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  • Comprendre l'Utopie : quelle(s) utopie(s) ?
    Georges Bertin (sous la direction de)

    M@gm@ vol.10 n.3 Septembre-Décembre 2012

    UTOPIA



    Georges Bertin

    georges.bertin49@gmail.com
    Docteur en Sciences de l’Education ; habilité à diriger activités de recherche en Sociologie ; Directeur de Recherches au Conservatoire National des Arts et Métiers des Pays de la Loire ; Membre du GRECo.Cri (Groupement de Recherches Européen Coordonné des Centres de Recherche sur l’Imaginaire), Président du CENA (Cercle d'Etudes Nouvelles d'Anthropologie) ; Directeur scientifique d’Herméneutiques Sociales ; Directeur d’Esprit Critique, revue internationale francophone en sciences sociales.

    Orazio Maria Valastro

    valastro@analisiqualitativa.com
    Docteur de Recherche en Sociologie, Université "Paul Valéry" Montpellier ; Maîtrise en Sociologie, Académie de Paris "Sorbonne", Université René Descartes Paris V ; Fondateur et Directeur Scientifique de la revue internationale en sciences humaines et sociales "m@gm@" ; Président "Les Etoiles dans ma Poche", association de volontariat reconnue Loi n.266/1991, inscrite dans le répertoire général de la région sicilienne dans la section socio-culturelle-éducative.

    « La pensée occidentale est née lors de la marche d’Israël vers sa Terre Promise et pendant l’attente de la venue du Messie ». Jean Servier.

    Utopies : « lieu de nulle part » (définition classique),dans ses « Leçons sur l’idéologie et l’utopie » (1986), Paul Ricoeur rapproche le sens utopique de l’imagination, il y définit l’imaginaire comme faculté de modification et les utopies comme autant de récits alternatifs : «de “nulle part“ jaillit la plus formidable contestation de ce qui est », écrit-il. Les utopies feraient donc paraître la contingence de ce qui est advenu, et on sait depuis Aristote que la contingence du monde est une condition de l’action [1]. Et, en ce sens, « la découverte du Nouveau Monde a été pour l’Occident le signe qu’il était capable de dépasser le présent »(Servier).

    De Optimo Reipublicae Statu deque Nova Insula Utopia, Thomas More.

    Au-delà des utopies culturelles, politiques et sociales projetées depuis l’Antiquité classique dans nos imaginaires sociaux via les Arts et Lettres ou les discours politiques annonçant des sociétés idéales jamais réalisée, il existe aussi ce que l’on nomme aujourd’hui des « utopies concrètes », même si l’expression sonne, pour certains, comme un oxymore. D’un côté, donc, un mouvement créant dans un espace du nulle part et partant de l’imaginaire vers l’action, car quand comme l’a écrit Paul Ricoeur, « l’homme n’advient qu’au travers de ces pratiques » et lorsque l’imagination devient « instituante », constitutive de la réalité sociale, le développement de perspective nouvelles constituent la base même de l’Utopie. Mais ces Utopies restent dans le domaine d’une Universalité largement convenue.

    Les Utopies organiseraient donc, sans en clôturer le sens, une rencontre de l’Imaginaire et du Réel articulant et rendant possible deux univers que tout semblait différencier, si ce n’est opposer.

    Pour Castoriadis, toute société est une création de l’imaginaire et cette création est toujours imprévue. Pourtant, il a toujours récusée l’Utopie comme formation sociale, et ceci rend paradoxalement son point de vue proche de ce que nous nommons les « utopies concrètes » lorsque viennent s’y croiser l’imprévisibilité des terrains d’une création sociale toujours continue, laquelle est à la fois présentification (donc récit comme chez Ricoeur), que Castoriadis nomme le Legein (λεγείν) et faire être (donc action incontournable comme chez Langevin) qu’il nomme Teukhein (τευκειν). Ce qui nous semble être justement les caractéristiques des utopies concrètes.

    Car les Utopies concrètes éclosent de nos jours un peu partout. Ecoles nouvelles, réseaux d’échange de savoirs et autres SELS, biocoops, initiatives pour la défense de l’environnement et la lutte contre les OGM, groupes de médiation en banlieue, monnaies biodégradables… luttes anti-totalitaires et non-violentes, communautés du Nouvel Age ou  alternatives… Elles rendent possibles les rêves d’une société basée sur l’Optimisme entre l’extraordinaire et le quotidien.

    Elles ouvrent la voie à des coopérations transversales souvent multinationales, à l’exportation de leurs objets et idées. Elles sont annonciatrices d’une contre société possible.

    ‘The Island of Utopia’, woodcut by German painter Ambrosius Holbein (* Augsburg, 1495 - † Augsburg, 1519 ) in 1518, 18 x 12 cm, kept in the Öffentliche Kunstsammlung, Basle.

    Emergeant du monde actuel, lequel subit de profondes transformations et se construit progressivement autour d’une formidable expansion d’un "milieu" technologique dont l’impact est décisif sur les équilibres géopolitiques, géoculturels, écologiques et les développements socio-économiques, elles posent également la question de la mondialisation des modes de communication par technologies et satellites interposés, laissant envisager pour les enjeux culturels futurs, des mutations profondes et des réponses utopiques comme la constitution de communautés virtuelles ou le fameux village mondial [2].

    La réflexion théorique sur l’Utopie est ouverte par Benoît Quinquis, explorant l’œuvre d’un fondateur de l’Utopie, Platon. Il met en comparaison la République et les Lois comme modèles historiques fondateurs du genre utopique dans le Temps et l’Espace, tout en montrant que la frontière entre Utopie théorique et pratique est loin d’être établie.

    Virginie Alnet, de son côté, interroge la perspective « religieuse » de l’Utopie. A partir des définitions de Mannheim et de Servier, elle jette un regard renouvelé sur les communautés religieuses dont l’ambition vise et à l’universalité et à l’application optimiste dans les « utopies projets » qu’elle distingue des utopies littéraires le plus souvent pessimistes. La mentalité utopique millénariste écrit-elle, serait la forme la plus radicale de l’Utopie moderne, dans la mesure où elle reste liée à la croyance !

    Hervé Ondua nous présente l'Utopie de Thomas More, son fameux traité consacré à la meilleure forme de gouvernement, entretenant l'espérance d'un rétablissement de l'équité sociale. Une œuvre définie par son caractère fonctionnel, la critique des sociétés, et son récit érigé sur le témoignage d'une île nommée Utopie, lieu d'équilibre et d'égalité, principe de tout progrès pour esquisser un projet alternatif d'organisation du monde.

    Szuzsa Simonffy, pour sa part, se fondant sur les travaux de Paul Chamberland,  appréhende l’Utopie sur la base des rapports entre Gnose et Utopie, soit dans  la « conjonction du pluriel collectif et du collectif singulier ». L’Utopie est mise en forme de l’engagement, dans ses mutations, et c’est ce qu’elle perçoit dans la position « métisse » de Chamberland, lorsqu’il vise à « exercer le principe espérance sans le dégrader en rêve ».

    Partant des terrains de l’Utopie, le lecteur trouvera ici des analyses concrètes.

    ‘Dutch telescope’ from the “Emblemata of zinne-werck” (Middelburg, 1624), Johan de Brune (1588-1658).

    Cholé Maurel revient avec intérêt sur le cas de la cité d’Auroville, bien connu des spécialistes de l’Utopie, vaste cité internationale, fondée en Inde en 1968, dont elle analyse avec lucidité la distance critique vécue entre atouts et faiblesses tout en en montrant l’évolution et l’apport certain aux domaines de l’Education, de l’Economie sociale, du développement durable…

    Augusto Debernardi considère deux communes, lieu de la pratique d'utopies contemporaines : Topolò et l'art, sollicitant dans les rues une renaissance des lieux par la pratique de la culture ; Paralup et l'architecture écologique, soutenant une renaissance par le biais du respect de l'environnement. Le noyau des expériences utopiques relatées, cette mise entre parenthèse de l'immuable et de l'institué par la pratique de la poésie et l'imagination d'un paysage différent, relève d'une méthode conceptuelle fondée sur le lien et les relations concrètes des citoyens.

    Isotta Mac Fadden nous décrit l’expérience de Marineleda en Espagne andalouse, qui développe un imaginaire puissant d’opposition au capitalisme latifundiaire, donnant naissance à un leadership fort et une capacité politique étonnante.

    Katia Machado, avec subtilité, présente le projet brésilien des « Olhares de Morro », quand la photographie des exclus contribue à la réinsertion familiale et sociale, dans ce qu’elle nomme un combat socio-visuel.

    Pasini, lui, ouvre le champ de l’Utopie au domaine de la santé mentale en décrivant la « Casa della Salute », quand l’Utopie se confronte à la réalité et devient un dispositif de conscientisation des différents acteurs déterminant leur repositionnement interactif.

    Abraham Ortelius (1527–1598) map of Utopia.

    Il fallait également bien un regard sur l’Art, pour nous amener aux rivages incertains de l’Utopie, ce qui est l’ambition d’Orazio Maria Valastro analysant les utopies de l’espace artistique et social quand les consciences s’en trouvent ouvertes à d’autres possibles.

    Ces exemples et prises de position montrent à l'envie que nous vivons une période chaude de notre imaginaire social, voyant à nouveau les lumières de l’Utopie s’imposer sur les devants de la scène sociale. Elle surgit des marges et du chaos quand émergent de nouvelles significations sociales partagées, quand des forces « instituantes » interrogent nos consciences, quand les peuples veulent en finir avec la barbarie générées par des sociétés fermées et frileuses qui répugnent à s’ouvrir à l’étranger, qui ne savent plus se laisser surprendre, quand les dynamiques du développement local entrent en carambolage avec des modèles préconstruits lesquels ont engendré migrations forcées, surexploitation des ressources, déshérence du lien social.

    On voit bien, dés lors, que, face à ce que Castoriadis nommait « une société à la dérive » fondée sur des systèmes de plus en plus irrationnels (pensons par exemple au voyage des produits maraîchers ou fruitiers en Europe), il s’agit de redonner un sens aux utopies, entre marges et marchés, sans doute lieux d’ouverture de ces possibles qui se cherchent de nouveaux chemins de plénitude.

    Bibliographie

    Bertin Georges et Villaça Nizia ( co dir.), Imaginaires et Utopies entre marges et marchés, revue Esprit Critique, 2011.
    Bertin Georges et Guillaud Lauric (co dir.), Les Imaginaires du Nouveau Monde, Mens Sana, 2011.
    Foessel M., L’imaginaire dans l’action et dans l’institution, consulté sur Internet, https://www.fondsricoeur.fr/photo/Ricoeuraction(1).pdf
    Lallement M., Le travail sous tensions, Sciences Humaines, 2010.
    Laville J-L., et Cattani A-D., (dir.) Dictionnaire de l'autre économie, Desclée de Brouwer, 2005, 564 p.
    Castoriadis C., Une société à la dérive, Paris, Le Seuil, 2005.
    Castoriadis, C., La montée de l’insignifiance, Le Seuil, 1996.
    Généreux J. La Grande régression, Le Seuil, 2010, 279p.
    Linhart D., Travailler sans les autres, Le Seuil, 2009.
    Meda D., Coutrot T., Flacher D., (dir.) Les chemins de la transition, Utopia, 2011.
    Pesqueux Y., Méric J., Sole A., La société du risque, Economica, 2009.
    Ricoeur, P., Leçons sur l’idéologie et l’utopie, Le Seuil, 1986
    Schor J., Plenitude: The New Economics of True Wealth, Penguin, 2010.
    Simmel G., Sociologie et Epistémologie, PUF, 1981.

    Notes

    1] Michaël Foessel, L’imaginaire dans l’action et dans l’institution, consulté sur Internet, https://www.fondsricoeur.fr/photo/Ricoeuraction(1).pdf

    2] Source  Univers Utopia.



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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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