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  • Approche d'en bas et interculturalité narrative
    Orazio Maria Valastro (sous la direction de)
    M@gm@ vol.1 n.2 Avril-Juin 2003

    IMMIGRATION, INTEGRATION, CITOYENNETE EN BELGIQUE Quelques considérations sémantiques


    Ivan Dechamps

    ivandechamps@altern.org
    Diplômé en travail social, en droit et en sociologie; ancien chercheur et assistant à l'Université; travaux en sociologie de la religion, en sociologie du travail social, de la pauvreté et de l'exclusion sociale, en sociologie de l'immigration, en droit des étrangers et en science administrative.

    Bien souvent le débat politique belge à propos de la migration reste centré sur le couple immigration-délinquance ainsi que sur la réussite ou l'échec de ce que certains responsables politiques nomment 'l'intégration' des populations issues de l'immigration. Ce débat - faut-il le dire? -convoque souvent des idées qui relèvent, pour citer Durkheim [1], de la 'prénotion', cette pensée née de la pratique et faite pour elle, plutôt que du concept, cette formule qui précise indiscutablement les caractères de la chose appréhendée. Aussi convient-il de réfléchir à ce qui est dit quand il est question de migration. On se livrera alors à un petit et salutaire exercice sémantique autour de termes comme 'étranger', 'immigré', 'allochtone', 'exclusion', 'intégration', 'assimilation', 'minorité ethnique', 'discrimination', 'citoyenneté', tant il est vrai que ces mots véhiculent des sens divers et ne sont pas interchangeables.

    L'étranger


    Tout commence avec la présence sur un territoire donné de l'étranger. Dans l'ère des États-Nations, l' "étranger" est l'individu qui ne possède pas la nationalité du pays où il réside. La nationalité marque l'appartenance d'une personne à la population constitutive d'un territoire et lui assure, dans cet espace, un droit de cité; elle sanctionne la proximité entre les membres du groupe spatialement déterminé. C'est une notion juridique. C'est ainsi le droit interne à l'État de résidence qui détermine qui est étranger en son territoire, ce ne sont pas la race, l'ethnie ou la culture. Mais si le droit dit qui est étranger et qui ne l'est pas, s'il dit aussi, à partir de cette distinction, qui peut accéder au territoire, y séjourner, s'y établir ou en être éloigné (et comment il peut l'être), de quels droits l'étranger peut disposer et à quels devoirs il doit se plier, il ne dit pas le processus migratoire et ses suites qui relèvent d'un autre type de connaissance, d'une autre saisie de la migration.

    L'immigré

    Sur le territoire de l'État qui le définit, en droit, comme étranger, le migrant est un "immigré" venu vivre dans une collectivité nationale qui n'est pas la sienne, une collectivité qui lui est étrangère. A. Sayad dit de lui qu'il est l'étranger en séjour provisoire, le non-national dans la nation, celui à propos duquel l'on n'a jamais pensé qu'il pourrait rester et qui ne l'envisageait pas plus que les autorités car souvent, dans l'histoire des migrations en Europe occidentale, le travail seul donnait raison à sa présence [2]. L'immigré est, pour reprendre Simmel, l'étranger qui, arrivé aujourd'hui, restera demain, " [...] le voyageur potentiel en quelque sorte: bien qu'il n'ait pas poursuivi son chemin, il n'a pas tout à fait abandonné la liberté d'aller et venir" [3]. Mais voilà, les immigrés ont changé, ils se sont installés dans la société hôte, les travailleurs sont devenus des familles et les vagues d'immigration que la Belgique a connu depuis la seconde guerre mondiale a créé des générations, la première engendrant une deuxième, la deuxième une troisième, etc. Le provisoire est devenu durable et même définitif, la force de travail est devenue force démographique. Peut-on parler encore, sans erreur, d'"immigré" si la réflexion déborde de l'étranger qui a vécu la migration? Certes non, car si l'immigré est proprement un survenant qui introduit dans un groupe spatialement déterminé des caractères jusqu'alors inconnus, ses descendants, eux, nés dans ce groupe, ne le sont pas. Même s'ils ne possèdent pas la nationalité de l'État où ils naissent, même s'ils sont étrangers en droit, sociologiquement, ce ne sont pas des survenants, des "étrangers". Ce sont, progressivement, des "autochtones" moins marqués par la distance de leur ascendance que par la proximité de leur présence.

    L'allochtone

    D'où le besoin d'un autre mot pour désigner ces personnes qui ne sont pas immigrées mais qui ont hérité de l'immigration, un autre mot pour nommer cette recomposition de la dialectique de la distance et de la proximité. En Belgique, le terme "allochtone" remplit souvent cette fonction, essentiellement parmi les locuteurs de langue néerlandaise, eux-mêmes influencés par le discours scientifique, politique et médiatique hollandais. Ce terme, "allochtone", est inconnu, sinon de la langue française (c'est un mot technique de botanique et de zoologie qui se dit d'une espèce d'apparition récente dans la région considérée), du moins de la pensée sociale et de la littérature scientifique de langue française. Ce néologisme désigne très largement l'ensemble des personnes qui entretiennent un rapport avec l'immigration, fut-il ténu, et ne prend sens qu'en regard de son contraire "autochtone" signifiant en français "qui est issu du sol même où il habite", c'est-à-dire qui n'entretient pas de rapport avec l'immigration, qui est indigène. Mais l'étranger (en droit) qui est né dans la société hôte et qui y réside est, par définition, indigène: il ne possède pas la nationalité de son lieu de naissance; il entretient certes un lien avec l'immigration du fait de son ascendance mais il s'enracine dans le sol où il habite, il est donc autochtone et non allochtone.

    Le terme "allochtone" crée la confusion mais présente sans doute quelque utilité pour les idéologues nationalistes: l'allochtone, quoiqu'il fasse, où qu'il naisse, de quelque nationalité qu'il soit, reste marqué par l'extranéïté. Et son éventuelle acquisition de la nationalité de l'État de résidence n'en fera jamais un membre à part entière de cette collectivité nationale, un "citoyen de souche", sa substance sera toujours enracinée ailleurs, il sera toujours du dehors. On trouvera une conception essentialiste, pour qui l'humain est frappé au coin d'une culture particulière, au principe de l'usage de ce terme qui prend place dans le contexte d'une société affirmant avec force sa propre identité nationale ou culturelle, une société en définitive peu ou faussement ouverte [4]. Puisqu'elle ne peut nommer par un mot propre ces hommes et ces femmes venus d'ailleurs et leurs descendants qui peuplent le territoire de la société hôte, la pensée francophone utilise des périphrases. De ces populations qui sont parfois étrangères au sens juridique mais qui, le temps passant, sont de moins en moins étranges par leurs mœurs et leurs trajectoires, il convient de dire alors qu'elles sont "issues de l'immigration" ou "d'origine" ou encore "d'ascendance immigrée".

    L'exclusion

    En vertu de cet enracinement, l'on ne voit pas pourquoi l'on se pose encore la question de leur "intégration", ce qui postule qu'elles vivent, en tant que populations issues de l'immigration, un état d'"exclusion sociale". Ni la notion d'intégration, ni celle d'exclusion sociale ne nous paraissent pertinentes pour dire le social maintenant. Est-on sûr que la question sociale actuelle soit celle de l'exclusion, cette antienne née de l'étude du sous-prolétariat français de la moitié du siècle passé? Que les sociétés européennes sont fracturées, émiettées, ségrégées, disloquées, incohésives? Que les sous-prolétaires et les populations issues de l'immigration soient hors société, hors structures, hors droit? Qu'ils soient de "nulle part"? [5] Si l'exclusion peut, pour partie, caractériser la condition de personnes vivant dans la misère noire de l'errance ou dans la clandestinité, il est abusif de l'associer systématiquement au sous-prolétariat ou à l'immigration régulière dont les trajectoires et les identités sont différentes de celles des sans domicile fixe, des vagabonds ou des immigrés illégaux.

    L'identité

    L'identité ("nous" et "eux"), on le sait, est une construction sociale, même dans sa dimension subjective, et non un état de nature. C'est un marqueur social variable défini par ce qui lui est extérieur. Et c'est donc l'attitude de la société hôte qui établit l'identité de la population migrante plus qu'elle n'est, cette attitude, fonction de l'identité des migrants et de leurs descendants [6], soit qu'elle en dérive -la politique de la minorité ethnique-, soit qu'elle cherche à la contrecarrer -la politique de l'assimilation-.

    L'assimilation

    Le processus sociologique par lequel les personnes survenant dans une collectivité quelconque adoptent progressivement ses us et coutumes, l' "assimilation", est chose connue. Au fil du temps, les survenants deviennent semblables aux membres installés de la collectivité hôte. Conduisant à l'adaptation du survenant et de ses descendants à leur (nouvel) environnement, l'assimilation supprime, génération après génération, les différences culturelles, tant il est vrai que les nations modernes fabriquent, en grande partie, ???U? les individus qui les composent jusque et y compris dans ce que Mauss appelait, en un texte prémonitoire, les "techniques du corps" [7]. En ce sens, la société moderne est un creuset où se coule une identité commune à partir d'identités particulières et qui en porte les traces. Une politique d'assimilation, par contre, repose sur l'idée que la survenance d'éléments étrangers porte le danger d'anomie, de désorganisation morale de la société hôte. Aussi, la cohésion ne peut-elle être retrouvée que dans la suppression de l'altérité, le retour à la pureté originelle par le maintien à l'écart (la relégation dans des espaces délimités) ou le rejet au loin (le retour forcé, le bannissement ou ce que l'on nomme "la double peine"). Cette politique volontaire ne conçoit pas que la blessure du déracinement se soigne, pour l'immigré, dans le rapport toujours entretenu avec la terre d'origine (certes pour une part phantasmée - le mythe du retour se fonde sur le passé et non sur le présent de la société d'origine -), et, pour ses descendants, par le temps qui passe, c'est-à-dire par l'incorporation des dispositions subjectives dominantes de la société d'accueil, leur intégration.

    L'intégration

    L' "intégration" est le terme générique par lequel l'on nomme, entre autres choses, l'adaptation à la société hôte de l'étranger qui peut s'y installer durablement. C'est un processus d'acculturation. Cette notion signifie aussi, depuis Durkheim, la solidarité d'éléments dissemblables qui forment, malgré leur absence de similitude, un tout ???U? organique [8]. En ce sens, l'intégration est la composition des différences autour d'un dénominateur commun. C'est, pour ce qui nous concerne, l'interdépendance entre les composantes nouvellement arrivées ou anciennement installées d'une collectivité quelconque, leur coopération objective. L'intégration est toujours donnée comme le ciment des rapports sociaux. On concèdera que la notion est ambiguë et que l'idéal organiciste s'y profile: au-delà de la coopération, une société intégrée est une société sans conflits, sans cassures, sans altérité sinon passagère. Au sens strict, une politique d'intégration concerne donc des personnes survenantes, des immigrés, et non leurs descendants qui s'adaptent, eux, petit-à-petit, à la société hôte pour en présenter les caractères communs. Les uns et les autres ne forment pas une minorité ethnique aux contours discernables au sein d'un tout culturel et social achevé [9].

    La minorité ethnique

    La "minorité ethnique" est le groupe humain le moins nombreux défini par une identité culturelle propre qui partage un territoire donné avec un autre groupe humain plus nombreux défini par une autre identité culturelle. La notion implique la similitude au sein des groupes et l'infériorité d'un groupe par rapport à un autre. Elle ne porte pas, en elle-même, de sens coopératif, mais elle marque la minorité dans sa différence. L'établissement d'une politique de la migration sur la base de la logique de la minorité ethnique implique que les groupes humains présents sur un territoire soient définis et traités par les autorités publiques en fonction de leur identité culturelle propre; ils sont juxtaposés. Ainsi, la notion de minorité ethnique contribue-t-elle à pérenniser les différences des groupes humains. La dissemblance est élevée au rang de nature et fonde l'action publique: les minorités ethniques étant composées d' "allochtones", la notion est parfaitement compatible avec la résidence permanente mais elle ne l'est pas avec la citoyenneté pleine et entière, ni avec la porosité des cultures, ni avec les caractères individuels. C'est une conception essentialiste qui peut déboucher sur la négation de l'individu (défini uniquement par son appartenance communautaire, son origine, son étrangeté) ainsi que sur la rigidification des repères culturels et des rapports sociaux des groupes de population concernés.


    B. Quelles notions utiliser alors?


    Il faut donc penser autrement la présence de populations liées à l'immigration sur le territoire hôte: écarter avec autant de force la suppression des différences dans la société intégrée que leur juxtaposition dans la société multiculturelle. Quitter la pensée essentialiste au profit de la pensée dialectique.

    L'insertion

    Si l'on veut bien considérer que l'insertion réussie de populations migrantes ou issues de l'immigration dans la société hôte combine paradoxalement le respect des principes fondamentaux de la société d'accueil, le respect de la diversité culturelle ainsi que la volonté de faire participer ces populations aux objectifs des pouvoirs publics, on aura fait un grand pas dans la compréhension de l'immigration et de ses suites. L'intégration est, ici, l'acceptation réciproque de la société hôte et des populations survenues dans cette société. Elle est concrétisée par la participation des populations issues de l'immigration régulière aux mouvements de la société hôte et non par leur assimilation forcée à la culture du lieu d'accueil. Elle est aussi l'acceptation du creuset où la différence est dans le résultat et, inversement, le commun dans l'unique. On peut penser alors l'intégration sous un double registre: sociologique, elle est effective lorsque les comportements des populations issues de l'immigration convergent vers ceux des populations originaires à condition sociale égale et lorsque des éléments significatifs de ces populations connaissent une mobilité sociale ascendante; politique, elle est un fait lorsque les orientations du développement social sont l'objet de débats et d'actions dans lesquels ces populations sont partenaires. Mais qu'on la considère de l'un ou de l'autre de ces points de vue, la participation est mieux désignée par le terme "insertion" que par celui d' "intégration".

    Bien sûr, la notion d' "insertion" est discutable. Pour les uns, elle insiste insuffisamment sur la solidarité des éléments dissemblables, sur leur interdépendance, et empêche l'élaboration d'un projet de société commun (pis, elle cacherait une logique des minorités) [10] alors que pour les autres, auxquels nous appartenons, elle réalise, loin de tout organicisme et de tout différentialisme, l'alchimie de l'unique et du commun. Située entre la volonté d'assimilation et la logique de la minorité ethnique, cette notion permet, nous semble-t-il, de penser à la fois la dissemblance, la similitude et la vie en commun. Une politique d'insertion des populations issues de l'immigration recherche le bien commun dans, et par, l'acceptation mutuelle des différences et la mise en commun des projets. Elle favorise la participation politique, sociale, économique et culturelle en utilisant la dissemblance comme véhicule de similitude et, en outre, elle ne lie pas la participation de l'étranger dans la collectivité nationale au sort réservé au national à l'étranger: fondée sur l'égalité exercée ici et maintenant et non sur la réciprocité, l'insertion est la dialectique de la similitude et de la dissemblance. La coexistence pacifique en résulte car ce qui, dans la similitude, enferme est repoussé et ce qui, dans la dissemblance, distingue est respecté sans empêcher la coopération.

    L'(in)égalité et la (non-)discrimination

    L'insertion est fondée sur le principe d'égalité que la société hôte met en branle, par choix, sans se préoccuper de savoir si les États tiers procèdent de même, s'il y a réciprocité. L'égalité se comprend en deux sens. Elle est d'abord un rapport entre personnes. Elle signifie que les individus placés dans une même situation doivent être traités de manière équivalente. L'idéal démocratique veut que la loi soit la même pour tous et que les privilèges soient abolis. Entre les personnes, l'égalité est posée par le droit. Elle est formelle et sa défense passe par la lutte contre les discriminations. Nous ne sommes plus, dès lors, dans une politique de l'intégration mais dans une étape ultérieure car la lutte anti-discriminatoire concerne, par définition, des personnes dotées des même droits et des mêmes devoirs mais qui, sans justification raisonnable, ne sont pas traitées sur un pied d'égalité alors que la politique d'intégration vise des personnes qui ne sont pas, par définition, placées sur un pied d'égalité avec les populations établies puisqu'elles surviennent dans la société hôte. Ainsi entendue, la discrimination peut résulter de la règle ou du comportement intentionnel, elle est directe ou ostensible. Elle peut résulter de dispositions, de critères ou de traitements apparemment neutres mais qui ont, par leur application, des effets dommageables pour certains groupes ou pour certaines personnes en raison de leur appartenance à ces groupes; en ce cas, elle est indirecte ou déguisée. Elle peut relever aussi de préjugés ou de comportements qui ont pour effet de désavantager des groupes ou des personnes en raison de leur appartenance à ces groupes, mais dont la responsabilité du dommage causé n'est attribuable à quiconque; elle est alors structurelle.

    La discrimination est donc une différence de traitement dont l'illégitimité est posée par le droit qui la réprime mais toute distinction ou toute différence de traitement n'est pas, en soi, illégitime ou répréhensible. La discrimination structurelle tire son illégitimité, quant à elle, de la morale publique ou de la réflexion éthique qui débouche quelque fois sur l'élaboration de politiques dites de "discrimination positive", notion paradoxale qui vise à rétablir l'égalité par l'inégalité de traitement. Une différence de traitement défavorisant l'étranger peut donc être établie par le législateur sans relever, pour autant, de la discrimination ou du racisme. Mais pour ne pas être discriminatoire, cette différence de traitement établie au détriment de l'étranger doit reposer sur un critère objectif et être raisonnablement justifiée; la justification étant appréciée en tenant compte du rapport entre le but poursuivi et la disposition légale ainsi que de la nature des principes en cause. Le principe d'égalité est violé lorsqu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Toutefois, l'égalité des droits, l'égalité formelle, établit une mesure commune entre individus distincts (la jouissance de droits) mais elle ne tient pas compte des inégalités existantes dans la répartition des bénéfices de la vie en société entre les sujets de droit, elle ne se préoccupe pas des conditions d'exercice des droits déclarés par les textes en vigueur.

    Car l'égalité est aussi un rapport entre groupes sociaux. L'égalité sociale veut que les groupes placés dans une même situation soient traités de manière équivalente, et que seul le mérite les départage: c'est le fondement d'une politique de l' "égalité des chances". Mais l'idéal égalitaire peut encore souhaiter que les groupes formant une collectivité soient dotés, malgré leurs dissemblances, des mêmes bénéfices de la vie en société. L'égalité est alors politique, sociale et économique. Elle est dite "réelle". Nos sociétés ne connaissent pas cette égalité. C'est, et cela reste, un idéal. L'on se situe ici aux antipodes de la politique de la minorité ethnique ou de la politique de l'assimilation, c'est-à-dire d'une politique de l'enfermement dans l'altérité ou d'une politique de la négation de l'altérité qui procèdent tous deux, par-delà leur contradiction apparente, d'un même rapport social de domination par lequel les populations majoritaires dénient aux populations minoritaires un droit égal de vivre ce qu'il y a à vivre dans le territoire de résidence: être paradoxalement d'ailleurs par survenance ou par hérédité et bénéficier des avantages offerts par la société hôte, c'est-à-dire être aussi d'ici.

    La citoyenneté

    L'égalité se traduit aux niveaux civil et politique: la citoyenneté civile des populations issues de l'immigration est l'octroi à ces dernières des droits et des devoirs civils, sociaux, culturels et économiques qui caractérisent habituellement le lien de droit établi entre le titulaire de la nationalité et l'État dont il est ressortissant. On remarquera que le principe de réciprocité n'est pas utile en la matière et peut même être contre-productif tant il est vrai que la possibilité de bénéficier des avantages qu'offre normalement la vie dans la société moderne affilie l'individu à cette société et qu'ainsi il n'y a pas lieu de faire dépendre une politique souhaitable d'insertion de la conduite d'États étrangers. Plus avant, une citoyenneté pleine et entière (civile et politique) de ces populations fondera la société hôte sur le lien politique et non sur l'image mythique du "peuple" (Volk) ou de la communauté culturelle occupant à jamais un territoire donné et toujours en danger d'hybridation, d'anomie, sous la funeste influence de l'étranger. Plutôt que de s'empêtrer dans d'oiseuses considérations sur le rapport entre immigration et criminalité ou de se demander si l'intégration est un échec ou une réussite (de quoi parle-t-on?), ne conviendrait-il pas que la pensée socio-politique évite le double piège de l'essentialisme et de l'organicisme, la fascination de la pensée ethnique, et s'inscrive radicalement dans une philosophie politique de la reconnaissance de l'autre, ce qui implique, et conduit à, la réciprocité de la reconnaissance? Il nous semble que oui : cette reconnaissance réciproque qui débouche concrètement sur l'égalité des droits et des devoirs civils et politiques répond à la double question de savoir comment le bien général peut faire droit au bien particulier et comment rester soi sans écarter le commun.


    BIBLIOGRAPHIE

    Castel, R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
    Chambon, L., "Le multiculturalisme néerlandais: être tolérant malgré soi", Quaderni, n.4, 2001 - article lisible à l'adresse internet.
    Dechamps, I., "Quelques réflexions critiques à propos du couple intégration/exclusion", Contradictions, n.73, 1993, pp. 119 à 137.
    - Droit, pauvreté et exclusion, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1998.
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    - De la division du travail social, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Quadrige, 2ème éd., 1991.
    H.C.I. - Haut Conseil à l'Intégration, L'intégration à la française, Paris, UGE, 1993.
    Lapeyronnie, D., "De l'altérité à la différence. L'identité: facteur d'intégration ou de repli?", in: Dewitte, Ph. (dir.), Immigration et intégration; L'état des savoirs, Paris, La Découverte, 1999, pp. 252 et sqq.
    Mauss, M., "Les techniques du corps", in: Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Quadrige, 5ème éd., 1993, pp. 363 et sqq.
    Paugam, S. (dir.), L'exclusion. L'état des savoirs, Paris, La Découverte, 1996.
    Sayad, A., "Vieillir... dans l'immigration", Migrations Santé, n.99-100, 1999, pp. 7 et sqq.
    Simmel, G., "Digressions sur l'étranger", in: (Coll.), L'Ecole de Chigaco. Naissance de l'écologie urbaine, Paris, Ed. du Champ Urbain, 1979, pp. 53 à 59.


    NOTES

    [*] Le présent texte est une version remaniée pour la revue électronique m @ g m @ d'un article intitulé "De l'immigration à la citoyenneté" publié dans la revue belge Pensée plurielle, n.3, 2001, pp. 9 à 22.

    [1] E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique (1895), Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Quadrige, 20ème éd., 1981, p. 15 et sqq.
    [2] A. Sayad, "Vieillir... dans l'immigration", Migrations Santé, n.99-100, 1999, pp. 7 et sqq.
    [3] G. Simmel, "Digressions sur l'étranger", in: (Coll.), L'Ecole de Chicago. Naissance de l'écologie urbaine, Paris, Ed. du Champ Urbain, 1979, pp. 53 à 59.
    [4] L. Chambon, "Le multiculturalisme néerlandais: être tolérant malgré soi", Quaderni, n.4, 2001, article lisible à l'adresse .
    [5] Pour de plus amples développements à ce sujet, l'on consultera R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995; S. Paugam (éd.), L'exclusion. L'état des savoirs, Paris, La Découverte, 1996; ainsi que I. Dechamps (éd.), Droit, pauvreté et exclusion, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1998.
    [6] D. Lapeyronnie, "De l'altérité à la différence. L'identité: facteur d'intégration ou de repli?", in: Ph. Dewitte (éd.), Immigration et intégration. L'état des savoirs, Paris, La Découverte, 1999, pp. 252 et sv.
    [7] M. Mauss, "Les techniques du corps", in : Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. Quadrige, 5ème éd., 1993, pp. 363 et sv.
    [8] E. Durkheim, De la division du travail social (1893), Paris, Presses Unive ???U?rsitaires de France, Coll. Quadrige, 2ème éd., 1991.
    [9] I. Dechamps, "Quelques réflexions critiques à propos du couple intégration/exclusion", Contradictions, n.73, 1993, pp. 119 à 137.
    [10] Haut Conseil à l'Intégration, L'intégration à la française, Paris, UGE, 1993, p. 8.


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