Écritures de soi en souffrance
Orazio Maria Valastro (sous la direction de)
M@gm@ vol.8 n.1 Janvier-Avril 2010
ÉCRIRE POUR VIVRE, VIVRE POUR ÉCRIRE: UN RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE AU BRÉSIL
Maria Luisa Scaramella
(Article traduit par Philippe Dietmann)
mascavi@gmail.com
Master en Anthropologie Sociale
à l’Universidade Estadual de Campinas - UNICAMP.
C´était en 1959.
Octobre. Le soleil dardait les pavillons en ciment du Centre
Psychiatrique National [1],
situé dans le quartier de l’Engenho do Dentro, dans la zone
nord de Rio de Janeiro, au Brésil. Maura était là pour la
troisième fois. Elle se protégeait du soleil tout en observant
les femmes égarées dans le patio, et elle écrivait. Vêtue
de l’uniforme élimé qui était alloué aux patients, une légion
en guenille, tanguant d’un côté à l’autre. Maura s´était jointe
à elle. La vie paraissait trop difficile hors ces murs et
plus d´une fois elle avait cherché refuge à l’hospice. «Avant
de venir, j´ai téléphoné à Madame Dalmatie, une amie infirmière.
Elle m´a conduite chez le docteur J., je lui ai demandé de
m´accepter dans l´hôpital: S´il vous plaît, docteur, je ne
sais pas quoi faire, là dehors. Je suis détruite. Acceptez-moi
dans l´hôpital. Je me suis disputée au journal.» (Cançado,
1991: 29) [2]
Le personnage ci-dessus, patiente d’un hôpital psychiatrique,
est Maura Lopes Cançado. Maura est né en 1929, dans une exploitation
agricole de São Gonçalo do Abaeté, dans l´intérieur de l´Etat
du Minas Gerais, au Brésil. Elle était la onzième fille de
treize enfants. Son père, un riche fermier, puissant et craint
dans la région a été l´homme qu´elle a le plus admiré, conte-t-elle
dans son journal. Maura, de son côté, se décrit comme une
enfant chérie, choyée et consciencieuse. À l´âge de quatorze
ans, elle décidait qu’elle volerait. Elle commença les cours
de pilotage dans un aéroclub de la ville de Bom Despacho,
également dans l´intérieur du Minas Gerais. Elle voulait obtenir
un brevet. Elle était l´unique fille à fréquenter les cours.
C’est en volant qu’elle connut son futur mari, un jeune homme
de dix-huit ans. Son père s’opposa au mariage avec ténacité
mais ne parvint pas à l´éviter. A l´âge de quinze ans elle
eut sa première fille, à la même époque du décès de son père.
Le mariage se termina au bout de douze mois.
Elle décida alors de reprendre les cours dans l’aéroclub,
elle avait alors presque 17 ans. À cette occasion, elle reçut
un avion en cadeau, c´était un Paulistinha, Cap 4. Les cours
ne dureront guère car l’avion fût accidenté, un de ses amis
le détruisit dans un atterrissage d´urgence. Elle s´en fût
alors pour Belo Horizonte, capitale du Minas Gerais dans l’intention
de reprendre ses études. Elle prépara ses bagages, elle étudierait
au Collège Isabela Hendrix, qui abritait les jeunes filles
de la haute société du Minas Gerais. Néanmoins, la société
conservatrice ne lui ouvrit pas les portes, les préjugés lui
empêchant de retourner à l’école. Elle ne fût pas acceptée,
car en dépit du fait qu’elle était intelligente et d´une famille
aisée, elle était également divorcée. Rien ne changerait sa
condition.
Dans la grande ville, Maura ne fût pas accepté par les «filles
de bonnes familles», qui l’isolèrent. Sur cette époque, elle
se décrit comme introvertie et craignant le rejet. Ce fût
alors qu’elle s’interna dans un hôpital psychiatrique pour
la première fois. Elle se disait maigre, malade, nerveuse,
sans sommeil et en manque d´amour. L’asile lui parût être
un bel endroit romantique. Après un certain temps, elle le
quitta car sa mère se refusa à continuer à payer les dépenses
élevées. Ce fût le début d’une errance dans les hôpitaux psychiatrique
qui ne terminera qu´à sa mort, en 1993.
À l´issue de son internement, le personnage s’installe dans
un hôtel de grand luxe où elle dilapide son héritage en boisson
et boites. Elle dit avoir connu à cette époque des filles
et des garçons considérés plus libres, étant acceptée sans
restriction. Elle apprit à fumer, à boire, elle voulait plaire.
Elle ne pensait pas au futur, dont elle disait avoir peur.
A vingt deux ans, elle va à Rio de Janeiro, où elle rencontre
un millionnaire qui va l’entretenir. Après un certain temps
de vie en déséquilibre psychique, ainsi qu´elle le raconte,
elle va s´interner à la Maison de la Santé du Alto da Boa
Vista, à Rio. Après avoir souffert plusieurs crises et avoir
reçu un traitement inadéquat, sa mère vint la récupérer, mais
Maura préféra rester à Rio de Janeiro.
À cette époque Maura traversait une situation financière difficile
et habitait dans la maison d’une amie de nationalité autrichienne
qui se trouvait à Rio de Janeiro. Ensuite, elle en vint à
vivre sans domicile fixe, de maison en maison, dépendant des
faveurs de ses amis. Un beau jour elle se réveille et va dans
les rues feignant d´être amnésique, selon ce qu’elle raconte.
Elle entre sans la moindre difficulté dans la maison d´une
famille aisée où elle invente une histoire et finit par être
conviée pour le dîner. Intriguée par cette jeune inconnue,
la maîtresse de maison fouille les poches de Maura, trouve
ses documents, et entre en contact avec sa famille, dans le
Minas Gerais. Sa mère la fait chercher. Maura quitte Rio de
Janeiro et retourne à Patos de Minas, ville dans laquelle
résidait sa mère à cette époque, dans l´intérieur du Minas.
Sans grande espérance quant à son futur dans l’intérieur du
Minas, Maura est incité par un ami à retourner à Rio et à
se dédier à la littérature. De retour à Rio, elle reprend
le même style de vie. Sans argent, sans toit, errant d´un
côté à l’autre, c´est à cette époque qu’elle fait une tentative
de suicide, et qu’elle va pour la première fois dans un hôpital
psychiatrique public, l’Hôpital Gustavo Riedel, à l’intérieur
du Centre Psychiatrique National. C’était en 1957. Au cours
des années suivantes à Rio de Janeiro, Maura passa par d´innombrables
internements dont, dans la majeure partie, à sa propre initiative.
Entre un internement et une autre Maura connaît Sebastião
de França, un journaliste qui travaillait pour le Journal
du Brésil, un important journal de Rio qui aujourd’hui encore
est un nom reconnu dans la presse nationale. Sebastiâo de
França, qui vivait dans la même pension que Maura, à Rio,
la présenta à Assis Brasil, responsable à l’époque de la section
«Le nouveau conteur». Cette section sortait tous les dimanches
dans le Supplément Dominical du Journal du Brésil, qui était
un carnet dédié entièrement à la littérature et aux arts,
ayant été créé en 1956. Le SDJB, comme il était connu, agrégeait
des noms importants de la nouvelle génération d’intellectuels,
journalistes, critiques et personnalités du milieu littéraire
qui commençaient à se distinguer sur la scène de Rio et même
du Brésil. Entre eux, se trouvaient Ferreira Gullar, Heitor
Cony, Raynaldo Jardim, le propre Assis Brasil, José Louzeiro,
etc... La section d’Assis Brasil privilégiait les nouveaux
écrivains. Sebastião de França dit à Assis Brasil qu´il avait
une amie qui écrivait de la poésie et des contes mais qu´elle
«était folle». En 1958, Maura étrenne avec une poésie dans
un coin caché de la page.
La réputation de folle se renforça au fur et à mesure que
Maura s’internait, de sa propre volonté il est vrai. Mais
pas seulement cela. Dans la même année son conte, Dans le
carré de Joana [3], fût
publié. Ce fût un grand succès, selon Nelson de Oliveira.
Pourtant, le conte parlait d’une patiente catatonique, Joana,
que Maura connut durant son second internement au Centre Psychiatrique
National. C’était sa vie personnelle utilisée comme contenu
pour sa littérature. Les blessures de l’institution psychiatrique,
la souffrance émotionnelle, la folie, tout cela devint la
source de sa littérature, cette dernière étant fortement marquée
par l’écriture autobiographique.
En 1959, encore collaboratrice du Journal du Brésil, elle
s’interne pour la troisième fois à l’Engenho de Dentro. Elle
se dispute au journal et, comme toujours, cherche refuge à
l’hôpital psychiatrique. Cependant, cet internement restera
marqué par l’écriture d’un journal qui finit par être publié
en 1965, sous le titre L´hospice c´est Dieu [4].
Dans celui-ci, Maura narre ses impressions sur le quotidien
d´une institution psychiatrique brésilienne, à la fin des
années cinquante. Les comptes rendus, quasi journaliers, couvre
la période entre le vingt cinq octobre 1959 et le sept mars
1960. Dans sa narration littéraire, Maura est le regard critique
sur l’institution, dénonçant sa décadence: la situation des
patients, les traitements inadéquats, la violence voilée et
instituée, la relation entre les patients, les infirmières,
les gardes et les médecins. Elle décrit la vie dans un asile
psychiatrique dans les moules plus traditionnels, ses relations
avec les personnes à l´intérieur de l´institution et la souffrance
émotionnelle, qui l´accompagnait. Maura dit: «25-10-1959.
Je suis de nouveau ici, et c´est […] Pourquoi le cacher? Ça
fait mal. Est-ce pour cela que je viens? Je suis à l’Hospice,
dieu. Et l’Hospice, c’est ce blanc sans fin, où ils nous arrachent
le cœur à chaque instant, nous le rendent et nous le recevons:
tremblant, exsangue - et toujours autre (...).» (Cançado,
1991: 28) [5]
Néanmoins, si ce lieu est le lieu de la «douleur», paradoxalement,
c’est son lieu de refuge. La folie absorbe les yeux de Maura,
l´exaltation et la tentative de compréhension font d’elle
un point de réflexion. «Ce qui me terrifie dans la folie,
c´est la distance - les fous paraissent être éternels. Ni
les pyramides d’Egypte, ni les momies millénaires, ni le mausolée
le plus gigantesque et le plus antique, possèdent cette marque
d’éternité qui ressort de la folie. Devant la mort, je ne
savais pas vers où me tourner: inéluctable, décisive. Aujourd’hui,
au milieu des fous, je ressens un certain mépris pour la mort:
cave, souterrain, désintégration, fin. (...) La mort conduit
la dignité de l’homme à l’anarchie. Mourir, c’est être jeté
lâchement aux chiens. Pourtant, je rencontre un point de contact
entre les deux états: le principal, c´est la distance. Bien
que ce soit seulement devant le fou que j´ai expérimenté la
sensation d´éternité. En lui, nous ne trouvons pas le manque.
Il nous semble excessif, se mouvementant dans une autre espèce
de vibration. Près de lui, nous sommes seuls. Ne sachant pas
le situer, nous restons dans le doute: où se trouve la solitude?
Le fou est divin dans ma faible et angoissante tentative de
compréhension. Il est éternel.» (Cançado, 1991:26) [6]
Son journal montre que d’une certaine façon Maura entrevoit
dans la folie la possibilité de s’éloigner de tout ce qui
est menaçant, comme la mort, par exemple. La recherche de
l’hospice serait, de ce point de vue, non seulement la recherche
de l’isolement mais également de la protection. Protection
que le monde extérieur n’offre pas. Pourtant si la société
est menaçante, l’hôpital est l´enfer par excellence. Mais
Maura préfère ce dernier. Mettant de côté toute la souffrance
que l´internement lui cause, Maura a un regard romantique
sur l’hospice. Dans certains passages de son journal, Maura
dit qu’être à l´hospice c’est comme être interne d’un collège,
qui serait d’un autre temps. Elle associe directement l’idée
de réclusion à la possibilité d’écrire et, de fait, hospice
et écriture cheminent ensembles.
Dans son journal, elle dit qu’elle travaille sur un conte:
28-10-1959 - «J´ai commencé à écrire un conte. ‘La souffrance
du regard’ [7]. J´aime le
titre, j´ai travaillé toute la nuit sur ce conte.» [8]
Le douze décembre 1959, alors qu’elle était encore internée,
elle reçoit la nouvelle que La souffrance du regard avait
été publiée: «Mon conte ‘La souffrance du regard’ a été publié
dans la première page du Supplément Littéraire du Journal
du Brésil (Le Supplément Dominical est le supplément littéraire:
SDJB). Il produit un bel effet, en occupant toute la première
page. Je n´ai pas contenu mon enthousiasme (...).» (Cançado,
1991: 92) [9]
Le conte, une fois de plus, parle d’un homme en souffrance
et dans un processus de folie. Il apparaît clairement par
la répétition des thèmes que Maura transporte de son journal
pour les contes, telle que «l’éternité de la folie», entre
autres exemples. En ce sens, l’autobiographie et la fiction
sont entrelacées dans son écriture. Et son écriture établit
un pont entre l’univers isolé de l’hôpital psychiatrique et
l’univers intellectuel représenté par le Supplément Littéraire
[10].
Dans certains passages de son journal, Maura parle de sa relation
avec le processus de l´écriture de celui-ci: «Mon journal
est ce qu´il y a de plus important pour moi. Je me lève du
lit pour écrire à n´importe quelle heure, j’écris des pages
et des pages - ensuite j’en déchire plus de la moitié, respectant
seulement, presque toujours, celles qui relatent des faits
ou mes relations avec les personnes.» (Cançado, 1991: 121)
[11]
La relation que Maura a avec son journal n’est pas exclusivement
le compte-rendu des faits du jour. Non. Maura déchire des
pages, choisit, exclut, enfin, peaufine son texte. Selon Philippe
Lejeune (2000), le journal présente quatre fonctions cardinales:
la première est l’expression, c’est-à-dire, libérer la charge
affective; la seconde est la délibération ou autrement dit
l’organisation de sa propre vie; la troisième est la mémoire,
ou fixer les lignes du vécu pour de futures relectures; et
la quatrième est le plaisir de créer, ou le journal comme
atelier d´écriture. Le journal de Maura remplit ces fonctions
et d´une certaine façon en radicalise certaines - Maura publie
son journal.
Si, d’un côté, le journal peut être vu comme un laboratoire
littéraire, d’un autre côté, il peut également éloigner le
narrateur de la condition d’auteur, selon Rousset. Celui ci
analyse le journal à partir d’un double engagement. Le premier
serait lié au calendrier. Le journal doit respecter le calendrier
- «J’entreprends d’écrire l’histoire de ma vie jour par jour»
(Stendhal, 18 avril 1801) - ce qui pour Lejeune le différencie
de l’autobiographie. Le calendrier entraîne deux conséquences’:
la première est la fragmentation; la seconde est l´impossibilité
pour le rédacteur de se comporter comme un auteur puisqu´il
reste assujetti à l’ordre successif des jours, ne pouvant
pas écrire sa narration comme un romancier. L’auteur d’un
journal n’est pas libre de combiner les parties, de prévoir
les divisions et par conséquent les mouvements du texte (Rousset,
1983). Maura se libère complètement de cette obligation.
La deuxième obligation se réfère au destinataire. Rousset
s’interroge: «qu´est-ce qu´un texte intime écrit seulement
pour soi, sinon un texte sans destinataire?» Pourtant, selon
l’auteur, la théorie actuelle met en échec cette caractéristique.
Rousset dit que «pour les linguistes, l’utilisation de la
langue implique la dualité ou la pluralité d’interlocuteurs,
sa structure est le dialogue» (1983: 437). Lejeune dit que
même le journal le plus intime correspond à une logique de
communication, bien qu’implicite. Cette communication ou dialogue
est également lié aux types de destinataire décrits par Rousset:
‘auto destination’, c´est-à-dire, celle qui reproduit la logique
du genre, le lecteur est son rédacteur; ‘pseudo destination’,
qui peut être interne quand le rédacteur devient son propre
interlocuteur par l’utilisation de la deuxième personne, infinitive
ou impérative, ou bien externe quand l’interlocuteur est un
récepteur, mais condamné à la virtualité: «Ô mes enfants,
vous ne saurez jamais combien je vous aime (Sand, novembre
1834)».
Le journal peut néanmoins avoir ses infracteurs, les lecteurs
indiscrets, destinataires ou non. Il y a, dans ce cas, une
ouverture de l’œuvre, même si elle demeure minime. L’ouverture
maximum se produit avec la publication. Rousset (1983) parle
alors d’ouverture faible, quand la publication est posthume
et autorisée, et d’ouverture forte, quand la publication est
faite du vivant de l´auteur, comme c´est le cas de Maura.
La question du destinataire est importante. Lejeune (2003),
dans son livre L’autobiographie en France, dit qu’il faut
prendre en compte la personne à qui se dirige les faits relatés.
Et aussi quel est le type de relation que le narrateur - Maura
- maintient avec lui? Selon Verena Alberti (1991), l’acte
de conter implique l’effort de rendre intelligible pour un
autre l’expérience fragmentée qui caractérise les individus
dans les sociétés complexes. L’acte de narration à soi-même
- dans le cas de Maura, la narration est écrite - a une fonction
de réflexion, d’organisation. En tant que patient qui a vécu
le «dehors et le dedans» des asiles, l’écriture est pour Maura
comme un fil d’Ariane, qui lui permet d’établir un lien fort
et constructif avec elle-même et avec l’autre, nouant un dialogue
avec ce dernier.
Dans son livre, Le récit de soi, Judith Butler (2007) cite
Adriana Cavarero, disant que l’auteur soutient que nous sommes
des êtres nécessairement exposés à l’autre, tant dans notre
vulnérabilité que dans notre singularité. Butler dit: «Selon
elle, je ne suis pas, pour ainsi dire, un sujet intérieur,
clos sur moi-même, solipsiste, ne posant des questions qu’à
moi- même. Dans uns sens important, j’existe pour vous et
en vertu de vous. Si je perds les conditions de l’interpellation,
si je n’ai aucun ‘je’ auquel m’adresser, alors c’est ‘moi-même’
que je perds. Selon elle, je ne peux raconter mon autobiographie
qu’à un autre et l’on ne peut faire référence à um ‘je’ qu’en
relation à un ‘tu’: sans le ‘tu’, ma propre histoire devient
impossible.» (2007:32)
L’écriture pour Maura a été la possibilité de s’adresser à
l’autre, de préserver le fil qui la connectait avec le monde
extérieur, à l’asile et avec elle-même, permettant que le
regard de l’autre parvienne jusque là, cette autre qui est
aussi le «tu». Se remémorant sa trajectoire, ses proches disent
que ce qui importait le plus pour Maura était écrire et devenir
un écrivain reconnue. Écrire était son impulsion pour la vie.
Bien qu’elle était marquée par la souffrance, si caractéristique
de l’expérience de l’internement, c’est aussi une écriture
de résistance. Lejeune dit à propos du journal: «Ce dernier
lui permit de s’admonester, de rétablir une liaison imaginaire
avec les absentes, de quadriller le temps et de maintenir
sa dignité.» (2006:30). Ce lien cesse d´être imaginaire au
fur et à mesure que ses textes sont publiés et ont un écho
positif. Son journal a été publié en 1965 et en 1968 a été
publié un livre qui réunit plusieurs des contes que Maura
a écrits pour les journaux, principalement le Supplément Littéraire.
Pourtant, le pont que l’écriture avait créé commence à se
rompre.
Après 1968, date de la publication de son livre, il n’y a
pas traces d’autres publications. Maura va lentement s’éloigner
de l’écriture. Le fil qui la liait à l’autre et à elle-même
va s’effilochant à mesure que son éloignement augmente. Le
Supplément Littéraire disparaît en 1961, rapidement le circuit
littéraire qu´elle fréquentait alors qu’elle était en dehors
de hôpital va se diluer et s’éparpiller. Les internements
deviennent chaque fois plus fréquentes et l´écriture chaque
fois plus rare. Sa vie chemine vers la tragédie.
En 1972, durant un de ses internements dans la Maison de la
Santé Doutor Eiras, également à Rio de Janeiro, dans un moment
de crise, Maura tue l’une des patientes qui était à l’infirmerie
de hôpital. Après les faits, elle dira ne plus se souvenir
de rien. Maura Lopes Cançado fût jugée par la 2ème chambre
du 1er Tribunal du Jury. Le 15 octobre 1974, elle fût absoute,
«considérée incapable de répondre au caractère criminel des
faits commis.» Le juge considéra nécessaire, par mesure de
sécurité, d’imposer à l’accusée son internement dans un établissement
psychiatrique judiciaire pour une durée de six ans. Toutefois,
à l’époque, l’établissement psychiatrique judiciaire n’acceptait
pas les femmes. Maura qui avait peur de tuer demanda au juge
d’être mise en prison. Elle fût donc envoyée pour le Pénitencier
Lemos de Brito, à Rio de Janeiro. Là, elle demeura dans une
situation illégal et contraire à sa condition d’irresponsable,
laquelle impliquait de recevoir un traitement médical, et
non d’être emprisonnée. Après quelques années, elle sort de
prison, en liberté surveillée.
Entre des hauts et des bas, elle sera à nouveau internée d’innombrables
fois mais n’écrira plus jamais. L’écriture semble avoir eu
un rôle fondamental dans la vie de Maura. La narration quelque
peu mélancolique et parfois abstraite était une forme d’expurger
les maux, non comme quelqu’un qui se débarrasse d’un mauvais
souvenir, mais comme quelqu’un qui transforme ce souvenir
en écrivant et qui peut y revenir comme dans un lieu de reconnaissance.
L’écriture autobiographique chez Maura occupait un espace
précieux de sa vie, car c’était le lieu de l’altérité, c’était
le chemin pour la relation avec l’autre, avec le tu; à mesure
que Maura s’éloigne de l´écriture - son lien le plus fructueux
avec l’autre, avec la société - Maura s’éloigne de sa propre
vie. En 1993, Maura Lopes Cançado décède dans une clinique,
à Rio de Janeiro.
Notes
1] Le Centre Psychiatrique
National était appelé, lors de son inauguration, d´Hospice
Pedro II. Il a été le premier hôpital psychiatrique du Brésil
et de l´Amérique Latine, inauguré en 1852. Aujourd´hui, il
porte le nom de Centre Municipal de Santé Nice da Silveira.
Il se trouve à Rio de Janeiro.
2] La version originale en
portugais: Telefonei antes de vir a dona Dalmatie, enfermeira
minha amiga. Levou-me a doutor J., pedi-lhe que me aceitasse
no hospital: “Por favor, doutor J., não sei que fazer lá fora.
Estou destruída. Aceite-me no hospital. Briguei no jornal.”
3] Le titre original en portugais:
No quadrado de Joana.
4] Le titre original en portugais:
Hospício é deus.
5] La version originale en
portugais: 25-10-1959- “Estou de novo aqui, e isto é [corte
no texto] Por que não dizer? Dói. Será por isso que venho?
Estou no Hospício, deus. E Hospício é este branco sem fim,
onde nos arrancam o coração a cada instante, trazem-no de
volta, e o recebemos: trêmulo, exangue - e sempre outro.”
6] La version originale en
portugais: “O que me assombra na loucura é a distância - os
loucos parecem eternos. Nem as pirâmides do Egito, as múmias
milenares, o mausoléu mais gigantesco e antigo, possuem a
marca de eternidade que ostenta a loucura. Diante da morte
não sabia para onde voltar-me: inelutável, decisiva. Hoje,
junto dos loucos, sinto certo descaso pela morte: cava, subterrânea,
desintegração, fim. (...) A morte anarquiza com toda dignidade
do homem. Morrer é ser exposto aos cães covardemente. Conquanto
nos dois estados encontro ponto de contato - o principal é
a distância. Ainda que só diante do louco tenha experimentado
a sensação de eternidade. Nele não encontramos a falta. Nos
parece excessivo, movendo-se noutra espécie de vibração. Junto
dele estamos sós. Não sabendo situá-lo fica-se em dúvida:
onde se acha a solidão? O louco é divino na minha tentativa
fraca e angustiante de compreensão. É eterno.”
7] Le titre original est
“O Sofredor do ver” c´est-à-dire Celui qui souffre de voir.
Note de traduction.
8] La version originale en
portugais: 28-10-1959 - “Comecei a escrever um conto. ‘O Sofredor
do ver’. Gosto do título, trabalhei todo dia neste conto.”
9] La version originale en
portugais: “Meu conto ‘O sofredor do ver’ foi publicado na
primeira página do Suplemento Literário do Jornal do Brasil.(Suplemento
Dominical é o suplemento literário: SDJB). Saiu lindo, ocupou
toda a primeira página. Não me contive de entusiasmo.”
10] À la même époque fonctionnait
à l’intérieur du Centre Psychiatrique National un atelier
de peinture, coordonné par la Dra. Nice da Silveira, une psychiatre
qui a apporté cette innovation dans le traitement des patients
schizophrénique dans ce Centre et dans tout le Brésil. Beaucoup
de ses patients sont devenus des artistes reconnus nationalement
et internationalement. Le contexte culturel de l’époque, les
mouvements artistiques, une prise de distance avec le formalisme
académique, ont été propices à ces relations extra-muros.
11] La version originale
en portugais: “Meu diário é o que há de mais importante para
mim. Levanto-me da cama para escrever a qualquer hora, escrevo
páginas e páginas - depois rasgo mais da metade, respeitando
apenas, quase sempre, aquelas em que registro fatos ou minhas
relações com pessoas.”
Bibliographie
ALBERTI, Verena. (1991) Literatura e Autobiografia: a questão
do sujeito na narrativa. Estudos Históricos, Rio de Janeiro,
vol. 4, n. 7, p. 66-81.
CANÇADO, Maura Lopes. (1991) Hospício é Deus. 2ª Edição. São
Paulo, Círculo do Livro.
BUTLER, Judith. (2007) Le récit de soi. Paris, Presse Universitaires
de France.
LEJEUNE, Philippe.(2003) L’autobiographie en France. Paris,
Armand Colin.
LEJEUNE, Philippe. (2000) Les usages du journal intime, in:
Sciences Humaines: les récits de vie, 102, février, pp. 30-33.
LEJEUNE, Philippe. & Bogaert, Catherine. (2006) Le journal
intime: histoire et anthologie. Paris, Les editions Textuel.
ROUSSET, Jean. (1983) Le journal intime, texte sans destinataire?
in: Poétique, 56, novembre, pp.435-443.
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