sensation de grande sérénité donne envie de les revivre. Pendant les décennies qui ont suivi, je me suis attaché à en comprendre les modes opératoires afin d’aménager des contextes permettant de les induire. Le taijiquan m’est apparu comme une voie particulièrement féconde. Le pratiquant effectuant, seul ou en groupe, les gestes d’un ballet au ralenti ou l’adepte âgé qui, d’un mouvement anodin, envoie un jeune beaucoup plus vigoureux à quelques mètres exemplifient la paix intérieure et la maîtrise. Mes nombreux séjours d’étude en Chine m’ont permis d’étudier différents styles de taijiquan à la source. Le travail intérieur contient des éléments de chamanisme et d’alchimie. Les techniques respiratoires, le travail de l’énergie, l’utilisation d’images intériorisées développent des états de conscience modifiés. Cette conscience élargie est utilisée pour harmoniser sa nature profonde avec les environnements social et cosmique. Le taijiquan est une gymnastique douce, une méthode de santé préventive, un qi gong (travail de l’énergie), un art martial, une méditation en mouvement, un art de vie. Il rassemble toutes ces facettes en un tout cohérent. Le taijiquan permet de se tenir debout entre Ciel et Terre et de se mettre en marche vers soi-même pour devenir qui l’on est. Je ne pense pas qu’il y ait de voie vers une réelle sérénité sans engagement dans un chemin initiatique.
Norbert Chatillon
Comment vivre la sérénité en périodes de crises ou de menaces ? Approche psychanalytique : « Et l’inconscient dans tout ça ? » Comment prendre racine dans les parts les plus sereines de soi lorsque la violence vient tuer notre mode habituel de présence au monde ? Travailler sur ce paradoxe : c’est lorsque nous avons le plus besoin de nos ressources intérieures, de nos capacités d’adaptation et d’imagination que nous sommes menacés par l’inhibition, la peur, la peur la plus frontale, le stress, et nous sommes exposés à l’aggravation du risque depuis un autre danger, intérieur celui-ci, qui nous paralyse, nous laisse sur place et sans ressources, encore plus fortement. Quels ressorts, le plus souvent inconnus de nous-mêmes, voire ignorés de toute expérience de la chose, nous font réagir de façon adéquate à la situation, ou nous font nous précipiter vers la mort qui aurait au moins cette étrange vertu de supprimer notre terreur ?
Sylvie Dallet
La sérénité est le plus souvent présentée comme un état du sage. Peux t’elle se transmettre, par des expériences, des exercices voire des dispositifs et peut-il exister des « savoirs sereins » ? Une certaine rapidité performative revoit régulièrement à la baisse la pluralité de ces expériences. Leur traduction se fait superficielle dès qu’on la réduit au singulier du concept : la nature du « savoir serein », dans son anonymat ésotérique, se dérobe, tandis que les processus affinés peuvent développer des corolles d’attitudes. Penser à cette question comme un cas d’école ou de rhétorique qui pourrait se récuser, réveille les frissons des examens de philosophie, version baccalauréat, sans que l’on puisse répondre autrement que par un mauvais plan en deux parties, voire un triste plan en trois arguments. Les savoirs sereins sont des pratiques d’énergie qui, dans l’amplitude raisonnée des connaissances, préparent aux transformations des théories cognitives. De fait, les savoirs sereins dont je veux parler avec simplicité dans ces jours qui suivent le traumatisme des attentats européens, sont des processus d’humilité nécessaires, élaborés dans les formes et les forces profondes de la réponse au mal qui vient. Ces savoirs procèdent d’abord de la reconnaissance du souffle de chacun, du souffle de la collectivité quand elle se confie et se sourit, comme un jeu de lumières diffractées : l’espérance, l’inspiration, et la confiance forment le trépied des savoirs sereins. Exaspérer, espérer, inspirer... les tambours du cœur animent l’espoir (spes) et en conduisent le souffle.
Luc Dellisse
La sérénité est l’état de grâce de l’esprit. Elle naît d’un sentiment d’urgence. Elle n’a rien à voir avec la paix de l’âme. Elle possède l’intensité de l’instant. Ce n’est pas en ne se laissant émouvoir par rien qu’on peut l’atteindre. Mais au contraire, en accueillant toutes les émotions que le monde génère, même les plus brutales. Seule la haine n’entre pas dans son cercle. Elle n’est pas le calme mais l’esprit connecté. La sérénité prend naissance dans le fleuve qui coule en nous sans discontinuer, sous le nom de mémoire, et transforme les souvenirs en visions. Les émotions et les images qu'elle fixe constituent un message enfoui dans la masse, comme un paquet de photos oubliées au fond d’un tiroir. Il faut passer par elle pour atteindre des régions inconnues. Elle capte, dans leur jaillissement incertain, des images premières, des impressions brutes, des petits geysers émotionnels, que la succession mécanique des jours occultait. Elle les dégage de leur brume. Elle les organise, non dans la durée mais dans l’instant.
Jawad Mejjad
S’il est une valeur indiscutable actuellement, ce pourrait bien être la sérénité. Il est improbable pour ne pas dire impossible de trouver quelqu’un de nos jours, ne la valorisant pas, ou ne la recherchant pas. Qui ne souhaite pas maitriser la situation, avoir des relations pacifiées avec les autres, se sentir calme et serein ? Qui préférerait les situations tendues, les relations conflictuelles, se sentir angoissé ? Le problème commence à se poser quand nous considérons la sérénité comme la norme, obligatoire. Et c’est justement ce caractère impératif, indiscutable qui devrait nous alerter. Pour comprendre cet impératif social, il nous paraît judicieux de l’observer dans l’organisation typique de la modernité, c’est-à-dire l’entreprise. L’entreprise est devenue le lieu du stress et du mal vivre, avec force burn-out et maladies psychiques allant jusqu’au suicide. Dès lors, ce que l’on a tendance à demander presque exclusivement à un manager aujourd’hui, c’est d’éviter les conflits dans son équipe et avec les autres équipes. Autrement dit, le leader sera celui qui saura pacifier les relations, donner confiance aux autres en leur permettant de naviguer sereinement dans un monde trouble. Plus précisément, la compréhension de la sérénité comme valeur discriminante dans le monde de l’entreprise nous permettra d’affiner notre approche, en nous posant la question notamment de la sérénité comme composante du leadership moderne, et comme axe de communication.
Lorenzo Soccavo
Ce texte de réflexion a pour objectif de questionner l'éventuelle perte du sentiment de sérénité de la lecture profonde, au fil des mutations des dispositifs et des pratiques de lecture que nous observons depuis quelques années déjà. C'est à une nouvelle grille de lecture du monde que nous devons nous adapter en nous acculturant à de nouvelles pratiques de lecture. Pour faire face les lecteurs du 21e siècle devront être des lecteurs augmentés. Bien loin de toute sérénité, le lecteur deviendrait lui-même une machine à traiter l'information, un dispositif mental apte à simuler et à stimuler une grammaire générative nous donnant accès à plusieurs niveaux de lecture de l’univers. En arrière-fond de cette mutation des dispositifs et des pratiques de lecture, les grands récits mythiques, d'avant les livres, d'avant même l'écriture, irriguent toujours nos imaginaires et notre inconscient collectif. Romans familiaux et romans nationaux ne font toujours que puiser dans le réservoir de ces temps immémoriaux. Algorithmes, métadonnées et big data, ne sont que des expressions contemporaines de forces antédiluviennes, des mots substitués pour désigner en fait des avatars d'anges et de démons. Les mythes agissent comme de véritables hologrammes narratifs (un hologramme étant un ensemble d'informations qui n'ont justement pas besoin d'un support physique pour apparaître).
Bernard Troude
Trouver son espace de sérénité, sans doute est-ce chose difficile ; car, si nous devons éviter les obstacles du verbe pondéré que nous percevons d’une façon particulière et personnelle, il est tentant de se conformer à une exégèse de l’instant probablement réductrice parce que récapitulative et surtout faussée par le fait que nous en parlerions comme si nous étions l’auteur exclusif. La difficulté est qu’à partir de l’expérience singulière, comment pourrions-nous déjouer les pièges de l’autobiographie formant notre histoire passée ? L’inclination à nous baigner dans cette volupté de nos autobiographies nous fera accepter les phénoménologies connues de ce fait sédatives. Ce mélange fournit à nos cerveaux des possibilités innombrables de connexions et fonde que l’autobiographie peut gagner son statut de théorique dès lors que ce qui est pensé va procurer l’espace rassurant, justement parce que la « petite » histoire va toucher au réel, l’autre référence des vécus personnels. Le but fixé d’atteindre cette félicité sera de voir clairement la valeur de ces représentations. Sans compréhension de cet aphorisme, l’hypnotisme de cette chose reste présent et nous persisterons à en être prisonniers. Sans ce réveil personnel sur « nos choses », aucune possibilité de maintenir un désir sur « ces choses ». Sérénité veut tout aussi bien dire que je jouis de vos compagnies sur un fondement affranchi de tous liens.
Orazio Maria Valastro
L'esthétique en tant qu'expérience de l'écriture de soi, est une éthique au sens d'un travail sur soi, ainsi il faut reconnaître à l'art de l'autobiographie un but éthique. Cet amour de la vie étayant des poétiques dissidentes, réclame l'accès à la vie par le choix éthique. Et si nous allons plus loin dans cette réflexion autour des pratiques contemporaines de l'écriture autobiographique, il faut considérer comment la quête héroïque sollicite la conscience imaginante à créer et vivre l'image poétique (Gaston Bachelard, 1968), pour élaborer une pensée sur la vie. Ces funambules cheminant vers eux-mêmes au-dessus du flux de l'existence, vont se détacher de l'ensemble de leurs expériences, en regardant d'en haut et avec distanciation leurs histoires de vie. Au moment même où le mouvement de l'écriture s'ébauche, c'est par une image poétique qu'ils vont avoir accès à la vie tout en faisant un choix. Quand l'image poétique émerge de la conscience, recherchée d'abord par le cœur et affectée ensuite par la tête, a un dynamisme propre nous révélant la présence de la profondeur de l'âme humaine. Accueillant et partageant cette image avec les autres - un sentiment, une émotion, un son, une odeur - nous faisons l'expérience de sa résonance intersubjective. Dans cet espace voué à la quête et au partage des émotions nous allons pouvoir observer la vie et la comprendre dans sa dissonance harmonique, et par ces images poétiques d'ombres lumineuses nous allons aussi participer de la capacité de l'être humain de saisir l'invisible à partir du visible, et de créer du sens et des liens entre une pluralité d'existences. Le voyage dans le mouvement de l'écriture sollicite ainsi une écoute sensible de soi et de l'autre qui devient pensée et conscience dialoguante, nous révélant notre humanité tout en nous reliant aux autres et au monde.