L’addiction : un mythe, une maladie ou un fléau social contemporain ?
Johanna Järvinen-Tassopoulos (sous la direction de)
M@gm@ vol.14 n.1 Janvier-Avril 2016
MISER, DÉPENSER OU GASPILLER ? ÉTUDE SUR LA RELATION ENTRE L’ARGENT, LE JEU ET L’ADDICTION DANS LA VIE MODERNE
Johanna Järvinen-Tassopoulos
johanna.jarvinen-tassopoulos@thl.fi
Chercheure spécialisée en sociologie des jeux d’argent. Elle est maître de conférences en politique sociale à l’Université d’Helsinki. Elle a obtenu son DEA en sciences sociales à l’Université René Descartes Paris 5 et a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université d’Helsinki. Actuellement elle travaille à l’Institut National pour la Santé et les Affaires Sociales (THL) à Helsinki, Finlande.
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Introduction
« Les problèmes les plus profonds de la vie moderne prennent leur source dans la prétention de l’individu à affirmer l’autonomie et la spécificité de son existence face aux excès de pouvoir de la société, de l’héritage historique, de la culture et de la technique venue de l’extérieur de la vie – figure ultime du combat contre la nature que l’homme primitif doit mener pour son existence physique », écrit Simmel (2004, p. 169) dans La Ville. L’individu moderne a été à la fois l’inventeur de la Modernité et une création de son temps. Grâce à sa capacité de créer et de produire des objets, des machines ou des moyens de transport pour faciliter l’échange, l’interaction et la communication avec autrui, et surtout grâce à ses découvertes cognitives, scientifiques et médicales, l’individu moderne n’a plus eu besoin de s’adapter à la nature pour pouvoir survivre les saisons, la famine ou les conflits.
L’essai de Simmel (2004) sur l’individualisme, la vie urbaine et la vie moderne est un point de départ intéressant pour comprendre la relation qui existerait entre l’argent, le jeu et l’addiction. Simmel analyse le rapport entre les relations rationnelles et les obligations sociales des individus modernes pour nous faire comprendre la place de l’économie monétaire, la puissance de l’intellect humain et la complexité de l’individualité dans la vie moderne. Dans cette étude, nous nous intéresserons aux manières d’affirmer son autonomie et sa spécificité que l’individu moderne essaie de trouver des transactions monétaires et des activités ludiques. L’argent est souvent conçu comme un moyen d’échange, un dénominateur commun de valeur et également un moyen d’influencer les relations sociales ou de contourner les normes d’un système social donné. Ainsi, l’argent a des significations sociales, économiques et politiques différentes selon les groupes sociaux concernés. L’argent a aussi des connotations culturelles qui peuvent avoir un impact sur les transactions monétaires et les relations interpersonnelles.
Dans l’histoire occidentale, les jeux de hasard et d’argent ont été considérés comme un moyen lucratif pour remplir le Trésor en déficit, pour financer la construction et la réparation des églises et des hôpitaux et pour aider les pauvres et les démunis (Guillaume 1981 ; Belmas 2006 ; Lavigne 2010 ; Harouel 2011). Néanmoins, la participation à ces jeux a été définie comme une activité dangereuse vis-à-vis de l’ordre social : l’oisiveté suscitée par la folie du jeu, les pertes financières considérables lors des parties de jeu et l’irresponsabilité des individus vis-à-vis d’eux-mêmes et d’autrui ont touché toutes les couches sociales des sociétés occidentales. La pathologisation de l’activité ludique excessive et ensuite sa médicalisation ont servi à diagnostiquer et expliquer le comportement des joueurs problématiques et à maîtriser la déviance sociale représentée par le jeu pathologique (Järvinen-Tassopoulos 2014 ; Conrad et Schneider 1992).
Bien que jouer aux jeux de hasard et d’argent soit devenu une activité banalisé et même normalisé, passer son temps à jouer et dépenser de l’argent par-dessus de ses moyens sont présentés comme des signes d’une relation problématique aux jeux. Beaucoup d’études qualitatives et quantitatives ont examiné le développement du jeu pathologique au niveau individuel et la prévalence du jeu pathologique au niveau de la population, mais il existe encore trop peu d’analyses qui se concentreraient sur les significations données par les joueurs (pathologiques) à l’argent, à son usage et à sa valeur (Valleur et Matysiak 2006 ; INSERM 2008 ; Martignoni-Hutin 1997 ; Lea et Webley 2006 ; Blaszczynski et Nower 2010).
Le but de cet article est triple. Premièrement, nous voulons comprendre comment l’individu moderne a essayé d’affirmer son autonomie et sa spécificité en jouant aux jeux d’argent. Nous étudierons d’abord les différentes conceptions de l’argent par rapport aux jeux et ensuite l’antagonisme présumé du jeu et du travail. Deuxièmement, nous analyserons comment la dépendance au jeu transforme l’usage et la valeur de l’argent dans les récits des joueurs pathologiques francophones et finnophones.[1] Finalement, nous ouvrirons la discussion sur le concept de l’addiction et sa place dans le vocabulaire moderne.
La complexité de l’argent
Définir l’argent n’est pas une tâche facile vu sa complexité. Il s’agit d’un concept en apparence universel, mais dont la définition est influencée par des significations diverses. L’usage et la valeur de l’argent dépendent de ces significations données, mais aussi des époques, des lieux et de l’interaction humaine. Selon Morin (2005, p. 21) la complexité serait « effectivement le tissu d’évènements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal » sans oublier « les traits inquiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’ambiguïté, de l’incertitude ». Dans cette partie, nous étudierons l’argent comme un fait social, marqué par l’interaction humaine, comme une entité morale et comme une valeur.
Dans Les origines de la notion de monnaie Mauss (1969, p. 106) souligne que la monnaie « n’est nullement un fait matériel et physique, c’est essentiellement un fait social ; sa valeur est celle de sa force d’achat, et la mesure de la confiance qu’on a en elle ». Ces mots datant de 1914 sont toujours d’actualité : les exemples contemporains du chômage, de la précarité et de la réception des flux migratoires indiquent comment les différents phénomènes sociaux sont partout dépendants de l’usage, de la circulation et de la valeur estimée de l’argent. D’autre part, ces phénomènes ont généralement un impact sérieux sur la politique économique nationale et transnationale et sur l’augmentation des coûts sociaux.
Si la monnaie est en vérité un fait social, elle est aussi fortement marquée par l’interaction sociale. En fait, Zelizer (2005, p. 52) introduit l’hypothèse selon lequel « il n’y a pas d’argent unique, uniforme et généralisé, mais des monnaies multiples : les êtres humains marquent les diverses devises en les rapportant à de nombreux types d’interactions sociales (à tous, peut-être), exactement comme ils créent des langages appropriés à tel ou tel contexte social ». Par exemple, les donations faites lors des mariages ou des baptêmes sont des monnaies qui marquent des rites de passage ; par contre certaines monnaies, utilisées dans le contexte d’une extorsion ou celui de l’achat de drogues, sont marquées par « le maintien de relations sociales clandestines » (ibid., p. 62).
Que peut-on dire de la nature de l’argent ? L’argent est-il une entité morale ? Dans le débat public, la nature de l’argent est souvent polarisée et même exagérée pour bien différencier les transactions et les activités moralement honorables de celles qui sont corrompues. La charité, la donation et le mécénat sont des activités qui suscitent souvent la solidarité. Mais les transactions faisant allusion à l’argent sale ou à l’argent noir sont par définition marquées par la corruption, l’infraction et par l’illégalité ; elles font aussi appel au sens moral des individus modernes. La charité faite par les chaînes de fast-food et les opérateurs de jeux d’argent peut partager les opinions, mais serait-elle moins honorable que celle de l’industrie du vêtement qui fabrique certains de ses articles dans des conditions de travail insalubres ? Ricoeur (1992, p. 56) note : « Dans la mesure même où il est neutre par rapport aux biens qu’il permet d’échanger, l’argent constitue un objet distinct de convoitise ; posséder le médiateur universel, c’est détenir la clef du franc arbitre de toutes les transactions marchandes. C’est à ce niveau qu’entrent en jeu des jugements de caractère moral, en marge de toute analyse économique. »
Dans les jeux de hasard et d’argent, l’argent n’a pas toujours la forme ni la valeur de la monnaie courante. La situation du jeu, intense et passionnante, peut rendre le joueur inconscient de l’argent misé dans un jeu d’argent et donc de la valeur totale de sa dépense. Simmel (2009, p. 125) écrit : « Pour remplir sa fonction de mesurer, échanger, représenter des valeurs, l’argent est-il, doit-il être lui-même une valeur, ou bien peut-il se contenter alors d’être simplement signe et symbole, dépourvu de valeur propre : tel le jeton qui représente des valeurs sans être de même essence qu’elles. » Certes, le jeton ne fait que symboliser la mise du joueur, mais sa valeur est cachée dans la prise du risque et le défi du hasard. Dans un casino, déposer un jeton sur le tapis vert fait un autre type de bruit que les pièces de monnaie qui tombent dans le bac d’une machine à sous : pourtant personne ne reste indifférent à la valeur de ces monnaies marquées. Car « pour qu’il y ait risque effectif, il faut que la valeur misée demeure encore une valeur, une fois le jeu terminé », conclut Neveux (1967, p. 449).
L’industrie des jeux d’argent prospère grâce à la demande continuellement incitée par son offre. Les opérateurs offrent à leur clientèle des rêves, des promesses de cagnottes instantanées, des programmes de loyauté, des promotions et des primes. Tout ce fouillis d’offres peut faire oublier aux joueurs que « les jeux d’argent, paris, ou loteries, ne font pas exception : ils ne créent pas de richesses, ils les déplacent seulement » (Caillois 2003, pp. 9-10). Ceux qui jouent pour s’amuser ou pour passer le temps, la mise payée et ensuite perdue fait partie du déroulement du jeu et de l’interaction entre les joueurs. Mais ceux qui perdent sans cesse se trouvent à la poursuite des mises perdues qu’ils croient acquérir de nouveau en jouant encore une (dernière) fois. Les sommes extraordinaires qui circulent dans les loteries ou les machines à sous ne sont pas de l’argent sans origine : elles se composent des sommes perdues par des milliers de joueurs. Baudrillard (2002, p. 191) fait remarquer que « l’argent du jeu est lui aussi détourné de sa vérité, séduit : coupé de la loi des équivalences (il "flambe"), mais aussi de la loi de la représentation : l’argent n’est plus signe représentatif, puisqu’il est transfiguré en enjeu. Or l’enjeu n’a rien à voir avec un investissement. Dans celui-ci, l’argent garde la forme du capital – dans l’enjeu il prend la forme du défi. »
La complexité de l’argent surgit des significations qu’on veut lui donner dans des situations différentes. Reconnaître la valeur de l’argent lors d’une interaction sociale ou perdre la notion de cette valeur dans un autre contexte sont des exemples qui illustrent bien la nature même de cette complexité. D’autre part, comprendre l’argent à travers des dichotomies (bon/mauvais, propre/sale, honorable/corrompu) semble indiquer qu’il est plus facile d’expliquer les phénomènes sociaux acceptables ou inconvenants en donnant à l’argent un attribut moral. La complexité de l’argent est présente aussi dans sa relation au jeu.
Le jeu (n’) est (pas) un travail
Étymologiquement, le concept du jeu (en latin jocus, plaisanterie) désignerait une « activité non imposée à laquelle on s’adonne, pour se divertir, et en tirer un plaisir » (Julia 2013, p. 9). Selon l’analyse de Caillois (2003, pp. 42-43), le jeu serait une activité libre, séparée, incertaine, improductive, réglée et fictive. Le jeu demeure en dehors des oppositions comme la sagesse et la sottise, le vrai et le faux, le bien et le mal : « Le jeu en soi, s’il constitue une activité de l’esprit, ne comporte pas de fonction morale, ni vertu ni péché », constate Huizinga (2008, pp. 22-23).
Les analyses de Caillois de Huizinga servent de fondement sociologique et philosophique à toute étude sur les jeux de hasard et d’argent. Notre but est de comprendre pourquoi et comment le jeu est séparé du travail en dépit des exemples historiques et contemporaines qui démontrent que dans certains cas le fait de jouer peut devenir un équivalent d’un métier. L’antagonisme créé entre le jeu et le travail peut être expliqué de manières différentes. Notre hypothèse est que l’entrée de l’argent a changé les règles, les conventions et la réalité du jeu. Une fois que le jeu a été conçu comme un moyen de gagner de l’argent, d’assurer sa mobilité sociale et de se créer une profession à part entière, il ne s’agirait plus d’une activité improductive.
Dans les études classiques, le jeu est présenté comme une « action dénuée de tout intérêt matériel » et les jeux de hasard et d’argent sont présentés comme une « sollicitation concurrente » au travail (Caillois 1967, p. 152 ; ibid. 2003, p. 280). Cette idée de concurrence entre jouer et travailler signifierait que le jeu prendrait la place et le temps accordés au travail dans la vie quotidienne moderne et en devenant un travail, le jeu promettrait des gains bien différents par rapport au revenu salarial et de sorte ferait des individus des êtres indépendants de la vie sociale moderne. Aussi, comme Veblen (2007, p. 182) le constate, « La foi en la chance est le sentiment d’une nécessité qui s’introduit à l’improviste dans l’enchainement des phénomènes. Quand elle prend une place notable dans la société, elle entraine des conséquences particulièrement graves pour le rendement économique. »
L’origine de la séparation du jeu et du travail peut être tracée jusqu’à la religion chrétienne. Auparavant les Protestants ascétiques croyaient que le jeu était immoral et une révolte contre Dieu ; seul le travail était utile et béni. Chez les Catholiques, les jeux de hasard et d’argent deviennent « moralement inacceptables » s’ils privent le joueur et ses proches des nécessités (Lavigne 2014, pp. 19-20 ; Binde 2007 ; Bjerg 2009). Dans un monde qui s’est modernisé d’abord grâce à l’industrialisation et plus tard par la digitalisation, la foi religieuse a dû céder sa place aux besoins et aux mœurs contemporaines qui représentent la mutation sociale en progrès.
Dans la société parisienne du XVIIIème siècle « le jeu nie le mérite acquis mais propose le hasard comme remède à l’absence de la reconnaissance égalitaire du mérite, le gain rapide et la fortune dictée par la Fortune comme solution à la mobilité sociale restreinte et comme remède miracle à la précarité de la vie ordinaire et fragile du plus grand nombre » (Roche 1995, p. 10). Bien que selon Huizinga (2008, p. 81) le salaire ne puisse être que « tout à fait étranger à la sphère du jeu » qui « indique la récompense légitime d’un service ou d’un travail donné », dans la société parisienne du XVIIIème siècle le jeu est devenu « un complément incertain à des revenus fixes – rentes ou pensions » pour les tenancières de tripots (Freundlich 1995, p. 90).
La question de l’antagonisme du jeu et du travail a fait surface de nouveau au début du XXIème siècle. Il semblait que cet antagonisme allait disparaître avec l’avènement du poker professionnel (cf. Järvinen-Tassopoulos 2010b ; Bjerg 2011 ; Brody 2011 ; Dufour, Petit et Brunelle 2013). Depuis que le jeu de poker est redevenu à la mode, il a inspiré des milliers de téléspectateurs et d’internautes partout dans le monde. Beaucoup d’opérateurs de jeux d’argent ont investi dans le poker en ligne, ainsi que certains états européens (cf. la Suède et la Finlande) qui ont opté pour la monopolisation du jeu (cf. Järvinen-Tassopoulos 2010a). Même si la plupart des joueurs de poker sont restés des amateurs du jeu, beaucoup ont tenté leur chance dans le poker semi-professionnel – des citoyens ordinaires aux célébrités de toutes les nationalités. Mais le poker exige de la connaissance, de l’habilité et du talent digne d’un stratège. La possibilité de jouer en ligne a révolutionné la temporalité et la spatialité du jeu, mais aussi celles du travail. Dans une société digitalisée où la vie se base sur un rythme appelé 24/7, il est possible de jouer en dépassant les fuseaux horaires (pour trouver des adversaires d’autres nationalités) tout en gardant une mobilité continuelle (avec l’aide des smart phones et des tablettes).
Pendant quelques années, le poker est apparu comme une nouvelle forme de travail dont le salaire se basait sur les gains personnels. Mais au niveau social, le poker est resté une forme de travail marginalisée, car il est difficile d’imposer des individus qui ne s’identifient pas comme entrepreneurs ou joueurs professionnels et qui ne déclarent pas leurs gains à l’autorité fiscale de leur pays de résidence. En plus, de tous ceux qui ont aspiré à devenir professionnels du poker, rares ont réussi à devenir indépendants et à vivre de leur talent. Le marketing du poker s’est basé sur la réussite : le poker n’était plus simplement un jeu d’argent, mais surtout un style de vie luxueux (Järvinen-Tassopoulos 2010b ; Bjerg 2011). L’exemple du poker nous démontre qu’il est difficile de transformer le jeu en travail, car le risque de tout perdre est toujours présent.
La dépendance à la dépense
Le jeu n’est pas un jeu d’argent sans l’élément du risque qui est présent à tout moment pendant tout le déroulement du jeu, de la mise au résultat. La conception du risque, l’usage et la valeur de l’argent changent quand ces individus deviennent dépendants de leur habitude de jouer. Dans cette partie, nous examinerons comment le concept de dépense peut être utile dans l’étude de la dépendance et comment les joueurs pathologiques décrivent leur relation à la consommation, à la dépense et au gaspillage.
Dans La notion de dépense Bataille (2007, p. 28) divise la notion de consommation en deux parts distinctives : la première part se forme de la condition fondamentale (de l’usage du minimum nécessaire à la conservation de la vie) de l’activité productive et la deuxième des dépenses improductives (comme le luxe, les jeux, les spectacles, les arts). Ces dépenses représenteraient des activités qui « ont leur fin en elles-mêmes ». Bataille met l’accent sur la perte ou la « dépense inconditionnelle » qui est le contraire de la « dépense régulièrement compensée par l’acquisition » (ibidem). Cette conception des jeux suit la logique de l’improductivité introduite par Caillois, mais elle s’en différencie par la notion de la perte. Les jeux d’argent sont des dépenses inconditionnelles qui promettent tout mais ne garantissent aucun gain ni salut.
L’improductivité du jeu veut dire, selon Caillois (2003, pp. 42-43), que le jeu ne crée « ni biens, ni richesse, ni élément nouveaux d’aucune sorte ; et, sauf déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ». La conception de l’improductivité peut être élargie en y ajoutant l’idée de Binde (2010, p. 171) selon laquelle le passage de la société industrielle à la société post-industrielle a fait des citoyens occidentaux des consommateurs au lieu des producteurs. Dans une société de consommation moderne, il serait bien difficile de ne pas consommer : les individus sont constamment sollicités par des nouveaux styles de vie, produits et modes.
Martignoni-Hutin (1997, p. 49) constate : « La diffusion et la médiatisation des jeux de hasard et d’argent contemporains suggèrent quotidiennement l’argent facile, l’argent gagné, l’argent à portée de main, à portée d’ongle. C’est-à-dire un argent non travaillé qui de surcroît est non imposable. » Avec l’accroissement des sites de jeux d’argent en ligne depuis les années 1990, beaucoup de nouveaux joueurs ont trouvé les casinos, les jeux de hasard et les hippodromes du monde virtuel. L’industrie des jeux de hasard et d’argent a su profiter des besoins, des manques et des désirs créés par la société de consommation : l’offre des jeux est toujours de plus en plus attrayante, les boîtes postales électroniques sont envahies par des messages publicitaires et les sites divers sont couverts de messages « pop-up » faisant l’éloge des opérateurs divers.
« Je ne connaissais pas les casinos sur Internet et tout d’un coup je commence à recevoir des messages qui m’invitent à venir à jouer en ligne et qui promettent même des bonus. Incroyable ! Je croyais que j’allais finir de rembourser mes dettes en quelques mois et d’un clic de souris, je commence à passer des heures à l’ordinateur. J’ai ruiné ma famille. Les casinos en ligne sont encore plus dangereux que les casinos réels, car vos cartes bancaires vous permettent de continuer à jouer. Vous jouez et vous mangez à crédit et vous voilà endetté à 80 pourcent ! » (FR, Femme)
Jouer à crédit peut transformer radicalement la vie des joueurs et celle de leurs proches. Dans plusieurs cas, les joueurs pathologiques jouaient au-delà de leurs moyens et avaient recours au crédit pour pouvoir continuer à jouer (cf. cartes de crédit, crédits de consommation, prêts bancaires). Mais les joueurs devenaient lourdement endettés et au pire il ne leur restait pas assez d’argent pour survivre (manger, se vêtir, se loger) au quotidien.
La consommation « rend l’illimitation du désir figurable en stimulant les sens, promettant à la fois le vertige qui sort de l’ordinaire et rend la vie excitante, et le confort qui l’améliore en diminuant les efforts ou les fatigues – c’est le thème de l’abondance » (Ehrenberg 1995, p. 59). Dans le récit suivant, un joueur de poker est à la recherche des sensations fortes :
« Je jouais au poker en misant 100 à 200 euros la semaine. Financièrement je ne m’en sortais pas mal, car quand j’ai arrêté de jouer, j’étais gagnant. Ce que j’adorais dans le poker, c’était le jeu lui-même, la sensation, le frisson, l’adrénaline. Ces sensations étaient exacerbées par la cocaïne que je consommais en jouant. J’ai arrêté de jouer (en misant de l’argent) en même temps que je me suis sevré de la cocaïne. À ce moment-là, j’étais dans une très mauvaise passe et le sevrage a été tellement éprouvant que le poker est passé au second plan. Aujourd’hui, je suis toujours attiré par le jeu. Ma solution, pour ne pas me mettre dans la galère financièrement, est de participer aux tournois gratuits où on est éliminé dès qu’on perd. De cette façon tu ne peux pas te mettre dans le rouge en une seule partie. » (FR, Homme)
Certains joueurs pathologiques comparaient leur dépendance aux jeux d’argent à une autre addiction, comme l’alcoolisme ou la toxicomanie. Cette comparaison illustre la difficulté d’arrêter de jouer, de trouver une activité de remplacement et de résister à la tentation de continuer à jouer. Selon la « théorie de drogue », l’argent acquiert la puissance d’un stimulant en imitant l’action neurale, comportementale ou psychologique d’un stimulant plus naturel ; l’argent devient donc « une drogue cognitive » (Lea et Webley 2006, p. 165). Dans le cas ci-dessus, au lieu d’arrêter de jouer, le joueur pathologique a trouvé des tournois de poker gratuits son substitut de jeu, mais l’argent n’est plus une nécessité pour lui.
Les addictions, au jeu et à la nourriture, « sont des pathologies de l’agir qui réduisent le désir au besoin : faute de pouvoir représenter le premier, il se produit au passage à l’acte, une décharge dans l’agir » (Ehrenberg 1995, p. 138).
« Je me présente : j’ai 21 ans et j’ai un gros souci. Je suis accro aux jeux d’argent depuis que j’ai 12 ans. Tous les jours, il me faut au moins quatre jeux à gratter sans quoi je suis énervé. Ah oui, ce n’est pas grand-chose par rapport à ceux qui s’endettent au casino avec des sommes astronomiques. Mais je travaille très peu et le peu d’argent que je gagne il est aussitôt dépenser de nouveau aux jeux. C’est incroyable à quel point ça devient frénétique quand on est sûr qu’on va gagner. Bref, j’essaie d’éviter d’acheter des jeux de grattage des fois, mais je n’y arrive pas. C’est comme si c’était indispensable à ma survie. Et puis des fois, mais rarement, je vais au casino. Là je craque complètement et je perds tout en 30 minutes. Il parait que je suis tellement grave quand j’y suis que mes amis ne veulent plus m’y amener (je n’ai pas de voiture) ; je n’entends plus personne, je réponds n’importe quoi à me amis et je les envoie se promener. Ça ne serait pas mal si je pouvais me calmer. » (FR, Homme)
La vente des jeux de hasard et d’argent comme des produits à libre-service peut faciliter le développement de la dépendance au jeu. Les jeux vendus dans les bars-tabacs en France ou à la caisse d’un supermarché finlandais sont différents des jeux d’argent placés dans les casinos ou encloisonnés derrière un signe qui fait savoir la limite d’âge. Il est possible qu’il serait plus facile d’acheter un nouveau jeu et d’en oublier le risque dans un espace de consommation faisant partie de la vie quotidienne que dans une salle de jeu.
Veblen (2007, p. 65) utilise le concept de gaspillage pour donner sa définition à la dépense : selon lui, « somme toute la dépense n’est utile ni à la vie ni au bien-être des hommes ». Le « gaspillage ostentatoire » peut sembler être de « l’argent jeté par la fenêtre », mais il peut devenir aussi indispensable que l’achat d’un article banal (ibid., p. 66).
« La roulette m’a complètement envoûtée. Je peux dépenser plusieurs milliers d’euros par jour dans la roulette. Personne n’a les moyens de continuer ainsi ! Dans mes rêves, je vois la roulette qui tourne et des chiffres. Je ne peux plus me concentrer à quoi que ce soit et je suis énervée quand je ne suis pas à la salle de jeu. J’ai essayé d’arrêter de jouer une dizaine de fois malheureuses, mais le désir de jouer est trop fort. J’ai mis quelques euros dans les machines à sous et à la longue j’ai joué tout ce que j’avais sur moi. J’ai perdu énormément d’argent dans les machines, mais qu’est-ce que j’ai pu perdre à la roulette ! Hier j’ai perdu 300 euros en une demi-heure. J’ai peur et je m’inquiète, car je ne peux plus me contrôler. » (FIN, Femme)
Dans ce récit, la joueuse semble dilapider son argent dans une orgie ludique créée par elle-même tout en se consumant peu à peu par la dépense improductive de la perte (cf. Morin 2001 ; Bataille 2007). Les joueurs pathologiques se consument non seulement par la perte continuelle, mais aussi par les sentiments suscités par leur comportement insensé, irraisonnable et incompréhensible. Baudrillard (1983, p. 74) propose que « le jeu est grand parce qu’il est à la fois le lieu de l’extase de la valeur et le lieu de sa disparition ». Le gaspillage d’argent peut conduire les joueurs pathologiques à une crise identitaire grave.
L’analyse des récits des joueurs pathologiques francophones et finnophones révèle la complexité de la relation qu’ils entretiennent avec le jeu et l’argent. Au début, jouer peut être une expérience agréable et divertissante – une expérience que le joueur veut revivre aussitôt. Gagner une grosse somme d’argent du premier coup ou en plusieurs fois de suite peut créer une croyance erronée à une chance perpétuelle. Les pertes peuvent être expliquées de manières différentes : le joueur de machine à sous peut croire qu’il va gagner à la longue s’il continue à mettre des pièces dans la même machine ou le joueur de poker peut s’expliquer sa perte par le « bad beat » (Bjerg 2011, p. 128) ou par une « mauvaise passe » (Brody 2011, pp. 10-11).
« Aujourd’hui dans Homo consumans il y a plus que jamais Homo ludens, le plaisir de la consommation se rapprochant de celui procuré par les activités du jeu. Nul doute que cette capacité à créer de la distraction ludique et du mouvement "intérieur" ne soit l’un des grands facteurs alimentant l’escalade interminable des besoins », écrit Lipovetsky (2006, p. 75) dans Le bonheur paradoxal. Dans la dépendance, d’après les récits des joueurs pathologiques francophones et finnophones, l’angoisse engendrée par la dépense et par la perte est multiforme. Il s’agit de l’angoisse de ne plus gagner, de continuer à consommer des jeux d’argent sans relâche et de ne pas avoir sa revanche (ou sa rémunération) des machines à sous. Peu à peu les joueurs deviennent dépendants de la dépense – qu’il s’agisse de la dépense de l’argent, d’une dépense psychique et physique ou d’une perte totale dans le labyrinthe du jeu.
L’addiction – Un mot-clé moderne ?
Pour finir, nous ouvrirons la discussion sur le concept de l’addiction et sur sa place dans le vocabulaire moderne. La conception de l’addiction serait fondée sur deux « piliers historiques », l’esclavage et la dette (Lowenstein 2007, p. 198). Ces piliers historiques se basent sur l’étymologie latine (addico, addicere, addictus) qui renvoie à l’action d’adjuger et d’attribuer, c’est-à-dire « adjuger quelqu’un à quelqu’un d’autre, la personne du débiteur au créancier » et « mettre sous le nom » de quelqu’un (Jacquet et Rigaud 2000, p. 17).
Le terme de l’addiction, tel qu’on l’utilise actuellement, a été adopté de la terminologie nosologique anglo-saxonne « pour rendre compte d’une série de conduites, désignées jusque-là en français sous le terme de toxicomanies » (Jacquet et Rigaud, p. 13). Ce terme représente une nouvelle manière d’interpréter les problèmes de la santé mentale individuelle à partir des années 1980 ; les individus souffriraient des troubles liés aux substances psychoactives, de l’alimentation (anorexie, boulimie), liés au contrôle des impulsions (jeu pathologique, kleptomanie, pyromanie) et à certains types de comportements (tabagisme, sexualité compulsive, achats compulsifs) (ibid., pp. 50-55). La 5ème édition du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’Association psychiatrique américaine (APA), « a intégré les problèmes de jeux de hasard et d’argent dans la même catégorie diagnostique que la dépendance aux substances psychoactives ». Le jeu pathologique est reconnue officiellement comme une dépendance comportementale (Dufour et al. 2014, p. ii). En outre, il existerait des « nouvelles dépendances » liées à l’Internet, aux jeux vidéo et à la sexualité (ibidem.). Mais « le fait que des médecins s’intéressent aux façons d’aimer, de jouer, comme ils s’intéressent par ailleurs au diabète ou au cancer, ne devrait pas aller de soi », constante Valleur et Matysiak (2004, p. 15). Dufour et ses collègues (2014, p. ii) indiquent que ces nouvelles dépendances soulèvent des questions qui pour le moment restent sans réponse définitive.
L’addiction est généralement conçue comme un problème de santé publique. Dans le cas du jeu pathologique, des enquêtes de prévalence sont conduites régulièrement pour dépister l’évolution du jeu pathologique et les facteurs associés à son développement (INSERM 2008, pp. 223-240). Les résultats de ces enquêtes sont utilisés non seulement par les chercheurs, mais aussi par l’administration de l’État (pour pouvoir justifier sa politique des jeux d’argent), les organisations non-gouvernementales et les opérateurs des jeux d’argent. Il est important de trouver les facteurs liés au risque du développement du jeu pathologique et de prévenir ce développement, mais par conséquence, on étudie beaucoup moins l’addiction comme un problème social.
Selon Bonnaire (2009, p. 267) la spécificité des addictions comportementales se trouveraient dans le fait qu’elles prennent « racine dans la normalité de la vie quotidienne ». Cette normalité est créée par l’idéologie de la société de consommation qui s’appuierait sur une temporalité linéaire. La tâche des individus modernes est de rester alertes et de se procurer la dernière invention et d’apprendre la nouvelle manière de vivre représentée par des produits ou des machines. Dans les sociétés archaïques, l’alternance entre la vie quotidienne et la vie de fête était plus prononcée (Morin 2001, p. 128). Dans les sociétés modernes, cette alternance est moins forte dû à l’individualisation, à l’urbanisation, à l’importance du temps accordé aux loisirs et aux vacances et bien entendu dû à la consommation. Pour que les individus modernes acceptent de dépenser, il a fallu « déculpabiliser l’envie de dépenser, dévaloriser la morale de l’épargne, déprécier les productions domestiques » (Lipovetsky 2006, p. 145).
L’époque moderne a été encadrée par des « grands récits » (Lyotard 1988), comme celui du christianisme, des Lumières ou du marxisme, qui ont influencé la vie sociale, ses normes et ses valeurs. Ces grands récits modernes ont donné un sens à la vie des individus sous forme d’idéologies, de croyances, de politiques ou de standards. Les contre-cultures, les déviations et les anomies diverses ont servi aux individus à se séparer de la trajectoire moderne tracée d’avance et d’affirmer leur indépendance vis-à-vis d’elle. Il faut pourtant noter que la médicalisation de la dépendance et de la déviance a changé la conception de l’addiction. D’un côté, la médicalisation a permis de reconnaître les symptômes de l’addiction et les différentes phases dans son développement et de trouver des solutions pour guérir l’individu devenu dépendant d’une substance ou d’une habitude comportementale. D’un autre côté, la médicalisation de certains comportements a autorisé la transformation de la déviance en maladie pour que ces comportements asociaux soient mieux contrôlés (Conrad et Schneider 1992, cf. Mangel 2010). Mais les conceptions changent aussi : ce qui a été défini déviant à un moment donné ne l’est plus aujourd’hui.
En dépit de ses piliers historiques, l’addiction est bien un mot-clé moderne. Selon Jeammet (2000, p. 95), les addictions « sont certainement, parmi les conduites qui concernent la psychopathologie, celles qui interrogent le plus le clinicien sur les frontières entre le normal et le pathologique ». La conception de l’addiction dépend de ces frontières qui sont à la fois floues et rigides. Comme nous avons pu voir avec l’exemple de la déviance, le normal et le pathologique d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. De la même manière, le jeu et le joueur « sont des figures de notre modernité, mais ces figures ont une histoire, des représentations, des visages et des pesanteurs, qui ont varié avec le temps » (Roche 1995, p. 9). Actuellement, la figure la plus répandue est celle du joueur pathologique qui consomme des jeux d’argent en faisant semblant de jouer et de se divertir. Le hasard a dû céder sa place à l’argent qui définit les relations sociales modernes à sa manière.
Conclusion
Dans cet article, nous avons étudié le rapport entre l’argent, le jeu et l’addiction. Comme point de départ théorique, nous avons choisi l’essai de Simmel (2004) sur la vie moderne dans le contexte urbain. L’individu moderne que nous avons choisi d’examiner est celui qui a tenté d’affirmer son autonomie et la spécificité de son existence en dépit du pouvoir social exercé sur lui, de son héritage, de la culture dans laquelle il vit et du développement technologique. Le fait de jouer peut être conçu comme une activité marginale dans la société moderne occidentale, mais cette conception n’atteindrait qu’une partie de la réalité ludique dans laquelle les individus modernes ont appris à vivre.
La variable, qui a perturbé la définition classique du jeu comme activité libre et improductive, est l’argent. Dans l’histoire occidentale, les communautés et les états qui ont organisé des tirages au sort et des loteries ont su tirer profit de l’envie de jouer des citoyens. Les individus modernes ont appris avec le temps (et la répétition forcée) que les jeux d’argent n’étaient pas simplement un passetemps agréable et excitant, mais aussi un moyen possible de vivre autrement et d’accéder à une réalité sociale différente de la sienne. Néanmoins, jouer s’est avéré un métier difficile : soit la prohibition morale ou légale des jeux d’argent a empêché les individus de jouer ou ils ont dû pratiquer les métiers du jeu clandestinement. Le poker a été apprécié et reconnu comme une profession pendant une certaine période, mais ceci n’a pas duré.
Si « les jeux du XVIIIème siècle constituaient pour les défavorisés un espoir ; les jeux du XXème siècle et du futur, quand la révolution technologique repousse les limites du territoire ludique, utilisent la même motivation mais ils livrent tout un chacun à l’idéologie de l’argent facile et à l’escroquerie des industriels du hasard », constate Roche (1995, p.16). L’industrie des jeux de hasard et d’argent prospère, car jouer est devenu une activité quasiment normalisée. Cette normalisation est sans doute une des raisons qui puissent expliquer l’engouement pour les jeux et la consommation de ces jeux dans les sociétés occidentales. La dépense et la perte de l’argent forment le fil rouge dans les récits des joueurs pathologiques qui jouent souvent à plusieurs formes de jeu, à des jeux à haut risque (cf. les machines à sous, les jeux instantanés, le poker) et à une fréquence rapide.
Le concept de l’addiction est un mot-clé moderne, car il illustre le besoin d’expliquer des phénomènes, des comportements et des activités auparavant sans définition précise, inconnus ou vus comme des formes de déviance. Le statut du jeu pathologique est ambivalent parmi les diagnoses des maladies et des troubles mentales : d’abord, il a été classé à côté de la kleptomanie et de la pyromanie, et ensuite à côté de la dépendance aux substances chimiques. Le jeu pathologique est un problème de santé publique, certes, mais pourquoi a-t-on du mal à le concevoir comme un vrai problème social avec des conséquences sociales (problèmes familiaux, divorce, suicide), économiques (dettes, chômage) et médicales (dépression, détérioration de la santé psychique)? Les joueurs pathologiques sont des individus qui ont voulu affirmer leur autonomie vis-à-vis de la vie moderne et leur spécificité dans la société de consommation, mais qui n’y ont pas réussi. Perdre le chemin dans la Modernité est un vrai risque du point de vue individuel et social : on peut expliquer cette perte par le concept de l’addiction, mais cette explication omettrait ce qui est en jeu dans la vie moderne, c’est-à-dire l’identité, la fonction et la place de l’individu. Les individus dépendants deviennent inégaux et marginalisés vis-à-vis d’autrui si la société refuse de comprendre les risques du contexte ludique actuel (cf. l’offre croissante des jeux de hasard et d’argent hors et en ligne) qui peut rendre l’individu moderne à l’état de l’homme primitif combattant la nature.
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Notes
[1] Pour cette étude, nous avons étudié 13 cas de joueurs francophones (originaires de différents pays francophones européens) et 18 cas de joueurs finnophones. Ces joueurs pathologiques ont envoyé 187 messages (FR= 39 ; FIN= 148) à des forums de discussion virtuels. Nous avons choisi des récits dans lesquels les joueurs pathologiques écrivaient à propos de l’argent, du jeu et de l’addiction d’un un corpus plus large de messages. Nous avons ensuite choisi des extraits qui illustreraient le mieux le jeu pathologique et l’usage de l’argent.
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