Scritture di sé in sofferenza
Orazio Maria Valastro (a cura di)
M@gm@ vol.8 n.1 Gennaio-Aprile 2010
LE ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE LE GONE DU CHAÂBA DE AZOUZ BEGAG, UN ROMAN DE FORMATION ET D’APPRENTISSAGE?
Benamar Nadjat
nadjette16@yahoo.fr
Docteure en Français, option
litterature comparée, et enseignante de Français et en traduction
français/arabe et arabe/français à l'Université d'Oran Es-senia,
Algérie.
Benamar Mohamed Abdellatif
Doctorant 2 année en sciences
du langage littérature dite "beure" et enseignant Université
de Mostaganem, travaillant sous la direction de Monsieur Caude
Coste, Professeur des Universités, Algérie.
La fiction du monde
contemporain, selon Charles Newman, s’interroge sur la culture
établie, souvent autobiographique, elle relève d’un néo-réalisme
qui postule l’existence de nouvelles informations qui sont
tues par les médias [1].
Notre perspective s’inscrit sur la problématique suivante:
pouvons nous lire le roman de Azouz Begag comme un roman autobiographique
et un Bildungsroman beur (roman d’apprentissage)?
Le premier roman de Azouz Begag, Le Gone du Chaâba (Seuil,
1986), s’inspire de son enfance dans un bidonville de Lyon
et raconte sa volonté de s’en sortir par la réussite scolaire.
Pourquoi Azouz Begag, a-t-il entrepris d’écrire le Gone du
Chaâba? A cette question l’auteur répond;« Une raison psychologiquement
très forte me pousse à le faire. C´est l´histoire d´un enfant
qui sort du bidonville et qui réussit à l´école, donc dans
la société. Seulement, dans ce bidonville, sur les quarante
enfants il n´y en a qu´un qui s´en sort et c´est moi. Et ça
c´est difficile à vivre. Les trente-neuf autres restent derrière
toi et tu te dis: pourquoi moi? Tu vis mal ton succès, ta
réussite! Les trente-neuf autres se disent d´ailleurs la même
chose: pourquoi lui?» [2]
Dans une présentation de ce roman autobiographique, Azouz
Begag écrit: «Je suis né au Chaâba, enfant, c’est moi qui
essayais d’apprendre à mon père à lire et à écrire …»
Begag entreprend donc le projet d’écrire un roman autobiographique.
Car l’autobiographie est un genre littéraire que son étymologie
grecque définit comme le fait d’écrire (graphein, graphie)
sur sa propre vie (auto, soi et bios, vie). Azouz dans Le
Gone du Chaâba écrit une histoire qui aurait pu être la sienne
sur un jeune garçon qui arrive à l’école pour la première
fois, y trouvant un racisme palpable; toute la problématique
est de savoir comment réconcilier deux alphabets, deux façons
d’écrire, son père et sa maîtresse d’école - métaphores bien
entendu pour la scission entre sa vie privée et sa vie publique.
Au sens large l’autobiographie se caractérise donc a minima
par l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage.
Nous avons donc devant nous, avec "le gone du chaaba" un roman
autobiographique qui, d’après Philippe Lejeune se présente
sous forme d’œuvre littéraire, roman, poème, traité philosophique...,
dont l’auteur a eu l’intention, secrète ou avouée, de raconter
sa vie, d’exposer ses pensées ou de peindre ses sentiments.
Philippe Lejeune précise la définition du roman autobiographique
en incluant la caractéristique de «récit rétrospectif».
L'autobiographie constitue donc une forme particulière de
«l’écriture de soi» le genre s’affirme grâce à l’intérêt centré
sur l’individu. Dans cet«ensemble d’œuvres interrogatives
qui remontent le temps de la mémoire comme en même temps qu’elles
creusent l’intimité du sujet, écrit D. Viart, l’intériorité
ne se conçoit plus […] indépendamment de l’antériorité [3].
La première grande rencontre entre les protagonistes du Bildungsroman
beur «Le gone du Chaâba» de Azouz Begag et la société française
se fait à l’école, le site par excellence de l’apprentissage
(de connaissances et de valeurs) et aussi le haut lieu où
commence le processus de l’intégration et de la réconciliation.
Aussi nous nous posons la question suivante: Le roman autobiographique
est-il un roman de formation et d’apprentissage? Sachant que
le «Bildungsroman», ou «roman de formation», est un genre
romanesque, né en Allemagne, à l’époque des Lumières. Il a
pour thème le cheminement évolutif d’un héros, souvent jeune,
jusqu’à ce qu’il atteigne l’idéal de l’homme accompli et cultivé.
Le terme de «Bildungsroman» est l’invention du philologue
allemand, Johann Carl Simon Morgenstern qui voyait dans le
«Bildungsroman», «l’essence du roman par opposition au récit
épique» [4].
Le roman Begaguien, qui fait l’objet de notre analyse, est
un récit qui retrace toute la vie du narrateur, depuis l’enfance
jusqu’à la réussite qu’il a accomplie. Le bidonville ressemble
à El-Ouricia le village d’origine du père, vu que le Chaâba
est un amas de baraques où la vie moderne est absente, c’est
dans cet espace là que le narrateur a passé la moitié de son
enfance. Rien dans cet univers ne facilite la tâche à un jeune
beur qui affiche de s’extraire de l’exil des primo- migrants.
Ces lignes laissent entrevoir certains traits de la réalité
«beure»: des liens avec le Maghreb, par le pays, le passé,
la culture des parents, une situation socio-économique en
général assez difficile. Nacer Kettane donne la définition
suivante du terme «beur» inclus dans le Larousse en 1986:
«Beur vient du mot ‘arabe’ inversé: arabe donne rebe, qui,
à l’envers, donne ber et s’écrit beur. Beur renvoie à la fois
à un espace géographique et culturel, le Maghreb, et à un
espace social, celui de la banlieue et du prolétariat de France.»
(Kettane, 1986: 21) Beur se réfère donc à une ségrégation
spatiale et sociale, les lieux d’habitation de l’enfance beure
se situent presque toujours à la périphérie des villes, recréant
ainsi un schéma néo-colonial. Au plus bas de l’échelle les
bidonvilles, celui du Gone du Chaâba dont la réalité est transcendée,
évacuée par l’humour d’Azouz Begag avec le ciment qui brûle
les doigts (Begag, 1989: 157).
Dans le roman «le Gone du Chaâba», Azouz se trouve confronté
(opposé) à d’autres «chaâbis» (des enfants du bidonville)
qui l’accusent de pas être un vrai arabe, en donnant pour
preuve que lui réussit à l’école, tandis qu’eux échouent.
Ce qui justifie que tous les Beurs ne sont pas des cancres.
Azouz (Begag, 1986) travaille très bien en classe. Cependant,
cette réussite à l’école le place dans une position la plus
inconfortable par rapport aux autres chaâbis. Un incident
en particulier accentue ce mal à l’aise avec ses camarades
beurs, et constitue les pièces à conviction qu’ils présentent
pour l’inculper. C’est son refus d’aider un de ses camardes
de classe, Nasser, lorsque la mère de ce dernier ayant entendu
qu’Azouz avait de bonnes notes vient quérir sa complicité
pendant des compositions: «Tu travailles bien à l’école? Ecoute,
rend-moi un service: assieds-toi à coté de mon fils Nasser
pour l’aider pendant les composition…». Faisant appel à son
esprit de solidarité: «nous sommes tous des arabes non? Pourquoi
vous ne vous aidez pas? Toi tu aides Nasser, lui il t’aide.»
Mais la crainte qu’a Azouz de s’attirer les foudres du maître,
et également une perception bien plus individualiste - ou
du moins méritocratique - de la réussite scolaire, l’emportent
sur sa peine ne pas se sentir en mesure d’aider cette dame,
originaire du même village que sa mère, qui en l’interpellant
ainsi met en opposition les deux loyautés d’Azouz : «La dame
me fait de la peine (…) elle est toujours là, plantée devant
moi, l’air de plus en plus gêné. Elle m’implore au nom de
son fils, au nom de notre origine commune, au nom de nos familles,
au nom des arabes du monde. Non, c’est trop dangereux. Il
faut que je le lui dise franchement. - Je vais demander au
maître si ton fils peut se mettre à coté de moi pour les compositions!
Elle croit que je suis naïf, que je n’ai pas compris la complicité
qu’elle sollicite. - Mais tu n’as pas besoin de demander au
maître! réplique-t-elle. - Tu veux que je triche, alors?»
[5]
Azouz est coupable de non-assistance à camarade en danger
de mauvaise note. Au contraire, pour Azouz c’est la loi de
l’école qui doit primer. Il ne se juge pas responsable de
l’échec de Nasser et dans le contexte de l’école, l’entraide
que sollicite la mère s’appelle tricherie.
Nous constatons que ce roman «le gone du Chaâba» est jalonné
par une série de mots qui forment des champs lexicaux assez
frappants: l’évolution, l’institution, l’école républicaine,
la prise de conscience de son ignorance … ces mots, en fait,
nous renvoient à l’idée de la science, de la formation, de
l’apprentissage voire même de l’éducation.
Le beur tente de s’intégrer dans l’espace d’accueil, espace
sien par naissance. Il est par ailleurs clair que l’écrivain
veuille se soulager, et se libérer d’un poids de se détacher
d’un fardeau pesant, de son passé douloureux, aussi il entreprend
de s’analyser pour mieux se connaître, en dressant une image
de soi, et en se remettant en question .Car en choisissant
de raconter l’histoire de sa vie, il a fait le choix de faire
part de son enfance, des moments les plus décisifs qui l’ont
marqués, les obstacles qu’il a franchis, enfin toute son évolution,
ses ambitions à vouloir réussir à tout prix, sortir du ghetto,
de l’espace renfermé dans lequel il mène une vie de misère;
prendre son indépendance de ces murs (les murs du Chaâba)
qui le retiennent prisonnier de son sort, lui, et tous les
chaâbis (les habitants du Chaâba). Les Beurs en particulier:
«La France qui les a vus naître se comporte comme une marâtre
embarrassée, sans tendresse et sans justice» nous dit Tahar
Ben Jelloun (1984 :100), Cependant le roman de formation en
France, raconte l’histoire d’un jeune français qui se déplace
de la province, l’espace où il vit, à la métropole, un espace
de développement et de progression. Ce déplacement engendre
un changement de statut social grâce à l’institution dans
laquelle le héros évolue et se forme. Le personnage prend
conscience qu’il est face à un monde qui ne lui laisse aucun
choix, par conséquent donc, soit il décide de changer et de
réussir, soit il reste à jamais misérable et sous-développé
par rapport au monde de la grande ville.
Ce roman autobiographique, où se confondent trois «je», celui
de l’auteur, du narrateur, et du personnage principal marque
la réussite et l’ascension sociale d’un jeune français d’origine
maghrébine, en passant par l’institution scolaire. Le narrateur
prend conscience de son ignorance du monde, et décide d’en
finir avec cette ignorance, et ce n’est que par l’intermédiaire
de l’école républicaine française qu’il croit pouvoir atteindre
son objectif et son désir. Il faut souligner que la plupart
des auteurs issus de l’immigration maghrébine ont été la première
génération à fréquenter l’école française, et que les échos
de ce qui a fait l’objet d’un apprentissage d’origine institutionnelle
chez l’enfant sont une constante de la fiction, les allusions
à la littérature française apprises pendant la période de
scolarisation obligatoire sont des clichés à valeur culturelle.
La critique de l’espace d’accueil (société française) dans
le roman arabo-français se fait donc à travers l’école en
tant qu’institution. Rejetant l’espace dont les modèles culturels
ne sont pas adéquats, rejeté d’un autre, parce qu’accusé de
véhiculer les valeurs du pays d’origine, le beur se réfugie
dans un espace de solitude fait de violences et de déchirements.
Effectivement, «Le Gone du Chaâba» obéit parfaitement à la
structure que nous venons de donner. Le deuxième chef d’accusation
est le comportement d’Azouz lors d’une autre scène qui a également
lieu à l’école: la proclamation des classements. Azouz attend
avec impatience les résultats, espérant le bon classement
qu’il vise. Or, les noms que le maître commence à lire sont
de loin les plus inattendus, en entendant en premier les noms
de ces autres enfants du bidonville qui habituellement ne
réussissent à rien, Azouz est d’abord abasourdi, avant de
se rendre compte du jeu du maître: «Ça y est! Je sais ce qu’il
est en train de faire. -…François Rondet: avant-avant dernier.
Azouz Begag avant dernier et notre bon dernier Jean-Marc Laville
[6]. Maintenant on rit
de bon cœur dans la classe y compris monsieur grand qui commence
à distribuer les carnets de composition. (…)»
Or, le rire qu’Azouz partage avec le maître et avec les autres
élèves de la classe, n’est-il pas au dépend de ceux qui sont
réellement derniers, parmi lesquels se trouvent justement
ces mêmes enfants du Chaâba qui lui avaient reproché son manque
de solidarité? Azouz ne collabore-t-il pas à la vengeance
du maître, contre ceux qui ne travaillent pas dans ses classes
et qui refusent ses règles? Il est intéressant de noter que
les premiers de la classe - sauf Azouz - ont des noms bien
français. Aussi semble-t-il s’agir d’un rire d’exclusion,
qui remet les choses - ou l’on pourrait dire, les arabes -
à leur place. Toutefois, l’exemple d’Azouz sert comme exemple
à monsieur Grand pour contrer les accusations de racisme que
d’autres élèves lui adressent: «-Menteur! Poursuit M. Grand.
Regardez Azouz (…) c’est aussi un arabe et pourtant il est
deuxième de la classe… alors, ne cherchez pas d’alibi, vous
n’étés qu’un idiot fainéant. La réplique me cloue sur ma chaise.
Pourquoi moi? Quelle idée il a eue, là le maître de m’envoyer
au front.
Du coup, il remet Azouz dans un «camp»- celui des «Arabes»
- que donc il aurait «trahi». La réussite d’Azouz est en quelque
sorte réappropriée par le maître, pour montrer que si les
arabes de la classe ne réussissent pas, cela n’est dû qu’à
eux-mêmes. Ainsi, même si le maître aurait pu paraître l’allié
naturel d’Azouz en tant que témoin à décharge, il échoue lamentablement
car il semble en fait le déconsidérer un peu plus aux yeux
des autres chaâbis. Peut-être cela est-il en partie dû au
fait qu’en réalité M. Grand ne défend pas la cause individuelle
d’Azouz, mais surtout l’idéal de l’Ecole républicaine, égale
pour tous, et donc son propre rôle, en tant que digne représentant
de cet idéal. «J’ai terriblement honte des accusations que
m’ont portées mes compatriotes parce qu’elles étaient vraies.
Je joue toujours avec les français pendant la récré. J’ai
envie de leur ressembler. J’obéis au doigt et à l’oeil de
M. Grand.»
On peut discerner une certaine ambiguïté dans la position
d’Azouz: il veut ressembler aux français, mais il a honte
lorsqu’on le lui reproche. Ses accusateurs n’acceptent pas
ce flottement et le verdict qu’ils lui assènent est sans indulgence:
« Faut savoir si t’es avec eux ou avec nous! Faut le dire
franchement.» Mais est-il vraiment possible ou même souhaitable
de trancher ainsi? Avant de juger du bien-fondé des accusations,
il faut examiner la défense d’Azouz. Cette confrontation avec
les autres enfants de sa communauté d’origine est immédiatement
suivie dans le roman par le souvenir de sa circoncision qui
avait eu lieu trois mois avant, et qu’il revendique comme
preuve irréfutable qu’il est bien arabe: «Si! Je suis un arabe
et je peux le prouver: j’ai le bout coupé comme eux, depuis
trois mois maintenant. C’est déjà pas facile de devenir arabe
et voilà qu’à présent on me soupçonne d’être infidèle. »
Cependant, ces derniers ne sont pas prêts à accepter ce qu’ils
perçoivent comme une défection, et retournent le raisonnement
du maître contre Azouz: «s’il t’a mis deuxième, toi, avec
les français, c’est bien parce que tu n’es pas un Arabe mais
un Gaouri comme eux.» Même si Azouz affirme qu’il doit sa
bonne place à son travail et non pas à une transformation
en français - autrement dit, qu’il n’est pas impossible d’être
un Arabe et avoir un bon classement -, ils l’accusent toujours
de trahison car il joue avec les français pendant la récréation
au lieu de jouer avec eux. Il ne peut que leur donner raison
sur ce dernier point, comme sur leur reproche que même s’il
a «une tête d’Arabe comme (eux), (...) il voudrait bien être
un français».
La honte d’être considéré comme un traître et aussi le sentiment
que sa recherche de l’approbation du maître a effectivement
été accompagnée par le reniement d’une partie de lui-même,
de son arabité, l’amènent à réfléchir à l’importance de son
appartenance arabe pour lui. «Non, cousin Moussaoui j’ai passé
mon diplôme d’Arabe. J’ai déjà donné.» Or, cela il se le dit
à lui-même, ce qui suggère qu’il s’agit avant tout de se persuader,
de tirer au clair une situation floue, ambiguë pour soi-même.
Azouz veut donc s’intégrer dans la société française mais
sans que cette prise de position individuelle l’oppose explicitement
aux membres de sa communauté d’origine. On pourrait suggérer
qu’en réalité, c’est une image stéréotypée de l’Arabe qui
est opposé au fait d’être français, et dont il veut se dissocier.
Il veut tenir ensemble les deux aspects de son identité, sans
renoncer ni à l’un, ni à l’autre .Il clame sa double culture
et revendique une autre identité, une troisième voie: celle
de Beurs. «Je suis beur signifie que je suis ni ici ni là.
Inclassable. Non désireux de l’être.» (Begag et Chaouite,
1993: 19)
Ces déchirures psychiques, loin d’être des découragements
prennent une valeur positive, formative pour le protagoniste
beur. Elle est le mouvement par lequel il se crée en sujet
à part entière ainsi que l’élan qui le pousse dans certains
cas à créer à son tour. Le rapport et l’opposition du héros
à son environnement déclenche en lui un processus d’éducation
et d’évolution, il fera des expériences concrètes qui le font
peu à peu grandir et mûrir. Ce n’est que par le biais de l’école
que Azouz pourra réussir et s’intégrer par la suite. Néanmoins,
le problème des beurs en général et de Azouz en particulier
ne s’arrête pas à une intégration.Car même au cas où le protagoniste
réussirait dans la salle de classe par la montée de rangs
la plus prototypique, il n’est pas donné que celui-ci s’intègre
à la société dans son ensemble. Car même si la personne est
intégrée, même si Azouz se considère comme un français à part
entière et c’est le cas, il subsistera toujours un grand problème
en rapport direct avec le pays d’origine, le beur est un français
mais un français qui revendiquera toujours des traces arabes.
Il est vrai qu’Azouz aspire à devenir comme les français.
C’est ainsi qu’un jour il décide: «A partir d’aujourd’hui,
terminé l’Arabe de la classe, il faut que je traite d’égal
à égal avec les français.» Il est vrai aussi que lorsqu’il
quitte le fond de la classe pour venir s’asseoir au premier
rang, sous le nez du maître, c’est aussi les autres chaâbis
qu’il quitte, géographiquement et symboliquement. Il envie
aux jeunes «français» de la classe leur confort matériel et
leur capacité de répondre aux questions du maître à partir
de leur expérience propre. Son envie de réussir à l’école
donc est motivée par le désir de ne plus «être avec les pauvres,
les faibles de la classe.»Loin d’être un élément d’attestation
de la vérité de l'énoncé, la forte implication de l'auteur
relève d’un pari avec le vrai ,où le "je" sert à la fois de
passeur, de point de comparaison et d'accoucheur, dans une
négociation d’autant plus tortueuse que le lecteur n'est pas
plus assuré de la fiabilité du narrateur que de son identité.
Les protagonistes beurs y apprennent que l’apprentissage consiste
en la mise en place de pratiques et valeurs de la culture
dominante. Dans le cas de notre héros, il est français et
il revendique des traces algériennes. Azouz accédera finalement
à la réussite scolaire en s’appropriant sa propre histoire
car ce sera en écrivant une rédaction libre sur le sujet du
racisme qu’il réussira enfin à avoir la meilleure note de
la classe. Or, si c’est effectivement sa propre histoire qu’il
écrit, c’est également celle des autres chaâbis. Son apprentissage
(de soi) dérive donc de son rapport avec l’écriture, autrement
dit l’écriture fonctionne en parallèle/en simultané avec son
processus de bildung. L’écriture devient une activité d’envergure
dans le Bildungsroman Begaguien. Begag se ressource dans l’écriture,
il écrit et s'écrit. Il veut crier au monde son existence,
par ses propres moyens, notamment par ses propres créations.
C’est un moyen de faire changer le regard des autres sur sa
personne, une sorte d’influence.
Notre héros a bel et bien réussi à atteindre l’objet de sa
quête qui est l’acquisition du savoir, moyen d’intégrer l’espace
d’accueil. Le héros finit, enfin, par acquérir l’objet de
valeur, il a rempli son contrat initial avec succès. Les destinataires
de ce roman vont, en fait, bénéficier de cette réussite et
de cette intégration qui faisait l’objet de la quête de notre
narrateur. Ainsi, nous comptons, en premier, les parents de
Azouz et plus précisément Bouzid, le père de Azouz, car il
était l’un des premiers, à l’encourager, vu que lui n’a pas
eu cette chance. Mon père pensait que son fils devait réussir
à l’école, pour avoir des diplômes, et devenir quelqu’un de
plus important que lui» (1998: 52). Il nourrissait également
un rêve qu’il me susurrait parfois à l’oreille: il m’imaginait
en classe premier devant les Français! Une belle revanche
sur sa misère à lui. Le deuxième bénéficiaire, c’est bien
la communauté beure, car Azouz Begag, leur a transmis, le
moyen le plus efficace pour intégrer la société française
«l’Ecole». Même si La fiction colle souvent à la réalité,
emprunte au réel, et l’école comme les différentes institutions
du pays n’œuvrent pas toujours dans le sens de l’intégration.
Car elle perpétue l’incompréhension et les préjugés ambiants
tant parmi les élèves que les professeurs et n’offre pas le
moyen de la réussite sociale dans la majorité des cas. Il
y a tout de même, aussi, des Français sympathiques, non racistes
qui montrent de la compréhension envers les Beurs ou les aident
tel M. Loubon. Le professeur de français pied-noir ou M.Grand
qui contre les accusations de racisme en faisant des éloges
au protagoniste Azouz Begag, et enfin, notre troisième bénéficiaire
la société française, pour la simple raison que la France
a besoin de compétences intellectuelles, peut importe son
origine ou son appartenance, car l’intégration dans ce sens,
c’est être capable de travailler le pays et dans le pays d’accueil
tout en maîtrisant sa langue.la citation suivante de Begag
sur les Beurs de la réussite (les intégrés): «Ils sont ‘in’,
c’est-à-dire que leur situation n’est pas génératrice de désordre
pour l’environnement» (Quartiers sensibles, 81). Les Beurs
de la réussite sont “in” puisqu’ils ne défient ni l’organisation
sociale ni les valeurs de la société dominante. Le plus grand
espoir réside, semble-t-il, dans l’école comme facteur d’intégration
et de promotion sociale et il n’est de meilleur porte-parole
de cela qu’Azouz Begag: «[…] je dois beaucoup aux professeurs
qui m’ont emmené avec confiance vers l’acquisition du savoir.
Quand on est fils d’immigré, il y a deux attitudes possibles:
l’une qui consiste à se marginaliser en disant ‘on n’est pas
français; on n’a aucune raison d’apprendre l’histoire des
Gaulois puis celle des rois Louis; l’autre qui fait le pari
que l’école permet d’envisager un avenir meilleur.» (1998:
52)
Dans le «Bildungsroman» Begaguien l’auteur traite de la «confrontation
d’un personnage central, Azouz avec différents domaines du
monde». Ce personnage central, le héros, suit une évolution
déterminée qui est la quête de la réussite scolaire. Par son
rapport aux différents domaines du monde auxquels il est confronté
d’une part l’espace du Chaâba et d’autre part l’espace d’accueil.
Nous constatons à travers notre analyse la structure narrative
du «Gone du Chaâba»: que le roman de formation implique un
déplacement, celui du jeune français; allant de la province
à la métropole. Il est cependant clair que dans notre corpus
d’étude, un autre genre de déplacement est mis en scène, celui
du jeune beur, allant de la banlieue au centre ville de Lyon.
«Le Gone du Chaâba» traiterait donc de la notion de formation;
la formation du jeune Azouz, qui apprend à connaître le monde
dans lequel il vit.
A l’instar de «Zadig ou le Destinée» de voltaire, de «l’Education
sentimentale» de Flaubert ou « les années d’apprentissage
de Wilhelm Meister» de Goethe, «le Gone du Chaâba» de l’écrivain
Azouz Begag reflète tout à fait un style d’écriture qui nous
mènerait à penser, que ce roman est un roman de formation.
Le Bildungsroman traditionnel privilégie une téléologie de
la finalité - c’est au moment de l’accomplissement, l’achèvement
que les événements prennent leur signification. Dans le «roman
d’éducation» ou d’«apprentissage», non seulement le personnage
réalise une ambition et accomplit un trajet, mais il devient
un individu complètement autonome et responsable. Ce trajet
romanesque aboutit à l’intégration et idéalement, à l’harmonie
entre l’individu et la société, et donc à une - réconciliation
avec son environnement et devient une partie intégrée et intégrante
de ce même monde qu’il lui était hostile au départ.
Dans ce travail, nous nous sommes efforcés de montrer comment
ces deux formes romanesques le roman-autobiographique et le
roman d’apprentissage s’articulent-elles l’une dans l’autre
en une conformité étonnante, en dépit de la distance temporelle
qui sépare leur émergence, en mettant en exergue l’identification
du «bildungsroman» avec le roman autobiographique «le gone
du Chaâba» de Azouz Begag. Cependant, le roman d’apprentissage
beur diverge du Bildungsroman traditionnel du type gœthéen,
car la version beure rajoute au roman d’apprentissage un élément
nouveau: la spécificité culturelle et linguistique des enfants
d’immigrés maghrébins.
Pour Azouz Begag, l’écriture représente le topos de l’apprentissage
et s’incarne en une force créatrice, essentielle et existentielle.
L’écriture pour les Beurs est donc un acte littéraire, politique
et identitaire puisque, pour citer Calixthe Beyala, «[…] dans
l’écriture, on cherche avant tout à se connaître, à communiquer
quelque chose, qu’on a découvert et qu’on ne peut garder pour
soi. C’est à la fois, un accomplissement, une remise en cause
permanente de soi et des autres. Et donc cet autochtone puisque
né sur le sol français et portant un certain ailleurs en lui,
en écrivant, se définit et s’enrichit et nous enrichit, faute
de réconciliation (intégration) et d’intégrité avec le monde
social, la résistance des beurs en genéral et de Azouz Begag
en particulier fait partie intégrante de l’existence. «J’essayais
d’oublier les baraques pourries de mon bidonville, la saleté,
le froid, la pauvreté, pour me concentrer sur ma piste d’envol:
l’école… Je fais revivre la mémoire. Je le sais en regardant
dans les yeux de mes jeunes lecteurs, dans les banlieues.
Désormais, nous sommes dans les rayons de la mémoire de ce
pays, gravés dans son histoire, l’histoire de la France.»
Comme le processus d’identification et de bildung des protagonistes
du Bildungsroman beur est illimité et inachevé,leur autobiographie
aussi est vouée à être inachevée. Sentiment aussi bien de
l'antériorité que de l’intériorité et nécessité du témoin,
l’autobiographie dit exemplairement les rapports de similitude
et de convergence voire même de conformité avec le roman d’apprentissage
selon le roman de Azouz Begag «le gone du Chaâba» considéré
comme un point de départ pour la découverte de la culture
arabo-française qui est devenue désormais partie intégrante
mais pas toujours intégrée de la France d'aujourd’hui.
Notes
1] Jean-Marc moura, Litteratures
Francophones et théorie post-coloniale? presses universitaires
de France, 1999. p.158.
2] fr.wikipedia.org/wiki/Azouz_Begag.
3] A .Gefen, cite: D. Viart
"dis moi qui te hante", revue de sciences humaines: paradoxe
du biograhique, vol.3, n.263, 2001, p.66.
4] fr.wikipedia.org/wiki/
Roman d’apprentissage.
5] Begag Azouz, Le Gone du
Chaâba, Paris, Seuil, Folio, 1986.
6] Begag Azouz, Le Gone du
Chaâba, Paris, Seuil, Folio, 1986.
Bibliographie
Romans et Etudes
Begag, Azouz, Le Gone du Chaâba, Paris, Seuil, Folio, 1986.
- Ecarts d’identité. Paris, Seuil, 1990.
Begag, Azouz, Tranches de vie, Stuttgart, Klett Verlag, 1998.
Begag, Azouz et Chaouite, Abdellatif, Ecarts d’identité, Paris,
Seuil, coll. Points Actuels, 1993.
Kettane, Nacer, Le Sourire de Brahim, Paris, Denoël, 1985.
Kettane, Nacer, Droit de réponse à la démocratie française,
Paris, La Découverte, 1986.
Serres, Michel. Le tiers-instruit. Paris: Gallimard, 1999.
Les études sur le roman beur
Albert Christiane, L’Immigration dans le roman francophone
contemporain, Paris, Karthala, 2005.
Michel Laronde, L’écriture décentrée: la langue de l’autre
dans le roman contemporain, Paris, L’Harmattan, 1996.
- Autour du roman beur, Paris, l’Harmattan, 1993.
Les études sur le roman autobiographique
Philippe Lejeune, «Le pacte autobiographique», Paris, Editions
du Seuil, 1975.
- «Le pacte autobiographique (bis)», Editions du Seuil, Paris,
1975.
- «Je est un autre», Editions du Seuil (Poétique), 1980.
Thèses consultées
- Thèse de magister, «Etude sociolinguistique du roman «Le
Gone Du Chaâba» de Azouz Begag», Melle Rania Adel Hassan Ahmed,
année 2002.
-Thèse de magister, «Stratégies discursives pour l'intégration
dans «Le Gone Du Chaâba» de Azouz Begag», M. BENAMAR Mohamed
Abdelatif, année 2007.
Revues, études universitaires et Articles
A. Gefen, cite D. Viart "Dis moi qui te hante", revue des
sciences humaines: paradoxe du biograhique, vol.3, n.263,
2001 p.66.
Charles Bonn, Littérature des immigrations, Espace émergent,
études littéraires maghrébines n.7, Paris, Harmattan, 1995.
- Littérature des immigrations, Exiles croisés, études littéraires
maghrébine n8, Paris, Harmattan, 1995.
D. Viart, "Les fictions critiques" de Pierre Michon dans Pierre
Michon, L’écriture absolue, textes rassemblés par A .Castiglione,
publication de l’Université de Sainte Etienne, 2002.
D. Viart "Dis moi qui te hante", op. cit., p.18 (cité par
A. Gefen) dans "Soi-même comme un autre".
Fictions biographiques XIX-XXI siècles. Textes réunis et présentés
par Anne-Marie Monluçon et Agathe Salha, Presses Universitaires
du Mirail, Université de Toulouse, 2007.
Jean-Marc Moura, Littératures Francophones et théorie post-coloniale?
Presses Universitaires de France, 1999.
Sites visités
- wikipedia.org/wiki/Azouz_Begag.
«fr.wikipedia.org/wiki/Autobiographie».
Catégorie: Autobiographie. Dernière modification de cette
page le 26 janvier 2009 à 21:57.
Anne-Marie Obajtek-Kirkwood, Les écrivains beurs des années
quatre-vingts et leur témoignage (février 2008). Un article
de Wikipédia, l’encyclopédie libre.
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