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    Maria Immacolata Macioti - Orazio Maria Valastro (a cura di)

    M@gm@ vol.10 n.2 Maggio-Agosto 2012

    LA MISE EN SCÈNE DE SOI


    Barbara Roland

    baroland@ulb.ac.be
    Praticienne et doctorante en arts du spectacle vivant à l’Université Libre de Bruxelles.


    Au cours de cet article, nous examinons un corpus de créations dans le champ des arts du spectacle vivant en Belgique, au sein desquelles des performeurs, à la fois sujets et lieux de l’énonciation, développent des formes esthétiques d'écriture vivante de soi. Pour certains artistes, l’art de la performance est un terrain privilégié pour évoquer l’expérience du « moi » dont ils sont les protagonistes. Des femmes et des hommes deviennent les auteurs de leur biographie, sous forme d’un langage vivant qui dépasse le cadre de la représentation et de ses codes. Avec ou sans masque fictionnel, ils mettent en place des moyens originaux pour exprimer ce que les instruments classiques de l’expression ne peuvent pas formuler. Entre réalité et imaginaire, ils communiquent « ce que dire ne veut plus dire », et traduisent des réalités mais aussi des souvenirs de la mémoire individuelle et collective sur le plan de la création artistique. Depuis l’émergence, dans les années 50, de formes de créations radicales, l’art performatif ou performanciel (c’est-à-dire qui se rapporte aux qualités de la performance), en rapport direct avec son contexte culturel et historique, a exhibé des présences et des réalités que les codes de la représentation classique ont masquées ou proscrites. Sur base de notre pratique et d’observations, nous analysons quelques performances et pièces de théâtre performatif contemporaines ; nous y considérons les actions d’évoquer, d’exposer, de créer et de témoigner, et nous éclairons comment l’automanipulation, la théâtralisation de soi ou encore le témoignage permettent de briser les conditions mimétiques des représentations stéréotypées, et d’ouvrir la réflexion sur le devenir cathartique de créations qui génèrent une fonction sociale nouvelle : celle de prendre part à l’action sur le mode d’une participation sensible et intellective qui éveille à la subtilité des événements présentés, et par la même à la reconnaissance de l’altérité, de sa subjectivité et de sa différence.

    Le détachement de la fiction et la révélation de la réalité, sous forme de combinaisons plus proches du fonctionnement de la mémoire et de l’imagination que des règles de l’écriture manuscrite, transforme l’espace de création qui, s’il peut tantôt être le lieu d’appropriation ou désappropriation, peut aussi devenir un lieu de rencontre et de partage qui permet de se positionner parmi les autres, de se comprendre soi-même et de se sublimer sur le ton de la légèreté. D’une autre façon, le théâtre de la mémoire et de la re-présentation nous conduit à appréhender les fonctions esthétiques et éthiques de l’évolution du mécanisme de la catharsis qui confronte le spectateur au choc de la confession ou de l’exposition de réalités qui peuvent être tragiques. Dès lors, l’intégration du témoignage personnel conduit à considérer comment le particulier peut transformer notre conception de la vie dont il s’agit moins de faire l’illustration universelle que l’investigation, et de rendre compte des mutations de perceptions et de comportements dans l’espace artistique et, à plus large échelle, dans la vie. Si la mise en scène de soi ouvre l’accès à un dépassement de la représentation au privilège d’une dimension de présentation autoréférentielle et autosignifiante, qui consiste sans doute moins à imiter, à reconstituer, à reproduire, qu’à briser l’illusion des apparences, à faire retour sur soi-même et à réinventer le réel, n’est-il pas temps de réaliser que l’avenir de l’art peut réellement rejoindre la vie, et produire des changements réels dans l’ordre humain ?

    Lucille Calmel avec Philippe Boisnard, au théâtre paris-villette, photographe: Corinne Nguyen, 2011

    Au cours des ateliers pratiques « Performance et arts du corps » à La Cambre à Bruxelles, auxquels je participais en 2010-2011, Christophe Alix, performeur et docteur à l’université de Hull, introduisait son séminaire avec le concept de « mise en scène de soi », caractéristique de la performance, qu’il distinguait de la mise en scène théâtrale proprement dite. Et alors qu’il y présentait des artistes tels que Spalding Gray, Tim Miller, Karen Finley, Linda Montano, Steve Cohen ou encore Lucille Calmel en Belgique… il nous proposait bientôt de passer à l’action et d’articuler la mise en scène de soi à un objet personnel, ce qui nous rendit rapidement compte du potentiel de l’exploration performative à déployer l’imaginaire et à catalyser des souvenirs avant, pendant et après les expériences. De cette façon, nous remarquions que la stimulation de la mémoire constitue tantôt la source, tantôt l’effet de performances où le sujet, au centre du processus créatif, se trouve en état de glissement permanent entre l’identité et le rôle qu’il pourrait prendre, c’est-à-dire entre le moi authentique et le moi en représentation (ou le moi joué [1]), à la frontière de la transformation du « moi » au « non (non) moi » dont parle Richard Schechner dans son livre « Performance, expérimentation et théorie du théâtre aux USA [2]», quand il évoque les « phénomènes transitionnels » de D.W. Winnicot [3]. Dès lors, comment considérer le « moi » du performeur dont nous parlons, si ce n’est en tant que construction imaginaire d’une écriture vivante, dont le corps est le medium, qui se réalise au travers de l’expérience de l’altérité :

    « Le moi est d’abord et avant tout un objet qui ne peut coïncider temporellement avec le sujet, une ek-stasis temporelle : le caractère futur du moi et l’extériorité que lui confère son statut de percipi établissent son altérité au sujet. Mais cette altérité est située de façon ambiguë : d’abord, au sein du circuit d’un psychisme qui constitue/ découvre le moi comme un symbole erroné et décentré de lui-même (et par conséquent comme une altérité intérieure) ; ensuite, comme un objet de perception, semblable aux autres objets, et donc à une distance épistémique radicale du sujet : le moi est « un objet particulier à l’intérieur de l’expérience du sujet. Littéralement, le moi est un objet – un objet qui remplit une certaine fonction que nous appelons ici imaginaire. La structuration imaginaire du moi se fait autour de l’image spéculaire du corps, propre, de l’image de l’autre. » [4]

    Au croisement du théâtre et de la performance, j’avais déjà été interpellée par les questions de la représentation de soi à l’occasion d’un workshop de La Pocha Nostra [5], où l’utilisation d’objets, qui provenaient de notre archéologie personnelle ou qui évoquaient des chapitres importants dans notre vie, servait « le jeu avec l’identité » qui, selon Pavis [6], constitue la forme la plus riche de l’autobiographie [7] scénique. Au cours de recherches en acte sur tous les aspects de l’identité (social, ethnique, sexuel, culturel…), nous échangions des objets à partir desquels confectionner et accomplir des équipements et des contextures utopiques. Dans un dialogue interdisciplinaire, les connexions et le décalage avec les habitudes de la vie quotidienne consistaient à « coloniser le corps », à nous ouvrir à la circulation des pulsions et des énergies, des pensées et des sensations, et à accorder notre identité à une combinaison variée de figures hybrides aussi extraordinaires que monstrueuses, en soulignant les parts de nous-mêmes qui terrifient et qui font fuir autrui, précise Guillermo Gomez-Pena. En utilisant les objets, comme prothèses, pour ce qu’ils étaient ou pour ce qu’ils n’étaient pas, nous réalisions des modèles virtuels de notre propre « je » qui permettaient de nous confronter aux différences et aux similitudes de l’altérité et de nous (re)construire dans le contexte social :

    « Performance art has taught me that I can reinvent my identity at will, that we are not necessarily straitjacketed by identity. Performance has taught me that props, make-up, tattoos, costumes, fashion, hairdos, constructed social behavior, and language also determine how we are perceived by others, and that we can be creative about this. In fact, a big part of my body of work is an exercise in the reinvention of identity. » [8]

    Bien que nous pourrions nous attarder plus longuement sur la description et le détail de ces exercices, un peu trop éphémères que pour y trouver raison dans un article sur les thématiques de l’imaginaire, de la mémoire et de l’autobiographie, nous souhaitons mettre en perspective d’autres observations que nous avons menées récemment dans le champ des arts du spectacle vivant en Belgique, pour étudier plus globalement le phénomène de la mise en scène de soi qui, nous semble-t-il, permet de dépasser les conditions stéréotypées de la mimèsis et de réfléchir au mécanisme de la catharsis qui, de tout temps, a servi de support à la représentation. À la différence des mises en scène théâtrales traditionnelles, où le corps humain est un véritable instrument au service de l’interprétation du texte et du personnage de fiction sous le contrôle du metteur en scène, il apparaît que l’écriture vivante de soi relève d’un processus de création autonome ou collaboratif qui incorpore la subjectivité du performeur qui peut se reconnaître dans le corps de celui qu’il est : un lieu d’être, un lieu de vie, un lieu d’histoire et de mémoire. Car si, souligne Judith Butler, mon corps a une histoire dont je ne peux avoir aucun souvenir [9] et qu’être un corps, c’est en un certain sens être dépossédé du souvenir de l’ensemble de sa propre vie, c’est à cet endroit même du corps, à l’endroit de l’action sur et avec son corps que le performeur peut dépasser le simple fait d’être un corps avec une histoire qui sommeille au fond de lui, pour s’éveiller à la réalité de sa vie.

    L’automanipulation : s’approprier ou se désapproprier soi-même

    En mai 2011 à Bruxelles, le festival Trouble accueillait des artistes de tous genres autour de la thématique « Métamorphoses Entre art et politique, de multiples transformations de soi, réelles et imaginaires ». À l’occasion de cet événement, nous assistions à un colloque qui s’intitulait « Transgenre, genre d’art. Trouble des corps et mise en scène de soi », au cours duquel des intervenants de toutes disciplines s’exprimaient sur les questions transgenres. Parmi eux, Phia Ménard [10], née Philippe Ménard, partageait son expérience transformiste que l’imaginaire de ses performances traduit sur un plan métaphorique. Le récit de vie [11] dont elle faisait part retraçait son cheminement en même temps qu’il permettait de se reconnaître au sein d’un groupe, et d’atteindre une catharsis personnelle [12]. La métamorphose, synonyme de renouvellement, aura ainsi permis de se désapproprier de son corps congénital comme l’on s’exile de son pays de naissance, de se débarrasser de son identité masculine conditionnée par un certain passé dans le corps d’un homme qu’elle n’a jamais été et de s’incorporer dans un autre genre, dans une autre langue, pour continuer à vivre dans un autre contexte. « Thus, the more we want to argue that auto/biography is not a nostalgic project, the more we should recall that in archaic ritual, too, the return to the past is a way of cancelling historical contingencies and of enabling a fresh start. » [13]

    Si l’on s’intéresse d’un peu plus près à « PPP » (« Position parallèle au plancher » en 2006) ou encore à « Black Monodie » [14], avec Anne-James Chatton, qu’elle présentait en avril 2011 dans le cadre du festival Trouble, il apparaît que les performances métaphorisent des segments de vie, où la glace figure le genre qui doit être préservé dans certaines conditions pour subsister dans un état permanent et qui, le cas échéant, peut passer d’un état solide à un état liquide. À l’issue d’un travail de connaissance de soi, sur soi et avec soi qui aura pu être douloureux, l’instabilité la matière rend compte de la transformation physique du performer [15] qui, en tous les cas, finit par s’avérer salutaire: « Self-knowledge is where you start on the way to becoming « the wole », whether this process takes the form of social action or personal transformation.» [16] L’ « autotransformation » [17] devient un moyen de rejoindre le réel et le « moi », par le biais de l’imaginaire de la performance où l’artiste peut prêter son corps à l’autre pour vivre une expérience qu’il ne se prêterait pas à vivre dans la réalité : « c’est pourquoi je l’expose à des situations dangereuses ou dans des situations qui appellent à la projection de son propre corps face à l’événement. » [18]

    Cependant, si l’automanipulation permet de se reconnaître, voire de se réapproprier dans le genre que l’on choisit pour soi-même, elle sert aussi, dans d’autres performances telles que celles de Lucille Calmel [19], à se désapproprier soi-même, non seulement sur scène mais aussi, à plus large échelle, dans la vie : le corps est un outil de l’expression autobiographique, souligne-t-elle au cours d’un entretien, qui permet d’accéder à un certain détachement, de trouver « la volonté de ne pas vouloir et de se faire moins mal ». Par le biais de la technologie, la performance « identifiant : lucille calmel », par exemple, qu’elle créait en juin 2011 à Open Paris-villette, devenait le lieu et le sujet d’une écriture du geste qui simule et stimule le dialogue imaginaire entre la mémoire, le système nerveux et le corps vivant qui fusionne avec l’écriture jusqu’à devenir une machine à écrire, une « femme à écrire », pour reprendre ses termes, à la fois lieu de jonction et de passage des flux et des fantasmes, dont la performance, nous dit Josette Féral, se veut l’accomplissement physique du performeur qui manipule et qui travaille avec son corps comme avec une toile.

    « Refusant toute illusion, et l'illusion théâtrale en particulier qui procède d'une répression des valeurs "basses" du corps, du visage, de la mimique gestuelle, de la voix, qui échapperaient à l'observation normale. D'où le recours aux différents médias (téléobjectif, appareil photo, caméra, écran vidéo, télévision) comme autant de microscopes destinés à grossir l'infiniment petit et à focaliser l'attention du public sur des espaces physiques restreints arbitrairement découpés par le désir du performeur qui les transforme en espaces imaginaires, zone de passage de ses flux et de ses fantasmes à lui. » [20]

    À la fois lieux de jonction et de médiation, les différentes parties du corps reliées à une caméra kinect [21], programmée pour projeter les traces fragmentaires d’un stock de mailings, de « tchats », de textes et d’images que les mouvements révélaient tour à tour, déclenchaient la simulation d’une mécanique mnémonique, c’est-à-dire la projection implicite d’un fonctionnement imaginaire de la mémoire qui cherche et associe des souvenirs codés non localisés dans un endroit précis [22], en les disséminant un peu partout dans l’espace. Au croisement de l’espace web et de la scène, l’expression du rapport cinétique à la matière mémorielle fait état d’une radiographie ou d’une cartographie [23] virtuelle qui révèle le mouvement rhizomatique de connexions hétérogènes multiples, sans origine ni fin [24]. Dans ce type de structure, l’effet du geste performatif accorde au « je » la possibilité de rester en vie dans une segmentation d’instants assumés sur scène, et de passer à la décision délibérée de se livrer, ne serait-ce qu'à mots voilés [25]. Sur le mode d’une gestique poétique qui engendre les formes particulières d’un alphabet du corps, l’expérience de l’écriture autobiographique, dont la performeure fait l’expérience, déjoue la mimétique de la représentation, au profit d’un partage commun dans une zone d’échange intime et publique où s’entrecroisent le fait de vivre avec l’action de performer.

    Par le biais de la performance, nous passons de l’imitation à la construction d’une démarche qui consiste sans doute moins à interpréter qu’à incorporer le réel d’une action, d’une expérience qui permet de se réinventer mais aussi de moduler notre perception des choses. Comme nous l’avons vu, la manipulation d’objets et de matières, l’automanipulation ou encore l’interactivité éveillent la mise en état de perceptions synesthésiques, à mi-chemin entre le geste et la pensée, qui stimulent la sensibilité du spectateur en faisant étrangement écho au langage métaphysique du théâtre de la cruauté :

    « Ce langage, on ne peut le définir que par les possibilités de l’expression dynamique et dans l’espace opposées aux possibilités de l’expression par la parole dialoguée. Et ce que le théâtre peut encore arracher à la parole, ce sont ses possibilités d’expansion hors des mots, de développement dans l’espace, d’action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité. C’est ici qu’interviennent les intonations, la prononciation particulière d’un mot. C’est ici qu’intervient, en dehors du langage auditif des sons, le langage visuel des objets, des mouvements, des attitudes, des gestes, mais à condition qu’on prolonge leur sens, leur physionomie, leurs assemblages jusqu’aux signes, en faisant de ces signes une manière d’alphabet. Ayant pris conscience de ce langage dans l’espace, langage de sons, de cris, de lumière, d’onomatopées, le théâtre se doit de l’organiser en faisant avec les personnages et les objets de véritables hiéroglyphes, et en se servant de leur symbolisme et de leurs correspondances par rapport à tous les organes et sur tous les plans. » [26]

    Autoreprésentation [27] : la théâtralisation du moi

    Nées là mais d'où I des Soeurs Martin, à la Ferme-Asile, Centre artistique et culturel, Sion, Suisse, photographe : Robert Hofer, 2011

    Sur un autre plan, les autoreprésentations de Patricia et de Marie-France Martin [28] combinent une série de documents personnels et culturels (photos, archives, faits-divers, émissions radio, références…) qui constituent les traces autobiographiques et généalogiques de « topographies » qu’elles rétro-projettent et qu’elles commentent au cours de « performances-conférences » qui ne cessent de jouer avec les mécanismes de la mémoire, de la narration et de la représentation : les références et les (auto)citations migrent d’une pièce à l’autre et émergent à la conscience comme les associations naissent d’un voyage dans les abysses de la mémoire. Au-delà du traditionnel dédoublement théâtral, les sœurs Martin démultiplient leur identité gémellaire et explorent une relation tridimensionnelle dans laquelle elles sont à la fois les auteures, les performeures et les personnages d’autofictions [29] ambigües qui s’accordent la possibilité de transgresser le pacte d’authenticité autobiographique [30] (qui impose la vérité et l’exactitude des faits racontés) entre l’auteur et le lecteur. Sur le plan spectaculaire, l’enchevêtrement d’informations imaginaires et réelles perd les spectateurs dans une constellation d’intertextualités (auto)référentielles où il importe moins de faire la distinction entre le vrai et le faux, que de permettre l’échappée dans l’imaginaire de performances qui, à l’instar du fonctionnement de la mémoire, peut brouiller les pistes ou éclairer des éléments du passé en temps utile, sous la forme originale d’une muséographie, d’une mise en perspective fragmentaire d’archives, où l’exposition dans la performance absorbe l’espace comme cadre et comme lieu, devenant par elle-même son propre objet de création. [31]

    À différents niveaux dans les performances, les artistes sont les lieux et les sujets d’une énonciation où le « moi » devient le corps même de l’exposition qui, entre imaginaire et réel, permet non seulement de faire retour sur soi, mais aussi de se positionner parmi les autres, de se raconter et de se comprendre soi-même, souligne l’artiste pluridisciplinaire Ivo Dimchev [32] qui privilégie l’échange et la communication tant sur le plan individuel que collectif : « Si nous arrivons à nous rencontrer quelque part à l’intérieur du travail, à quelque niveau que ce soit (inconscient, conscient, émotionnel), cela est suffisant pour moi… » [33]. Les performances d’Ivo Dimchev théâtralisent avec humour les indices autobiographiques sur le terrain de créations fantasmatiques, qui sont aussi des espaces de collaboration et de jonction entre la vie des performeurs qui se (re)présentent sous leurs propres noms, et l’expérience de la mise en scène qui se veut sincère et authentique. « What such performances implicitly reveal is the relational status of the ‘self’. The ‘self’ not only a historical and cultural construct but is imbued with, and indeed inseparable from, others. » [34]

    Son travail individuel et collectif (Lili Handel, Som Faves, We art dog come, X-on,…) impose la réalité du corps performatif au devant de la scène, c’est-à-dire la performance d’une idée du corps qui rompt avec la mimèsis et bascule du côté de l’autoreprésentation qui relève moins du récit authentique de soi que du désir de s’inventer, de se fantasmer et de se sublimer sur le ton de la légèreté. L’humour de ses créations légitime ce qui s’écarte du vrai et laisse apparaître ce qu’il y a de superficiel à la fois et de profond dans la personne de l’artiste qui se met tout entière en scène. Comme le précise Hegel, dans son Esthétique, à propos de l’humour subjectif:

    « […] comme c’est au contraire l’artiste lui-même qui s’introduit dans son sujet, sa tâche consiste principalement à refouler tout ce qui tend à obtenir ou paraît avoir une valeur objective et une forme fixe dans le monde extérieur, à l’éclipser et l’effacer par la puissance de ses idées propres, par des éclairs d’imagination et des conceptions frappantes. […] et la représentation n’est plus qu’un jeu de l’imagination, qui combine à son gré les objets, altère et bouleverse leurs rapports, un dévergondage de l’esprit qui s’agite en tous sens et se met à la torture pour trouver des conceptions extraordinaires auxquelles l’auteur se laisse aller et sacrifie son sujet. » [35]

    X-on d’Ivo Dimchev, Kaaitheater, photographe : Natalia Iordanova, 2011

    Dans X-on [36], par exemple, Ivo Dimchev se théâtralise sous le masque de Lili Handel [37] qu’il n’hésite pas à lever pour s’autociter, faire des plaisanteries et révéler aux spectateurs l’une ou l’autre chose au sujet de son histoire et de ses rapports aux autres performeurs qui, en plus de jouer leur propre rôle, assument celui des copies de l’acteur en représentation, remettant en question la situation dans laquelle ils se trouvent mais aussi la position du metteur en scène, à la fois auteur et interprète principal de la pièce. Dans le prolongement de la vie, les créations nous renvoient à la conception de l’artlife art, dont parle Kaprow [38], qui n’est plus séparé de la vie, comme l’artlike art, mais directement au service de celle-ci. En ce sens, l’art et la vie fusionnent sur un site de négociation et d’organisation où les expériences, les souvenirs et les réflexions se suggèrent les uns les autres et s’enchevêtrent dans l’imaginaire du contexte où la création a lieu. Entre réalité et fiction, c’est peut-être à cet endroit que l’autoreprésentation ou la théâtralisation du moi apporte à la représentation une fonction sociale nouvelle qui n’attend plus seulement du spectateur l’identification passive à des sentiments vraisemblables, mais une participation sensible et intellective qui l’éveille à la subtilité des événements présentés, et par la-même à la reconnaissance de l’altérité, de sa subjectivité et de sa différence.

    Le théâtre de la mémoire : témoigner du traumatisme

    Toujours en Belgique, les créations théâtrales Rwanda 94 (2000) et Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens, 2010) du Groupov et de Jacques Delcuvellerie bouleversent aussi l’ordre de la représentation et de ses codes. Plus que du théâtre documentaire, l'articulation d'événements et de témoignages réels à des interventions fictives, des « citations » et des références interrogent les fonctions esthétiques et éthiques d’une représentation qui semble toujours plus nous échapper, mais aussi les effets sur la réception du spectateur qu’elle ne cesse de sortir de la fiction anesthésiante et de confronter au choc de l’exposition de faits, de documents et de personnes réelles.

    « Dans nombres de spectacles, c’est en effet un réel « brut » qui fait irruption : les « vraies » gens, le « vrai » sang, les histoires vécues. Le témoignage est convoqué et les images vidéos en attestation de ce réel manifestent un besoin de la trace. Cette forme de contiguïté fait revenir quasi directement un « morceau » de réel sur le plateau. L’impact en est ressenti comme plus fort que celui de la fable, que celui de tout discours, par exemple sur des mécanismes d’oppression et de domination devenus, dit-on, opaques.»

    Dans Un Uomo Di Meno (Fare Thee Well Tovaritch Homo Sapiens) [39] du Groupov plus particulièrement, où la présence du metteur en scène sur le plateau n’est pas sans évoquer le théâtre autobiographique de Kantor [40], l’enchevêtrement de textes de fiction ( de Pasolini, de Sade, de Brecht…), d’extraits de journaux personnels, de fragments documentaires et de souvenirs troublent les frontières entre le fantasme, la fiction et la réalité. Pendant plus de sept heures de spectacle, le narrateur (Jacques Delcuvellerie), que l’on identifie à l’auteur et qui se dédouble dans le personnage de Jacques Delui, prend le temps d’agencer tous les éléments du spectacle qui conduisent à l’exposition du drame familial dont il fait la confession au cours du troisième mouvement [41]. Par le biais d’une investigation à caractère ethnographique, le spectacle laisse subtilement place au choc d’une « confession impudique » qui s’intègre à la somme des réalités consternantes qu’il ne cesse de dévoiler. À ce moment, il semble que le secret de famille, comme un petit fragment d’histoire authentique dans l’ensemble de notre Histoire, révèle au spectateur stupéfait qu’il n’est pas vain de prendre conscience des réalités individuelles, avant de prétendre à toute tentative d’aspiration commune.

    « Cette « biographie », réaliste et rêvée, extrêmement personnalisée, et en même temps projection collective, ne veut pas seulement être l’occasion de rendre vie aux bouleversements de ces décennies au prisme d’une vie particulière, mais évoquer concrètement, dans l’ordre de la sensibilité sensorielle, les changements qu’ils ont entraînés. » [42]

    Ainsi, en se connectant à un contexte historique plus large, l’intégration du témoignage personnel nous conduit à considérer l’individuel dans l’ordre de la représentation, qui ne dit plus seulement le général conformément à la vraisemblance ou à la nécessité, selon la conception aristotélicienne, mais opère une dénonciation d’ordre collectif où l’attrait universel de l’auto/biographie se révèle par-delà l’exemple individuel : « Hence the paradox noted by Susanna Egan : that despite the uniqueness of the individual life, autobiographies collectively reveal recurrent ‘ Patterns of experience’. » [43]

    Que le témoignage soit le prétexte de la représentation ou au contraire que la représentation elle-même devienne l’occasion d’une formulation autobiographique n’est pas vraiment la question qui nous intéresse. En fait, le recours à la mémoire et à l’autobiographie amène à reconsidérer les possibilités et les fonctions de performances ou de pièces performatives qui ne cherchent pas à illustrer la vie exemplaire mais qui en font plutôt l’exposition, la confession ou l’investigation [44]. Comme on l’a déjà remarqué, la mise à nu de réalités transgresse définitivement le registre de la vieille représentation qui repose sur l’imitation ; elle remet en cause la catharsis qui consiste à faire prendre plaisir à la contemplation d’images dont la vue est pénible dans la réalité [45], à soulager et à libérer le spectateur des passions. Car en effet, à quoi peut-il servir de dépasser les fonctions archaïques de la représentation si, plutôt que de provoquer la réaction et le changement, elle continue à susciter l’identification passive du spectateur qui prend maintenant plaisir à des actions pénibles ou au témoignage d’événements qui ont réellement (eu) lieu ? Comme le souligne Angélica Liddell [46], la représentation de l’horreur ne peut laisser le spectateur indemne, c’est pourquoi son enjouement pour la souffrance peut susciter l’incompréhension :

    « En fait, après le festival d’Avignon l’an dernier j’ai fait l’expérience d’un conflit parce que je ne comprenais pas pourquoi les gens avaient autant applaudi la souffrance. Je ne comprenais pas ce succès parce qu’une fois que je refermais la porte de ma chambre, je me retrouvais avec cette douleur et les gens avaient applaudi la douleur et ça je ne le comprenais pas. » [47]

    La révélation de la douleur, sous quelque forme que ce soit, implique, semble-t-il, un déplacement du dispositif de la catharsis et de la mimèsis, qui d’Aristote à Brecht et à Artaud, a persisté à légitimer les fonctions de la représentation, et plus précisément de l’imitation que Platon [48] percevait comme une dégradation du réel. Alors qu’Hegel rejetait les composantes et les effets de la catharsis au point de remplacer la frayeur et la pitié, ainsi que toute forme de violence émotionnelle liée au choc cathartique de la purgation, par le soulagement et la solution raisonnable des conflits, rappelle Catherine Naugrette dans son article « De la catharsis au cathartique : le devenir d’une notion esthétique [49] », Brecht rejetait cet apaisement final et construisait le schéma d’un théâtre épique qui substituait la distanciation à l’identification. Ainsi, il mettait le matériau cathartique au service d’une dimension intellective qui visait à remplacer la crainte par la soif de connaissance, et la pitié par la volonté d’aider. Par là même, il rejoignait la conception artaudienne d’un théâtre essentiel comme la forme pure d’une révélation, où la liberté de vie et tout ce qu’il y a de plus abject dans le fait de vivre se précipite avec une vigueur naturelle et impure, avec une force toujours renouvelée vers la vie ; un théâtre fait pour vider collectivement des abcès, un théâtre comme la peste, une crise qui se dénoue par la mort ou par la guérison, par la purification [50]. Si le plaisir du spectateur et plus précisément la catharsis, qui produirait une réaction positive (le plaisir) par le biais d’émotions négatives (la pitié et la frayeur), a été si souvent soulevée et condamnée [51], d’autant plus face à l’exposition de la réalité, nous posons la question de savoir si le devenir de la cathartique a encore un sens ? Sans doute, si un dispositif de reconnaissance de la souffrance par la réalité de la souffrance, et non plus seulement par sa simulation, peut permettre de surmonter et de maîtriser la peur à laquelle sont confrontés le performeur et le spectateur qui, sortis de l’illusion léthargique et mis en situation de tension, seraient alors forcés de réagir ou tout au moins de prendre une attitude responsable visant non seulement à se transformer, mais aussi à développer le sens de l’humanité. C’est pourquoi, il apparaît que le témoignage et l’exposition de la souffrance, en ce qu’ils peuvent sembler irreprésentables et (auto)destructeurs, puissent opérer un renversement salvateur et participer directement aux mutations de comportements dans l’espace artistique et par-delà dans la vie. Si le performeur peut se présenter en tant que victime au cours d’une expérience, le public qui supporte, voire qui endosse le rôle de la victime, par le biais de l’identification et de l’empathie, n’est plus présent pour se purger lui-même et se soulager à la vue du tragique, mais il se rend solidaire et fait face à la réalité de la tragédie. En ce sens, il est probable que l’acceptation de l’expérience de la souffrance puisse mener à une nouvelle forme de rédemption qui puisse susciter la distance esthétique et réflexive nécessaire pour opérer un changement, à plus large échelle, de nos habitudes et de nos représentations calquées sur les modèles bourgeois de soumission et d’occultation ; ce qui constitue tout l’enjeu du devenir cathartique, souligne Catherine Naugrette [52], c’est de retrouver ce que l’art peut concevoir et réaliser de solidaire, de respectueux et d’humain, qui puisse mener à une expérience nouvelle où l’indignation, en même temps que la pitié (eleos), la frayeur (phobos) et la compassion, servent à la re-connaissance et à la réparation symbolique.

    « Similarly, it is in terms of Aristotle’s emphasis upon the evolutionary consequences of such idealized mimesis that one best addresses the current argument that in rewriting the past the autobiographer changes the self of the present and projects its future.» [53]

    S’il convient de réactiver les éléments du processus cathartique, et d’en tester la validité pour appréhender l’humanité de l’homme, faire face au travail difficile sur la mémoire, à l’impossible oubli d’un passé catastrophique et à l’obscurité d’un avenir incertain [54], il convient certainement, face aux mises en scène du traumatisme et de la souffrance dont le caractère autobiographique peut être plus ou moins manifeste [55], d’en approfondir le mécanisme, qui, s’il relève toujours d’une thérapeutique curative, doit sans doute se détourner de l’ application archaïque qui chercherait à donner à voir et à faire comprendre tout en faisant plaisir, et d’évaluer plus en profondeur ses implications et ses limites dans leur contexte, d’autant plus dans le cas de performances interactives qui peuvent susciter des réactions agressives et violentes, et par là même relever les questions de responsabilité; mais il s’agit là d’un autre sujet que nous développerons ultérieurement.

    Comme le témoignage est une forme d’écriture de soi (de (re)construction de soi) qui peut intégrer l’imaginaire de mises en scène autofictionnelles dont l’auteur est à la fois l’auteur, le personnage et le performeur, tels qu’Ivo Dimchev se représente sous le masque de Lili Handel dans X-on, les sœurs Martin, sous leurs multiples masques fictionnels, ou encore Jacques Delcuvellerie qui se dédouble au travers de Jacques Delui dans Un Uomo Di Meno, les mises en scène de soi de Phia Ménard ou de Lucille Calmel, dont nous avons fait état, parmi l’ensemble des formes du performance art, où le « moi » se trouve au centre du processus créatif, ne révèlent pas moins que derrière chaque être humain ne se trouve pas qu’un personnage en représentation auquel il est loisible de nous identifier sans crainte, mais bien la présence réelle de l’être qui se confronte à lui-même et qui prend le risque d’aller chercher dans les autres les moyens de se réfléchir, de se présenter et de se re-présenter [56] publiquement, en ne renvoyant plus uniquement à l’absence d’un personnage fictif ou à l’absence de lui-même en tant qu’acteur porteur de représentations. « Dans les deux cas, de toute façon, l’acteur se découvre témoin d’autre chose : un autre qui, au fond, n’est rien. » [57]

    Comme nous l’avons vu, la mise en scène de soi sape les présupposés de l’imitation au privilège d’une subjectivité de la « re-création », ou plutôt devrait-on dire d’une réinvention du réel, qui dépasse les contraintes figées de la vieille représentation au privilège d’une dimension d’ostension, de présentation autoréférentielle, autosignifiante, souligne Marco De Marinis, « en d’autres mots de renvoi à soi, plutôt que de renvoi à un « autre que soi » ou à un ailleurs, de production (de sens et de réalité) plutôt que de re-production.» [58] Ainsi, nous pouvons dire que parmi les nouvelles formes de représentation, si l’on peut encore parler de représentation, l’écriture vivante de sa vie et de soi-même est une stratégie de reconnaissance et de résistance face aux catégorisations qui enserrent dans des modèles déterminés. Les mises en scène de soi individuelles ou collectives rendent compte que les tragédies sont aussi des réalités, et non pas seulement des simulations, qui ont ouvert l’accès à un dépassement de la représentation, et par là même à l’évolution de ses fonctions - dont il convient de poursuivre l’analyse dans le temps - qui consistent sans doute moins à imiter, à reconstituer, à reproduire, qu’à briser l’illusion des apparences, à produire des changements, et à éveiller le sens humain dans l’art et dans la vie. Car, en fin de compte, si l’art, qui a toujours été apparence, a empêché toute possibilité de retour sur soi, il est peut-être temps de réaliser que son évolution peut aussi stopper la chute tragique des innocents, et servir des réalités (des vérités) qu’il ne sert à rien d’étouffer sous le voile de l’imitation, de la répétition, de la reproduction.

    Notes

    1] Pavis, Patrice 2002 : p. 362. Dans sa définition de l’autobiographie scénique, l’essayage de divers moi fictionnels conduit à remettre en question l’alternative absolue entre moi authentique et moi joué, à placer le sujet dans un jeu permanent de rôles et de miroirs, à nous « montrer que le personnage, le rôle et l’identité sont des catégories beaucoup plus fluides que laisseraient penser les catégories binaires traditionnelles. »
    2] Schechner, Richard 2008 : P. 459-460. « Pendant les ateliers et les répétitions, les interprètes jouent avec les mots, les objets et les gestes, certains relevant du « moi » et d’autres du « non moi ». […] Lorsqu’il joue, l’interprète est en rapport avec son moi non pas directement, mais à travers les autres ; il n’a plus un « moi » mais un « non non-moi ». »
    3] Winnicott, D.W. 1971.
    4] Butler, Judith 2009: p. 87-88.
    5] En mai 2009, le centre des arts scéniques (CAS) en Belgique organisait le workshop « corpo illicito » de la Pocha Nostra (Guillermo Gomez-Pena et Violeta Luna) à La Maison Folie à Mons. La Pocha Nostra est une organisation artistique et politique basée à San–Francisco, fondée par l’artiste d’origine mexicaine Guillermo Gomez-Peña. Actif depuis les années 80, il propose une méthodologie pratique et théorique interdisciplinaire originale et parfois extrême. La Pocha Nostra rassemble et accompagne des personnes de tous les horizons dans un cheminement qui concerne plus spécifiquement les questions identitaires et la réalisation de soi-même.
    6] Pavis, Patrice 2002: p. 362.
    7] Heddon, Deirdre 2008: p. 174. « Autobiography appears even in the theatrical prologues and epilogues from the seventeenth to the nineteenth centuries, where performers often spoke in their off-stage personas, blurring the line between reality and fiction ; they also made reference to contemporary cultural and political events-again, utilizing the unique contemporariness of theatre. »
    8] Gómez-Peña, Guillermo 2005: p.255.
    9] Butler, Judith 2005 : p. 39.
    10] Ménard, Philippe 2006. Forte de formations en arts du cirque et techniques de jonglerie et de composition, mais aussi en mime et en jeu d’acteur, Phia Ménard crée la compagnie Non Nova en 1998. Les performances pluridisciplinaires et l’équipe de création, qui constitue une entité professionnelle hétérogène, répondent à sa vision d’hybridation de nos sociétés. « Je suis Phia Ménard, une femme ayant habité le corps d'un garçon que je n’ai jamais été. Le changement d'apparence physique avec l'apparition des formes, ainsi que de nouvelles humeurs, sont là chaque jour un peu plus présents. Phia est le prénom féminin que j’ai choisi de créer comme élément d’une identité à inventer.»
    11] Pavis, Patrice 2002 : p. 362. Patrice Pavis distingue trois formes de l’autobiographie : a. le récit de vie, b. la confession impudique, c. le jeu avec l’identité.
    12] Leroux, Louis Patrick 2004 : p. 79.
    13] Hinz, Evelyn J. 1992: p. 207.
    14] La performance « P.P.P. » inaugure un nouveau cycle de création qui accumule des matériaux pour le plus vaste projet : « ICE », pour « Injonglabilité Complémentaire des Éléments ». Le projet comprend « L’après midi d’un foehn et Vortex », « P.P.P. », et « Black Monodie ».
    15] « La création de « P.P.P » fut le point de départ d’une nouvelle direction, avec la volonté d’approfondir le sujet de la transformation comme axe de réflexion au travers d’éléments physiques. Avec aussi l'envie, par l’appréhension des éléments, de questionner le spectateur sur sa propre transformation. » in Ménard, Philippe 2006.
    16] Kaprow, Allan 1996: p. 217.
    17] Lehmann, Hans-Thies 2002: p. 221. Selon Lehman, l’ « autotransformation » désigne la sphère de recoupement entre le théâtre et le performance art où l’artiste organise, effectue et compose des actions qui affectent et prennent même possession de son corps personnel, comme matériau signifiant, au cours d’un processus qui détruit pour l’artiste lui-même comme pour le public la distance esthétique, en devenant par là-même complice de l’action qui l’affecte et qui prend possession de lui.
    18] Ménard, Philippe in Colloque Transgenre, genre d’art. Trouble des corps et mise en scène de soi, La Bellone, le 28 avril 2011
    19] Lucille Calmel pratique les arts de la scène et la performance depuis 1990. De 1995 à 2004, elle dirige avec Mathias Beyler la compagnie de théâtre myrtilles et, la coopérative, un lieu de recherche et d’expérimentation artistique axé sur les technologies actuelles et les indisciplines à Montpellier. Elle explore les dimensions performatives entre corporalités, sonorités et textualités dans le cadre de résidences et de créations d’écritures vivantes qu’elle mêle à la nouvelle scène de l’internet. Depuis 2005, Lucille Calmel vit à Bruxelles. En 2007, Elle a été assistante à la programmation à Recyclart où elle impulsa plusieurs événements impliquant poésie sonore, textualités et musiques expérimentales. À Bruxelles, elle participe à diverses collaborations, résidences et créations dont auborddugouffre, inspiré du roman éponyme de David Wojnarowicz, qu’elle présente au Théâtre les Tanneurs en mars 2011.
    20] Féral, Josette 1985.
    21] Plus connue sous le nom de code Project Natal (périphérique destiné à contrôler des jeux vidéo Xbox 360 sans utiliser de manette), la caméra Kinect utilise des techniques qui permettent d’interagir par commande vocale, reconnaissance de mouvement et d’image, en ne faisant appel qu’aux mouvements du corps.
    22] Ninio, Jacques 2011 : p. 20.
    23] Heddon, Deirdre 2008 : p. 88-89. Dans le chapitre: 3. Place : the place of the self, l’auteur empreinte l’image de la cartographie, dont parle aussi Guillermo Gomez-Peña (le corps comme une carte), pour décrire la vie ou rendre compte des expériences que les artistes partagent avec le public. Mais plus encore, si la métaphore spatiale peut accompagner l’expérience vécue, comme nous le verrons aussi dans le cas des performances des sœurs Martin, Deirdre Heddon s’intéresse plus spécifiquement à l’interrelation entre l’identité et le lieu sur lequel l’artiste peut inviter les spectateurs à les accompagner ou à les rejoindre pour y partager une expérience ou un récit ( Autotopography : Autobiography and Place). Et alors que l’auteur mentionne les performances de Bobby Baker dans la sphère domestique, il est sans doute opportun de noter la performance « jetedemandedemedemander » en décembre 2008 au théâtre Paris-Villette au cours de laquelle Lucille Calmel occupait en permanence l’espace scénique d’un théâtre pendant trois semaines (dans la première version) aménagé comme chez elle : lit, canapé, commode, table basse, etc. à l’intérieur duquel elle explorait et manipulait la matière visuelle et sonore qu’elle avait accumulée ; ou encore la performance en deux parties, « Je ne remets pas ta tête », qu’Eglantine Chaumont et Gaëtan Rusquet (artistes plasticiens et performeurs) présentaient en mai 2011 au festival Trouble, pour laquelle ils performaient différents moments de leur vie commune, d’abord dans une salle des Halles de Schaerbeek où le public pouvait suivre l’action librement, et ensuite dans leur appartement, où les spectateurs étaient invités à partager une trentaine de minutes de leur vie quotidienne.
    24] Deleuze, Gilles et Guattari, Félix 1976.
    25] Leroux, Louis Patrick 2004 : p. 75.
    26] Artaud, Antonin 1964 : p. 138
    27] Leroux, Louis Patrick 2004 : p. 78. « Qui dit autoreprésentation n'entend pas nécessairement autobiographie : il s'agit plutôt d'une représentation métonymique de l'idée qu'on se fait de soi. Autoréflexivité, redoublement, l'autoreprésentation s'applique autant à l'intertextualité autoréférentielle d'un texte qu'aux clins d'œil que l'auteur fait aux éléments de sa présence physique ou figurée dans son texte. » Selon Gérard Genette, dans Fiction et diction, nous pourrions également parler d’ « autofiction », c’est-à-dire qu’un narrateur identifié à l’auteur y produit un récit de fiction homodiégétique qui, dans ce cas, émane du fait que le performeur est à la fois l’auteur, le narrateur, et le protagoniste de performances qui mêlent réel et virtuel.
    28] Les sœurs Martin sont nées dans la vallée du Rhône en Valais en Suisse. Diplômées des Beaux-arts de Paris, elles vivent actuellement à Bruxelles et à Lyon. Leurs biographies sont le point de départ d’investigations performatives qui intègrent différents médias. Elles publient des textes dans des revues et des actes de colloques qu’elles parasitent, précisent-elles. Enfin, elles organisent aussi des workshops dans différentes écoles d’art et universités…
    29] Leroux, Louis Patrick 2004: p. 77. « Cette définition d'un genre hybride pourrait bien s'appliquer à tout ce qui est autobiographie au théâtre, comme il y a toujours une bonne part de montage et de manipulation du matériau dramatique. »
    30] A ce sujet, il convient de mentionner la différence entre l’autobiographie littéraire telle que Lejeune la définit dans son livre Le pacte autobiographique, c’est-à-dire en tant que « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. », ce qui implique par là-même l’idée du pacte d’authenticité entre le lecteur et l’auteur, et l’autobiographie dans les arts du spectacle vivant qui, de par sa nature, souligne Patrick Leroux dans Le théâtre autobiographique (2004), rend le genre improbable.
    31] Roland, Barbara 2010 : p. 2-3.
    32] Ivo Dimchev est né en 1976 en Bulgarie. Il vit et travaille à Bruxelles depuis 2009 où il a ouvert son propre espace de création et de présentation : le « Volksroom » qu’il a transformé depuis peu en galerie d’art. Son travail pluri et transdisciplinaire se situe au croisement de la performance, de la dance, du théâtre, de la sculpture, de la musique, du dessin, de la photographie... Il est aussi fondateur et directeur de l’Humarts Foundation en Bulgarie, et organise régulièrement des workshops internationaux.
    33] Dimchev, Ivo en entretien avec Hespel, Olivier 2010 : p. 43.
    34] Heddon, Deirdre 2008 : p. 124.
    35] Hegel 1997: vol. 1 p. 736.
    36] X-On est une performance pour cinq performeurs, réalisée en collaboration avec l’artiste plasticien Franz West, qui constitue le deuxième volet de la performance I-on, work in progress d’un corps à corps avec les sculptures portatives ou adaptatives (« Paßtücke ») de F. West conçues, dès le début des années 70 en réaction à l’actionnisme viennois, pour être manipulées par le public.
    37] Lili Handel est un personnage transgenre qu’Ivo Dimchev a créé en 2004, et qu’il interprète dans la performance Lili Handel/blood, poetry and music from the white whore's buduar (2004) où le corps performatif, à la fois sujet d’une consommation physique et esthétique, devient une véritable pièce d’art en elle-même que son auteur re-présente dans X-on, comme si le personnage sortait de son histoire originale pour migrer d’une pièce à l’autre.
    38] Kaprow, Allan 1996.
    39] Delcuvellerie, Jacques 2011 : p. 56-64. Un Uomo di Meno (Un homme en moins) du Groupov créé en mars au Théâtre National à Bruxelles, en 2010, constitue le premier volet d’une œuvre en quatre chantiers qui s’inscrit dans la lignée d’un « théâtre testamentaire » qui aborde la thématique ultime de la disparition (et/ou la mutation) radicale de notre espèce. Le spectacle renvoie à M. Jacques Delui qui va bientôt mourir, et à un genre d'homme, l'Homme (Homo Sapiens) qui risque de s’éteindre prochainement. Pour ce spectacle, Jacques Delcuvellerie conjugue l’art et la vie sur la scène du théâtre habitée jour et nuit par les comédiens et des techniciens qui occupent des chambres-loges qui intègrent le décor de l’espace scénique qui sert à vivre ( travailler) et à représenter, ce qui, précise Jacques Delcuvellerie, instaure « quelque chose de trouble dans la confusion et la distinction de deux ordres de réalités. »
    40] Leroux, Louis Patrick 2004 : p. 83. Dans son article « Le théâtre autobiographique : quelques notions », Louis Patrick Leroux ajoute aux trois types de formes de l’autobiographie scénique définies par Patrice Pavis (le récit de vie, la confession impudique, le jeu avec l’identité) « le Théâtre de la mémoire et de la re-présentation » auquel il apparente Tadeusz Kantor et le théâtre de la mort, comme il pratiquait « l’autoportrait comme aveu, comme confession de mise en scène ».
    41] Un Uomo Di Meno se développe en cinq mouvements (découpés en tableaux) dont chacun revendique sa parenté avec un langage artistique ou un registre particulier : I-Ici/Maintenant (liturgie) II-La malédiction des fils (roman) III-Un secret de famille (cinéma) IV-Anges (théâtre) V-L’effacement (peinture).
    42] Groupov 2008 : p. 78-79.
    43] Hinz, Evelyn J. 1992: p. 202.
    44] Dans cette veine, certaines créations de Rahim Elasri et de Pilot Group 17 en Belgique (Merci Georges en 2001, De rien Saïd ou la guerre du Golfe n’aura pas lieu en 2003, ou encore Qui a tué Aîcha ? ou Médée S en 2004) constituent sans aucun doute un bel exemple d’investigation et de substitution de l’espace scénique en lieu de rencontre, de témoignage, de revendication et de réappropriation, où la mémoire collective passe par l’expression subjective et autobiographique de jeunes immigrés, de réfugiés politiques ou de mères célibataires qui, aux côtés de comédiens professionnels, prennent la parole par le biais de chansons, de poèmes, de lettres qui stimulent les prises de position esthétiques, éthiques, politiques. In Roland, Barbara 2010 : p. 12-13.
    45] Aristote 1990 : 1448b 5-10.
    46] Angélica Liddell, d’origine espagnole, est auteure, metteure en scène, actrice et performeure de ses propres créations, où le corps parfois poussé à ses plus extrêmes limites révèle le tragique de l’horreur et de la douleur que l’acte théâtral permet de transformer en geste de survie.
    47] Liddell, Angélica et Marty, Enrique 2011.
    48] Platon 1966 : p. 368.
    49] Sur ce point, nous nous référons directement à l’article très précis de Naugrette, Catherine 2008 : p. 77-89.
    50] Artaud, Antonin 1964 : p.45-46.
    51] Naugrette, Catherine 2008 :p. 84.
    52] Naugrette, Catherine 2011 : p. 172-179.
    53] Hinz, Evelyn J. 1992: p.205.
    54] Naugrette, Catherine 2008 : p. 77-89.
    55] Nous pensons plus particulièrement aux expériences les plus extrêmes du body art où la mise en scène de soi passe par la monstration de la souffrance au cours de performances (les actionnistes viennois, Marina Abramovic, Chris Burden, Gina Pane, Franko B, Rocio Boliver…), qui se déroulent aussi dans le cadre de la représentation théâtrale (Angelica Liddle, Ivo Dimchev, …).
    56] Se re-présenter ne signifie pas littéralement se mettre en représentation ou rendre présent l’absence, mais plutôt se présenter à nouveau, c’est-à-dire construire une image de soi-même et s’exposer devant autrui pour se réaliser au travers d’une mise en scène de soi, ou encore se rappeler, se souvenir, faire revenir à l’esprit ou se figurer.
    57] Adriano, Fabris 2011 : p. 180-189.
    58] De Marinis, Marco 2011: p. 58.

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    Collana Quaderni M@GM@


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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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