Écritures de soi en souffrance
Orazio Maria Valastro (sous la direction de)
M@gm@ vol.8 n.1 Janvier-Avril 2010
«ROMANS DU MOI»: QUAND LES MAUX FONT SIGNE
Marie-Camille Tomasi
tomasi@univ-corse.fr
Doctorante en Littératures et
Civilisations Comparées au sein de l’Université de Corse,
en co-direction avec l’Université Stendhal de Grenoble III,
sujet de thèse: «De la quête identitaire au «roman du moi»
ou l’insolite transmission d’un double héritage, dans les
œuvres de James Joyce et Henry Bauchau»; Professeur vacataire
de français dans le secondaire; Master en Littérature française
générale au sein de l’Université de Corse Pasquale Paoli (2007)
avec pour sujet de mémoire «le fantasme amoureux au miroir
de l’imaginaire dans l’œuvre romanesque d’Aragon».
Des mémoires aux
journaux, de l’autobiographie à l’autofiction, les genres
se croisent et parfois se confondent qui placent l’être et
sa formation au centre de leurs lignes. Qu’elle soit la trame
affichée du texte en devenir ou qu’elle innerve seulement
le récit de ses incises ponctuelles, la «tentation ontologique»
diffuse donc son aura, permettant à l’écrivain de revisiter
son existence factuelle à l’aune d’une narration décentrée.
Une tentation qui, revendiquée ou non, s’approche parfois
de la volonté de puissance dans la mesure où sous couvert
de neutralité, tout «écrivain du moi» est avant tout un «romancier»
et que tout sujet mis en scène est avant tout personnage:
la personne réelle cédant ici son image propre pour souscrire
aux droits imprescriptibles du récit. L’auteur, institué créateur
(avec tout ce qu’un tel terme peut avoir de résonances bibliques),
s’arroge ainsi le droit de contempler ce monde qui est le
sien et duquel il se détache pourtant. Dans la mesure où (s’)écrire
c’est aussi se regarder, l’auteur, soumis aux miroitements
narcissiques, s’expose donc sans cesse au risque de se perdre
bien plus qu’il ne se retrouve dans ce processus annihilant
d’auto-contemplation. Pour éviter qu’elle ne s’enlise dans
les miasmes de ce que ce «moi» peut avoir d’haïssable, l’écriture
doit alors s’explorer, exploser et se faire «autre» pour que
se dresse, face à une quête de soi, solipsiste et solitaire,
la découverte de l’altérité régénératrice. En effet, pour
que l’image puisse être signifiante, le miroir doit se faire
seuil afin que le sujet ne soit plus simple reflet mais individu
à part entière qui, par le bris symbolique de la vitre sans
tain, accède enfin à l’univers désenclavé qu’est celui de
la mythification personnelle et au coeur duquel l’Un parviendrait
à se (re)créer au miroir du Tout.
Parce que toute mise en mots nécessite la double impulsion
de l’intangible et du concret, le recours à l’écriture - à
«l’écriture de soi» tout particulièrement - peut alors se
percevoir comme la mise à jour de l’ambiguïté foncière de
qui la porte. Mise à jour ontologique évidemment, mais encore
symbolique, fabuleuse et fantasmatique en ce que, dans le
même temps, l’écrivant se met à mort et renaît, auto-projeté
dans l’espace cultuel du livre en construction. La mise au
monde narrative serait donc l’aboutissement, parfois brutal,
d’une gestation séculaire dont la seule issue semble être
la plongée dans la brèche béante offerte par le couperet du
texte. L’écrivain s’y engouffre, au risque de s’y noyer, entraînant
à sa suite le Verbe symbolique dont il a hérité autant que
les maux dont il se nourrit. Une fois incorporés, hantises
personnelles et symboles latents tissent ainsi la trame de
cette «fable de l’être» que toute œuvre porte en elle et sur
laquelle viendront se greffer les fantasmes sublimés de l’artiste
démiurge. Cette explosion herméneutique, seul le recours au
mythe semble à même de l’accomplir puisqu’issus «du temps
fabuleux des commencements» [1],
les récits ainsi offerts englobent l’être singulier dans une
démarche globalisante au sein de laquelle la blessure originelle
parvient enfin à s’exprimer, relayée et alimentée par le chœur
des ces voix en souffrance d’identité. Parce que le passage
de l’oralité primitive à la textualité scripturale nécessite
un décentrement de la parole originaire, la blessure s’ouvre
alors et se redouble: à la liberté du verbe chanté se substituent
les limites du texte écrit, répétant et explorant ainsi la
douloureuse transmission d’un «moi» tourné vers le «nous».
En réponse, le support narratif doit alors «s’altérer» à son
tour, en ce qu’il lui faut se faire autre et se démultiplier
afin que le mythe puisse devenir «personnel» et la quête trouver
sa voie.
Dès lors, si l’«écriture de soi» semble ne pouvoir s’affranchir
du poids de l’imaginaire, ne serait-il pas envisageable de
condenser en une narration singulière les influences obliques
de «l’écriture» communautaire et du «moi» particulier? Ne
pourrait-on pas en effet envisager une nouvelle forme de révélation
textuelle au cœur de laquelle convergeraient auteur, narrateur
et personnages, tous portés par les flots d’une conscience
individuelle qu’alimente pourtant la dot symbolique d’une
imagination activement sollicitée? Structure hybride par excellence,
intriquant jusqu’à les confondre les plans réels, symboliques
et (auto)référentiels, cette catégorie ainsi définie pourrait,
dans une certaine mesure, concilier les aspirations antithétiques
du romancier et de l’autobiographe au sein d’un genre en perpétuelle
mutation. Genre qui, synthétisé sous l’appellation duelle
de «roman du moi», pourrait se situer dans l’une de ces «cases
aveugles» [2] que Philippe
Lejeune réserve aux livres-Protée. Parce qu’il condense à
la fois intime et public, réel et fictionnel, celui-ci rendrait
ainsi possible le dévoilement interne précédant à toute narration.
Le sujet narré n’y étant jamais véritablement celui qu’il
y paraît, le texte oscille sans cesse entre la personne de
chair qu’est l’auteur et les personna immatérielles qu’incarnent
les personnages. Différent en cela de l’autofiction qui recentre
le sujet réel au cœur d’un univers fantasmé autant que de
l’autobiographie pour qui ne vaut que la réalité la plus concrète,
cette nouvelle mise à nu scripturale appelle et permet l’immergence
du réseau fluctuant de mythes et images qui tout à la fois
motive et innerve la prise de parole. Une prise de parole
qui puise son origine à la source de la souffrance fondamentale:
celle à partir de quoi l’homme est confronté à l’inquiétante
étrangeté du monde et de l’autre, perçus comme autant de fragments
difractés de cette identité qu’à tout prix il lui faut reconquérir.
Cette poétique de l’oscillation, Henry Bauchau semble en avoir
saisi toute la puissance évocatoire. En effet, qu’il s’agisse
de la descente du narrateur proprement «déchiré» dans les
tréfonds de la parole sibylline ou de l’étrange errance d’un
nouvel Œdipe, cheminant sur les routes d’une Grèce réinventée
au rythme du récit se déroulant, l’auteur semble avoir fait
de la transposition mythique le medium privilégié de l’herméneutique
textuelle.
Parce qu’à toute délivrance préexiste une souffrance (subie
ou désirée, assumée ou refoulée …), la mise au monde scripturale
peut alors s’envisager au regard de la blessure dont elle
découle. Une blessure qui, pour faire sens, demande à être
exprimée jusqu’à la lie et non pas suturée, dans la mesure
où c’est précisément dans la crue langagière que bien souvent
l’être se forme. Cette souffrance fédératrice, le «roman du
moi» la revendique d’ailleurs pleinement, au point d’en faire
la pierre angulaire de toute son architecture. Entre ses lignes,
celle-ci acquiert valeur de véritable ferment fondateur. Le
texte entier en est imprégné: dans les choix thématiques évidement
qui exposent et subliment la formation ontologique du narrateur
au regard de l’épanchement des maux dans l’œuvre, du point
de vue symbolique également puisque les doubles narratifs
se dressent comme autant de figures tutélaires d’une douleur
assumée, mais encore du point de vue purement stylistique,
dans la mesure où la langue elle-même y est parfois malmenée,
tailladée, éclatée à l’image du corps des textes, dont l’unité
même trouve sa source dans cette poétique de la blessure,
faite de brisures et de liens, de soubresauts et repos.
Ainsi envisagée, la souffrance serait donc cette impulsion
primaire de qui le texte naît. A travers elle se lisent la
vie et la fable, l’auteur et ses doubles. L’écriture elle-même
se fait métonymie d’une œuvre-transfert: celle qui, à la suite
des Sibylles et autres participants d’une écriture toujours
«à l’écoute» [3], prend
en charge les maux pour qu’ils ne représentent plus mais signifient
enfin. Bien plus qu’une simple «auto-bio-graphie», l’écriture
de soi serait donc ce qui, au-delà du simple récit de vie,
permet la gestation interprétative. Elle matérialise en quelque
sorte ce stade intermédiaire de la parole où, les mots n’étant
pas encore proférés, le sens affleure et se dissout. A la
fois aboutissement (parce que la voix est sur le point de
s’affirmer) et suspens (puisque qu’elle hésite encore à investir
l’espace béant du texte à produire), elle participe d’un processus
de création ambivalent car, si le texte à venir est déjà présent
en arrière-plan, tout est pourtant à (ré)inventer.
Et cette réappropriation est justement celle d’une parole
en souffrance qui attendrait l’élément susceptible de l’exprimer:
mouvement qui est précisément celui d’une écriture qui tout
à la fois viderait de son suc la plaie trop longtemps exposée
et en apaiserait les douleurs par le biais d’une mise en mots
proprement cathartique.
Dès lors le texte se fait à son tour actant de la reconquête
identitaire. Il devient le speculum au regard duquel le moi
s’esquisse, mais également la «barrière» symbolique derrière
laquelle la douleur première s’estompe ou du moins se dilue,
égarée dans la «forêt» de ces «hommes doubles» [4]
à la naissance desquels elle a intimement contribué.
La mise en mots ouvre alors sur la mise en scène de ce moi
qui éclot et dans laquelle l’exposition des souffrances endurées
s’affirme comme revendication et justification de la prise
de parole. La blessure elle-même se voit alors réhabilitée
puisqu’à travers elle se réconcilient les deux pôles du symbole
brisé.
Si l’on considère que toute prose naît de la blessure qui
l’inspire, qui mieux que Bauchau pourrait alors illustrer
l’impulsion créative des souffrances en latence? Celui pour
qui l’œuvre semble se concevoir, au fil des divers bouleversements
jalonnant l’existence réelle, comme un véritable espace matriciel
apparaît ainsi à bien des égards comme le représentant de
ce désir paradoxal de renaissance morbide dans la mesure où
la délivrance ne s’accomplit jamais que dans la souffrance.
Né de cette fascination pour un mal qui entrave autant qu’il
libère, l’univers bauchaldien apparaît alors comme le point
focal de toute une métaphore ontologique, issue de la parole
en suspens et tendant vers son épiphanie signifiante.
Le premier roman au titre évocateur retrace en effet le long
cheminement qui, de l’agonie de la mère à l’apogée de la Sibylle,
a marqué les jours de l’écrivain en devenir. La bien nommée
Déchirure est donc avant tout celle que le narrateur doit
opérer pour que de la rupture jaillisse le Verbe. Roman de
la mère mourante et berceau de la maïeutique auctoriale, cette
œuvre se dresse en effet comme la légitimation de la blessure
originaire autant que sa sublimation.
«Je pense à mon livre abandonné chez moi. Voilà un an qu’il
est commencé et il progresse, malgré moi, dans plusieurs directions,
sans avoir trouvé de centre. Parfois je le sens tout proche,
mais sans pouvoir le faire sortir de l’obscurité, d’où il
me guide peut-être. Je suis entré dans ce livre à l’aveuglette,
pressé sans doute par le besoin de me retrouver à la naissance
de la parole, dans la déchirure de l’enfance, dans le creux,
dans la faille, en tout cas dans l’endroit béant où je suis
descendu avec la Sibylle. Avec lui, je suis revenu sur le
lieu du drame, j’ai été tout de suite submergé. Comme je le
suis aujourd’hui par la maladie de maman qui produit cette
grande confusion, où, plus qu’ailleurs, je la découvre en
me retrouvant.» [5]
Submergé par l’univers de l’enfance et de ses hantises [6],
l’auteur effectue dès les premières lignes une douloureuse
plongée en lui-même; une plongée qui se place d’ailleurs d’emblée
sous le signe de la violence ou du moins de la soudaine brutalité
du choc puisqu’«il y avait le mot attaque, si opposé en apparence
à la réalité monotone de sa vie et qui m’atteignait moins
par l’image du combat que par celle de l’agression et du feu»
[7]. L’œuvre est donc immédiatement
placée, malgré elle, malgré l’auteur lui-même, sinon sous
le sceau de la blessure, sous l’empreinte du moins de la maladie
ouvrant sur l’effrayant horizon de la mort «en souffrance».
Une souffrance liminaire qui acquiert cependant au fil des
pages un rôle véritablement ambigu, dans la mesure où elle
ne s’applique pas directement à l’écrivain, mais contribue
pourtant à la résurgence de ses maux (mots?) singuliers. Cette
«chronique d’une mort annoncée» agit en effet sur Bauchau
comme un véritable catalyseur puisque tout en l’immergeant
dans les limbes d’un passé toujours déjà enfui, elle le renvoie
du même coup face à lui-même: les craintes et les plaies du
passé se mêlant intimement aux douleurs de ce «présent d’incertitude»
[8] dans lequel elles trouveront
enfin à s’exprimer. «Déchirure» et «attaque» inaugurent ainsi
le parcours bauchaldien, plaçant les œuvres à venir dans l’orbe
d’une double (re)conquête: la recherche diégétique du texte
en construction alimentant et légitimant la réunification
de l’être à (ré)inventer.
Les mots seront donc les ouvriers de cette «destructuration»
complète des bornes spatio-temporelles dans lesquelles ils
se doivent pourtant de s’inscrire pour faire que de ce décentrement
référentiel surgisse l’homme-texte dans toute sa vérité. Une
fois mise à jour la plaie initiale, le champ est alors ouvert
aux multiples réminiscences qui, toutes, viendront raviver
une blessure antérieure: l’image horizontale de la mère couchée
ranime ainsi le souvenir tenace de la verticalité passée,
symbole de la distance et de la froideur maternelle; froideur
qui à son tour renverra à la «maison froide» puis à la Grande
Muraille, vecteur et creuset des angoisses en latence depuis
l’enfance. Passés au crible de l’imaginaire scriptural, les
éléments de l’arrière-plan «mythifiant» des souvenirs s’inscrivent
dans une démarche de restauration qui laisse déjà présager
les figures totémiques qui constitueront par la suite la lignée
romanesque de l’auteur. Aussi, bien avant Œdipe et Antigone
[9], avant Pierre et Johnson
[10], apparaissent déjà
les personnages transferts que sont Mérence et l’homme noir
[11], mais également la
Sibylle [12] déroutante,
le Frère ennemi et le Grand-père patriarche. Les prémisses
du «roman du moi» s’inscrivent ainsi dans les lignes de La
Déchirure, puisant dans la brèche que celle-ci opère dans
le tissu romanesque, la puissance évocatoire d’un langage
dédoublé puisque multiple. En effet, la voix vacillante de
la mère à l’agonie libère celles du fils décentré: à la crainte
de l’enfant Bauchau se superposent alors les angoisses de
l’adulte en instance d’analyse comme aux voix ténues du passé
oppressant s’associent les appels lancinants d’un présent
qui ne demande qu’à s’exprimer. Stratification signifiante
qui s’étend d’ailleurs au jeu des repères spatio-temporels
puisque le temps de la rédaction semble être dédoublé à son
tour: à la fois co-référent à l’ancienneté des souvenirs et
concomitant à l’actualité de la cure. De même, la perpétuelle
oscillation entre les divers lieux de la formation ontologique
et littéraire accentue et redouble le jeu entre les époques
narrées et les moments de l’énonciation.
Cette fuite en avant qu’opérerait le texte devenu relais de
la cure semble ici pouvoir se lire à la fois comme la reconnaissance
de la blessure initiale et son dépassement. Au fil des lignes,
et bientôt au fil des œuvres, la plaie s’ouvre et se fait
signe pour constituer la trame symbolique sur laquelle viendront
s’inscrire les figures de l’auteur et de ses avatars de papier.
Une volonté de diversion créatrice, que Bauchau revendique
d’ailleurs pleinement dans le journal de l’œuvre qu’est La
Grande Muraille:
«Je veux aller vers autre chose, un peu d’équilibre, l’œuvre,
la compréhension de moi-même. Tout ce que je n’atteins pas,
que je n’atteindrai sans doute pas, qui est peut-être mythique.
[…] Il y a un élan que l’âge éteint et qui pourtant est encore
en moi inassouvi. C’est dans l’œuvre que je devrais pouvoir
projeter ce que je ne désire plus revivre. Là le « reviens
avec tous tes supplices » peut encore avoir pour moi un sens
qui ne soit pas gonflé, qui ne pousse pas à aller à contre-courant
de la vie. Actuellement je ne suis pas déchiré par l’œuvre,
je le suis par le temps, ce n’est pas la même chose.» [13]
Le statut de l’œuvre comme objet thérapeutique transférentiel,
à la fois moteur et creuset des hantises, semble alors indéniable,
dans le même temps où la prégnance de la cure sur l’imaginaire
devient plus palpable. L’annonce d’une mort prochaine fonctionne
donc pour Bauchau comme un moteur d’écriture pour le moins
paradoxal puisqu’elle entraîne dans son sillage une véritable
volonté de vie. L’auteur, bien qu’intimement bouleversé par
la perspective d’une perte essentiellement douloureuse, semble
s’emparer de cette douleur, faire sienne l’agonie maternelle
pour finalement la dépasser au regard d’un langage proprement
démiurgique. Une fois la mère et ses symboles mis à mort,
le texte peut enfin se réapproprier l’espace narratif en construction
et y diffuser son aura individualisante. A la mort de la mère
s’oppose ainsi la renaissance du fils effacé, autant qu’à
la blessure symbolique d’une enfance brimée et comme en partie
gommée [14], font face
les affrontements sublimés de l’auteur aux prises avec son
image:
«C’est alors que j’ai été frappé. J’ai reçu le coup sur la
tête, comme un bœuf. […] En pliant les genoux il me semble
avoir vu un long corps de singe, très beau, vêtu d’une merveilleuse
toison claire. D’une main il se tient à l’arbre. Quel arbre?
L’arbre généalogique qu’il ébranle de son balancement, et
de l’autre, il tient le maillet. […] Je vois […] le visage
de l’autre, son front large et cuivré sous les puissants cheveux
roux. Il est jeune, il danse, il bondit avec des poings superbes
et parfois il saisit le maillet et il frappe.» [15]
Réconciliés dans une unique prise de pouvoir, l’enracinement
primordial aux origines parfois étouffantes autant que la
violence salvatrice de la cure à laquelle le maillet renvoie
implicitement offrent une vision parallèle du conflit latent.
Conflit qui englobe tout à la fois la lutte interne et intestine
du sujet face à lui-même autant que les efforts effrénés que
celui-ci doit effectuer pour se désenclaver d’un passé qui
le hante et triompher d’un futur qui l’effraie. A la plaie
intime et solitaire se superposent ainsi les duels ontologiques
que le temps de l’écrit, qui déchire et renoue l’être, rejoue
et redouble infiniment. Chaque coup de ce maillet en qui se
cristallisent individualité et atavisme, revendication du
même et dangerosité de l’autre, tend alors à exhiber à la
face de sa victime le speculum du texte défensif. L’auteur
est certes marqué du sceau de la dualité, son être tiraillé
entre les deux pôles d’une même quête, mais ce dédoublement
semble également être la condition nécessaire pour que la
souffrance solitaire se répande et prenne sens dans la maïeutique
sublimée qu’est l’écriture de soi. Et si l’œuvre, lacérée
par le stylet du langage retrouvé, se dresse à son tour comme
une plaie béante, celle-ci n’est plus gouffre sans fond mais
scène expiatoire sur laquelle «tous [l]es supplices» peuvent
être «projetés» et recréés. La souffrance deviendrait donc
tremplin à la sublimation artistique à travers laquelle le
sujet «pensant» se mire et se construit au regard du «sujet
narré» qui s’ébauche sous sa propre plume.
«J’avais été terrassé et marqué. Pour la vie, et pour l’éternité
s’il y en a une. J’étais abattu aux pieds de l’ennemi inconnu
et il n’y avait plus de combat possible. C’est mon propre
poids qui me retenait la face contre terre, le talon de l’adversaire
n’était pas nécessaire. Peut-être ne l’avait-il jamais été.
Si le salut était encore possible - et il devait l’être puisque
somme toute je paraissais vivant - il ne pouvait plus venir
que d’ailleurs et de l’autre. Il fallait de l’aide. Attendre.
Pour cela les coups de maillet m’aidaient beaucoup.» [16]
Venue de l’extérieur et infligée par soi et en soi, la blessure
devient paradoxalement la marque de la singularité de qui
l’accueille, elle n’est plus souffrance écrasante mais signe
distinctif d’une unicité revendiquée et, en ce sens, n’est
plus crainte mais souhaitée. Le maillet, métonymie de la souffrance
liminaire, se dresse ainsi comme l’élément fédérateur de la
démarche de l’écrivain: il blesse certes, mais il libère aussi
puisque c’est grâce à lui que le sujet clivé se lance à la
poursuite de l’«ailleurs et de l’autre». Ailleurs de l’horizon
infiniment étendu du «livre à venir», autre de l’identité
démultipliée de l’artiste démiurge qui tout à la fois se crée,
renaît et enfante. Cette filiation imaginaire peut d’ailleurs
se lire comme la source de la série d’«autofictions des origines»
dont Bauchau s’est fait le hérault. En effet, du Régiment
noir comme autobiographie doublement décentrée (puisqu’elle
relate l’épopée imaginaire non pas de l’auteur, mais de la
figure magnifiée d’un père par ailleurs fort peu présent dans
l’univers romanesque) à la saga sublimée de la lignée oedipienne,
l’espace bauchaldien paraît se définir par l’insolite condensation
de la quête et de son objet dans la figure même des personnages
tout ensemble héros et errants.
La filiation romanesque développe alors et renforce l’intuition
liminaire d’une souffrance prolifique parce que cathartique.
Les récits semblent ainsi innervés, au-delà de la résurgence
quasi-pulsionnelle des mêmes noyaux familiaux éclatés et reconstitués
à l’infini, par un réseau souterrain de mythèmes latents parmi
lesquels le thème de la douleur (volontaire ou non, consciente
ou pas) creuse toujours plus profond ses sillons. Ainsi par
exemple en va-t-il de la figure recentrée d’un Œdipe à la
fois auteur et victime de la souffrance dont il découle. En
effet, bien que nous ne le rencontrions qu’une fois la faute
accomplie et la blessure consommée (blessure à envisager d’un
point de vue symbolique comme celle faite à la femme, à la
mère que l’inceste a touchée en son sein, mais également d’un
point de vue purement physique comme celle de la mutilation
d’un corps érigé en témoin saisissant d’un châtiment expiatoire
volontairement infligé), le roi déchu semble se dresser comme
la personnification criante de la douleur assumée. Cette passation
symbolique du créateur à la créature érige le texte comme
le lieu de l’accomplissement par excellence. A travers la
transposition doloriste de l’auteur sur son personnage, puis
du personnage sur sa propre lignée (on se souvient alors du
magnifique cri poussé par Antigone esseulée, témoignant autant
de son désespoir que de l’espérance en une révolution positive)
[17], le roman se donne
parfois lui-même comme une blessure. La structure même de
l’œuvre fait donc sens en ce qu’elle est celle d’une plaie
qui s’écoule jusqu’à n’être plus qu’un creuset productif:
celui du mal exalté, celui encore de ces sanglots qui s’épanchent
jusqu’à s’épuiser, sans pour autant se tarir puisqu’une fois
les larmes séchées ce sont les mots qui prennent le relais.
De la «déchirure» initiale à son épanchement sublimé, de l’auteur
de chair aux personna de papier, de la représentation romanesque
à l’interprétation diariste, l’édifice bauchaldien semble
en effet se construire par stratifications successives, chacune
portant en son sein le germe de la suivante. Et le récit,
ainsi conçu, devient littéralement spéculaire (au sens où
L. Dällenbach l’entend) [18]:
il se réfléchit à l’infini, disséminant les figures des personnages
comme autant de reflets de cette écriture diffuse au miroir
de laquelle s’esquisse le portrait mouvant de l’auteur qui
la porte.
C’est au cœur de cette filiation précisément que se situe
la création identitaire puisque le Moi auctorial s’y élabore
au regard de la pluralité romanesque. La prise de parole s’échappe
et dévie de son rôle premier de retranscription individuelle
et «réaliste» pour se dupliquer et s’élargir à l’universalité
des symboles convoqués. Ainsi Œdipe est-il tout à la fois
enfant trouvé et roi déchu, auteur en souffrance et personnage
en errance, tout comme Pierre est autant le père que le fils,
le réel magnifié que l’imaginaire matérialisé. La mise en
mots devient alors véritablement mise en scène au sein de
laquelle le sujet multiplie ses représentations et, des origines
du roman au récit des origines, la trame se tisse d’une généalogie
fantasmée. Généalogie qui comprend alors naissance et reproduction:
reproduction des types et schémas fondateurs, naissance d’un
sujet original parce qu’originel. Cependant, si l’écriture
de soi permet à son auteur de ressusciter à travers elle,
elle le place toutefois dans une position particulièrement
inconfortable dans la mesure où, ni tout à fait dépendant
de l’histoire recréée, ni véritablement détaché de celle-ci,
l’écrivain ne reconquiert son identité qu’au prix d’une solitude
assumée. En effet, Sisyphe acculé aux bornes de sa propre
création, l’auteur semble condamné à surplomber ses personnages
sans totalement s’y mêler, tout comme il contemple sa vie
au prisme de la création littéraire. Il appartient certes
au réseau fantasmatique dans lequel son drame se rejoue sans
cesse mais ne peut pourtant s’y intégrer pleinement dans la
mesure où, en tant que créations, les personnages ne lui renvoient
jamais qu’un reflet biaisé de lui-même. Se dresse alors le
paradoxe fondamental de toute écriture «des profondeurs» puisque
s’extraire de celle-ci revient bien souvent à se retirer hors
de l’englobante altérité. Aussi, si la mise en mots se fait
délivrance c’est d’abord à une mise au monde solitaire qu’elle
ouvre. Solitude de l’auteur, en constant équilibre entre une
existence qu’il ne perçoit plus telle qu’elle se déroule et
une création qui, une fois mise au monde, s’en échappe littéralement.
Solitude également du sujet en devenir: ni tout à fait départi
de ce passé qu’il reconstruit, ni pour autant réellement engagé
dans l’avenir à conquérir. Reste le présent et son lot d’incertitudes.
Or, dans ce même présent une mise au ban subsiste: celle du
langage qui érige à la fois l’horizon de ses possibles et
la finitude de ses bornes. En effet cette langue même dont
il fait la clef de sa délivrance, ne lui appartient pas en
propre et si elle participe bien de la construction identitaire
du couple auteur/personnages, il n’en demeure pas moins que
tous les «à venir» romanesques ne se dessinent jamais que
sur les bords d’un verbe purement utopique. Aussi, la solitude
bauchaldienne tient-elle essentiellement à ce que l’auteur,
sans cesse ex-ilé dans la péninsule narrative, se situe nécessairement
aux confins de son œuvre et du langage, «[…] ni en lui, ni
hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte […]» [19].
Et Bauchau pourrait alors prendre à son compte les quelques
mots de Derrida:
«Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant
d’une lame aiguë que je voulais te confier sans mot dire,
je souffre et jouis de ceci que je te dis dans notre langue
dite commune: ‘Oui, je n’ai qu’une seule langue, or ce n’est
pas la mienne’.» [20]
Or, si cette langue n’est pas sienne, c’est précisément parce
qu’elle est «commune» et qu’elle permet donc d’ouvrir sur
l’échange qu’appellent avec force l’ailleurs et l’autre précédemment
évoqués. Le rapport au texte et à sa solitude tendrait donc
à s’inverser grâce à l’outil même de l’exil. En effet, si
le fruit de l’auto-maïeutique auctoriale est bien solitaire,
(puisque délaissant l’atavisme biologique, c’est seul que
l’auteur se fait renaître au travers de son œuvre) cet enfantement
ouvre malgré tout sur l’espace de l’altérité à apprivoiser.
La renaissance se fait de soi à soi pour finalement déboucher
sur le monde et appeler l’autre à explorer cet univers d’abord
singulier. Ainsi, si la blessure originelle se perpétue dans
le double lignage bauchaldien, elle ne revêt plus l’aspect
maléfique hérité de la trilogie oedipienne, mais semble au
contraire ouvrir sur l’altérité reconstructrice. De même,
la béance primordiale instaurée par la sur-présence de la
mère et l’absence renouvelée du père débouche-t-elle sur une
oeuvre en spirales et circonvolutions qui, si elle n’aboutit
pas sur la plénitude absolue semble toutefois ouvrir la porte
du salut puisqu’en son sein, le dépassement des maux de l’existence
réelle s’opère par le pouvoir thérapeutique des mots «rédempteur».
«Il faut peut être expliquer que j’écris pour guérir, pour
trouver, pour me retrouver et retrouver les autres. La guérison:
par là on communie avec les autres, avec le monde qui se crée,
j’ai l’air de ne m’occuper que de moi-même mais je suis avec
tout ce qui lutte pour défaire les vieilles barrières et édifier
un monde nouveau.» [21]
La mise en scène cède ainsi le pas à la mise en relation et
offre sa solitude à la lecture conjointe du même et de l’autre,
cristallisés dans la figure d’un lecteur idéal, aussi «autre»
que «moi». Le recours à une tierce instance, excentrée elle
aussi du paysage narratif mais y participant pourtant, (en
ce que tout texte tend à être lu, toute écriture à être comprise
dans une démarche globalisante d’appropriation et de dessaisissement
de l’objet-livre qu’elle exalte et convoite), libère la souffrance
initiale de tout ce qu’elle pouvait conserver d’annihilant.
A travers la confrontation du moi isolé et de l’altérité expiatoire,
le texte redessine ses contours: il n’est plus seulement le
dépositaire des plaintes d’un individu esseulé et comme éthéré
de n’être pas entendu, mais se fait le témoin vivant de la
revendication identitaire.
«Ecrire le moi, c’est affirmer son existence, céder à sa fascination,
car il serait inutile de faire écriture d’une réalité inexistante.
Mais, si l’on écrit du moi, c’est que cette réalité est problématique
; la rédaction doit contribuer à la concrétiser, à lui donner
une consistance dont elle est apparemment dépourvue.» [22]
Cette consistance, c’est le texte et ses rejetons fictionnels
qui semblent alors principalement l’offrir. Puisque toute
«écriture du moi» se veut mise en scène scripturale d’un sujet
réel, elle semble devoir assurer à l’être ainsi déterminé
une existence (à la fois impalpable et matérielle, ponctuelle
et pérenne) qui bien que récréée de toutes pièces n’en demeure
pas moins essentielle. Aussi, bien plus qu’ils ne donnent
à voir le fidèle reflet d’un Moi figé dans sa propre représentation,
les récits bauchaldiens décentrent les miroirs, offrant ainsi
une image brouillée dont les lignes de fuite constituent la
meilleure interprétation. Les diverses personna citées à comparaître
constituent donc moins un masque narratif qu’un condensé existentiel
tendant à doter la réalité existante d’une puissance évocatoire
par laquelle le fictionnel concrétiserait l’effectif.
Parce que le roman du moi en tant qu’espace d’expression de
l’intime, est également l’espace du dialogue renoué (avec
soi-même bien sûr, mais encore avec le lecteur - idéal ou
effectif -, avec le monde également dont il est issu et dans
lequel il se replace), la blessure semble peu à peu cicatriser
et faire de la plaie, non plus une entaille séparatrice, mais
l’objet de la compassion sincère; le retour sur soi permettant
alors l’émergence d’autrui dans l’écriture du moi. Une fois
instauré, ce dialogue (conscient ou non, désiré ou reconstruit)
conditionne le rapport de l’auteur et de ses représentations
en ce qu’elles participent pleinement du processus de construction
identitaire, instituant au fil des entrées symboliques, la
figure dévoilée de l’écrivain comme pierre d’achoppement de
texte. Le dépassement de la solitude tiendrait donc aussi
à la relation que le créateur entretient avec son œuvre, non
plus perçue en tant que vivier prolifique de transferts ontologiques
mais érigée comme le symbole lui-même, celui par qui l’étranger
se fait ami et la différence source de la reconnaissance.
Dès lors si l’on «peut vivre dans la déchirure. On peut très
bien» [23], le texte à
son tour peut très bien vivre dans l’orbe de la souffrance
qui l’a engendré. Bien plus, il semble s’en alimenter, y puiser
«le mystique aliment qui [fait] sa vigueur» [24].
Les mots, rythmes et sons s’y font les marqueurs de la blessure
fondatrice et le récit recueille dans un même élan personnes
et personnages, témoignages et inventions. L’œuvre bauchaldienne
dans son entier est donc bien celle de la rupture, de l’entaille
signifiante, effectuée et réinvestie, dans le texte comme
dans la vie; d’une entaille également qui contient et exploite
toutes les polarités de la souffrance magnifiée dans la réunification,
revendiquant ainsi le statut paradoxal d’une parole profondément
symbolique en ce qu’elle ne prend sens qu’une fois réunis
les deux pôles égarés du simbolon éclaté:
«L’esprit de réconciliation m’anime mais la déchirure existe
et ce ne sera que lorsqu’elle aura exprimé tout son pus et
toute sa fureur que la réconciliation sera possible.» [25]
Si une telle conception du texte comme symbole et faire-valoir
d’une douleur secrète et primordiale peut paraître déroutante,
il n’en demeure pas moins que c’est dans cet écart même qu’elle
puise toute sa force évocatoire. Le texte, mis à jour comme
on met au monde, s’élabore donc tout au long du processus
gestationnel qui est celui de tout «romancier du moi» dans
un perpétuel balancement entre souffrance et délivrance, introspection
et dissémination. L’écriture, comme processus intrinsèquement
matriciel, se dresse ainsi comme le lieu de résolution de
ces conflits latents qu’elle génère, couve et apaise tout
à la fois. Théâtre de l’être à renaître et du temps fécondant,
des métamorphoses du réel et de l’invention fictionnelle,
du verbe enfin et de ses destinataires, la prose bauchaldienne
se fait le lieu d’une reconquête qui n’est plus seulement
personnelle mais universelle, et se propose de lire l’homme
et ses symboles au regard du monde et de ses mythes. En ceci,
la langue chez Bauchau est-elle essentiellement féminine puisque
tour à tour femme, mère, sœur et amante, elle porte en son
sein les fruits d’or de la création. Et les figures de l’éternel
féminin de s’élever alors comme autant de cariatides d’une
écriture toujours en souffrance parce que sans cesse enfantant.
D’Antigone à Mérence, de Jocaste à la Sibylle, toutes transforment
et rénovent, rehaussent et enfouissent dans une courbe sans
fin les éternels descendants de la voix originaire que constituent
l’auteur et ses doubles.
«Ainsi le temps nous fait l’un pour l’autre Antigone
Non point l’âge mais l’âme en quête du royaume
Et des genoux puissants de mère en beauté jeune
Pierres transfigurées, broyées dans la genèse
Mérence du futur, de la tendre lumière
De l’âme qui l’invente est-elle imaginaire,
Est-elle la statue de l’âme toute en psaumes
Toute en larmes d’enfant, toute entière en royaumes
Vers laquelle il faudra descendre à reculons
S’enfoncer par la voix profonde, les passions,
Dans ce que murmurait la langue originaire.» [26]
Notes
1] M. Eliade, Aspects du
mythe, Paris, Gallimard, «Folio Essais», 1963, p. 16.
2] P. Lejeune, Le pacte autobiographique,
Paris, Seuil, Points «Essais», 1975, réed. 1996, p. 31.
3] H. Bauchau, L’écriture
à l’écoute (textes réunis et présentés par Isabelle Gabolde),
Arles, Actes Sud, 2000.
4] L. Aragon, La mise à mort,
Gallimard, « Folio », Paris, 1965, p. 99.
5] H. Bauchau, : H. Bauchau,
La Déchirure, Actes Sud, Arles, 2003, pp. 83-84. Nous soulignons.
6] «L’image de la mère couchée
a été ranimée après tant d’années par un coup de téléphone
au petit jour: Maman a eu une attaque» Ibid, p. 12.
7] Ibid, p. 13.
8] H. Bauchau, Le présent
d’incertitude, Journal 2002-2003, Paris, Actes Sud, 2007.
9] Personnages éponymes de
deux des œuvres clefs de l’univers romanesque bauchaldien
dans lesquelles l’errance oedipienne prend le relais de la
quête auctoriale.
10] Personnages du Régiment
noir. Pierre est la transposition fantasmée du père de l’auteur,
projeté dans l’univers manichéen d’une guerre de Sécession
pour le moins allégorique. Johnson est quant à lui un soldat
noir avec lequel Pierre accomplira son initiation sur la route
menant du nord vers le sud, de soi vers l’autre.
11] Figure maternelle de
substitution, née de l’imagination de l’enfant Bauchau, Mérence
apparaît pour la première fois dans les lignes de La Déchirure
(dans le cadre de la cure entreprise par l’auteur) et se retrouvera
par la suite, disséminée dans plusieurs écrits (dont Le Régiment
noir). L’homme noir cristallise quant à lui les aspirations
antithétique de l’auteur, perpétuellement «déchiré» entre
les deux pôles de son existence (tant réelle que romanesque).
12] La Sibylle est le surnom
(éminemment signifiant) que Bauchau a attribué à sa psychanalyste:
Blanche Reverchon-Jouve.
13] H. Bauchau, La Déchirure,
op.cit, p. 124.
14] «L’enfance était submergée,
avec les cités du désir, englouties dans la longue attente.
[…] Et voici que l’enfance est finie aux yeux de tous, alors
que l’enfant est encore là tout entier, tel qu’il a été marqué
par les dures années sous-marines», Ibid, p. 31.
15] Ibid, p. 23. Nous soulignons.
16] Ibid, p. 24.
17] H. Bauchau, Antigone,
Paris, J’ai lu, 2007, pp. 171-173.
18] L. Dällenbach, Le récit
spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, «Poétique»,
1977.
19] J. Derrida, Le monolinguisme
de l’autre, Paris, Galilée, «Incises», 1996, p.14.
20] J. Derrida, op.cit,
p. 15, cité in O. Ammour-Mayeur, Henry Bauchau, une écriture
en résistance, Paris, L’Harmattan, «Structures et pouvoirs
des imaginaires», 2006, p. 169.
21] H. Bauchau, La grande
muraille. Journal de la Déchirure (1960-1965), op.cit, p.
49.
22] G. Gusdorf, Lignes de
vie 1. Les écritures du moi, Paris, Odile Jacob, 1991.
23] H. Bauchau, La Déchirure,
op.cit, épigramme, p. 13.
24] C. Baudelaire, «L’ennemi»,
in Les Fleurs du mal, Paris, GF Flammarion, 1991, p. 67.
25] H. Bauchau, La grande
muraille. Journal de la Déchirure (1960-1965), Actes Sud,
«Babel», Arles, 2005, p. 60.
26] H. Bauchau, «Les deux
Antigone», in Poésie, Arles, Actes Sud, 1986, p. 237.
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