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  • L'observation participante
    Orazio Maria Valastro (sous la direction de)
    M@gm@ vol.1 n.1 Janvier-Mars 2003

    DE L'OBSERVATION PARTICIPANTE A' L'OBSERVATION MILITANTE E VICE VERSA


    Domenico Pucciarelli

    valastro@analisiqualitativa.com
    A participé depuis le début des années 70 à de nombreuses activités et promu diverses initiatives au sein du mouvement libertaire, d'abord en Italie puis en France, et plus précisément à Lyon où il a été, entre autres, un des animateurs de la revue Informations et Réflexions Libertaires (IRL) de 1975 à 1991 et cofondateur des éditions de l'Atelier de Création Libertaire en 1979; il a publié en 1966, pour les éditions de l'Atelier de Création Libertaire, Le rêve au quotidien: de la ruche ouvrière à la ruche alternative, les expériences collectives de la Croix-Rousse (1975-1995), L'imaginaire des libertaires aujourd'hui.

    SOCIOLOGIE MILITANTE ET OBSERVATION PARTICIPANTE

    Ce dont il sera question ici seront quelques notes pour signaler un parcours possible pour la sociologie, c'est-à-dire pour quelques-uns des sociologues s'engageant dans la recherche critique concernant les modes de vie et d'actions des hommes et des femmes en société.

    En effet, à côté d'une sociologie quantitative essayant d'ordonner le monde par des statistiques et des types idéaux, d'autres formes de sociologie relevant des imaginaires individuels et collectifs tentent d'épouser la réalité en s'intéressant plutôt aux trajets de vie, aux interactions possibles et perceptibles dans l'ensemble des phénomènes sociaux dont ont veut se porter témoins.

    Si je prends un peu de mon temps pour exprimer mon point de vue sur cette question, c'est parce que j'ai connu Orazio Maria Valastro il y a plus de vingt ans alors qu'il venait de rejoindre la France parce qu'il était insoumis ce que j'avais fait moi-même quelque temps auparavant... J'ai "retrouvé" Orazio il y a environs deux ans sur la toile d'Internet un jour, tout à fait par hasard, en faisant une recherche autour du mot sociologie.

    Depuis l'âge de seize-dix-sept ans je me suis lié au mouvement anarchiste, non pas par conviction idéologique, mais en suivant un parcours qui m'avait amené à lire les poètes de la beat génération, à écouter la musique rock et copier les modèles hippies arrivant dans mon village natal par le biais de la télévision que nous allions regarder au "Dopo lavoro", une sorte de bar qui comme son nom l'indique était, théoriquement, fréquenté "après le travail"...

    Depuis, pendant une vingtaine d'années j'ai été actif dans des structures "militantes", mais je n'ai jamais pris une carte ou adhéré d'une manière formelle à aucune organisation. Les collectifs auxquels j'ai participé étaient toujours "informels", "autogérés" et avaient comme objectifs de "créer" des événements au jour le jour. La plupart des fois je me suis tout de même engagé plutôt vers un travail culturel autour d'une revue puis d'une maison d'édition. Mais j'ai participé aussi à des structures alternatives, comme un restaurant autogéré grâce auquel j'ai pu "gagner ma vie" pendant plusieurs années.

    Mon adhésion aux idées "libertaires" par ce choix d'engagement quotidien et non "idéologique", m'a permis de garder toujours un œil critique sur ce que je faisais, "nous" faisions et les relations que "nous" pouvions avoir avec "les autres".

    Un regard critique que j'ai essayé d'aiguiser pendant de longues années dans des réunions, des colloques, des courts articles ou des entretiens que j'ai publiés entre autres dans la revue IRL (Information et réflexions libertaires 1975-1990). Ces articles et le cours essai que j'ai publié en 1979 dans le livre collectif "Interrogations sur l'autogestion" concernant le travail dans un restaurant autogéré, avaient la forme et le statut d'un témoignage. Néanmoins en y regardant de plus près l'on y remarque quand même quelques signes de lucidité et un effort d'objectivation visant à restituer une histoire collective par un de ses membres.

    Ces premières tentatives de décrire ce que je faisais et comment je voyais le monde dans lequel je vivais, nous pouvons les considérer comme une sorte de "sociologie militante" n'ayant pas le souci de se faire valider par des instances exogènes. Nous écrivions de notre vécu de militant-e-s et adressions nos écrits à des militant-e-s même si l'on espérait toucher toujours le plus de "lecteurs-lectrices" possible.

    DES IMAGINAIRES INDIVIDUELS ET COLLECTIFS
    Un regard critique sur la dynamique des mouvements sociaux

    Puis, il y a une dizaine d'années, alors que j'étais "chômeur" j'ai eu la possibilité et l'envie de fréquenter le Collège coopératif. Ici, j'ai préparé un DHEPS (Diplôme des hautes études des pratiques sociales) équivalent d'une maîtrise. Sollicité par un enseignement participant et avec le souci de rendre compte des nombreuses activités relevant des alternatives sociales qui se sont développé à la Croix-Rousse depuis le début des années 1970, je me suis pris alors au "jeu" de la sociologie participante. En réalité, il ne m'a pas fallu faire un énorme effort pour me "plonger" dans "l'objet d'étude" dont je voulais comprendre la dynamique et les raisons pour lesquelles les agents qui lui donnaient "corps" s'y étaient engagés, ainsi que les moyens utilisés et la nature de leurs imaginaires, car je "participais" déjà à quelques-unes des activités.

    Par contre, il m'a fallu faire un réel effort pour chausser les lourdes lunettes du sociologue, pour "cacher" parfois mes sentiments, mes opinions, ma sensibilité vis-à-vis de tel ou telles personnes que j'allais interroger à "cause de sa représentativité" au sein du groupe auquel je m'intéressais. Car, comment vous le savez tous et toutes, le sociologue essaye d'être "neutre", mais on sait aussi qu'il restitue la réalité telle que lui l'enregistre, telle que lui l'ordonne sur ses tablettes, à partir de ses propres schémas devant coller à la réalité de la "chose" étudiée... Car cette observation "scientifique" représente la condition nécessaire, la garantie pouvant être sanctionnée par un diplôme officiel attestant le savoir et le savoir-faire du néo-sociologue...

    Je dois dire que je me suis tellement pris à ce "jeu", que dans ce premier travail "scientifique" je n'ai pas osé aller jusqu'au bout de mes idées, de mes opinions. J'ai donc consciemment "construit" un "objet" où, certes j'apportais beaucoup de mon savoir et savoir-faire militant, mais pour lequel je me servais quelque peu des "maîtres" en la matière pour justifier mon approche personnelle. Néanmoins parce que j'ai réalisé ce travail comme un défi avec moi-même, comme un moyen pour réaliser (finalement!) un travail "conséquent", "sérieux", et non pas pour obtenir un diplôme... j'ai pu utiliser de ce regard critique que j'avais aiguisé en "contestant" le monde pour "constater" "mon propre monde". J'ai pu ensuite faire des choix plus personnels dans le travail de Thèse que j'ai réalisé par la suite...

    Comment tout sociologue sait, le constat d'une réalité sociale, lorsqu'il est fait par des yeux naïfs et le seul souci heuristique du chercheur, il apporte régulièrement quelques bribes de savoir dévoilant quelque peu les stratégies, les masques et des informations qui vont déranger les démonstrations idéologiques d'une connaissance partiale et partielle. Non pas que le sociologue soit en mesure de démonter et remonter le puzzle tout entier, ni de nous restituer la réalité tout entière, ou nous dire la vérité, toute la vérité rien que la vérité...

    Son travail dans le meilleur des cas s'approche de la vérité et de la réalité, l'épouse, mais ne la représente que partiellement ou virtuellement. Tout sociologue sait aussi qu'à la fin d'une recherche, malgré la quantité de connaissances accumulées, malgré tous les efforts pour l'ordonnancer dans des comptes-rendus plus ou moins développés, les résultats officiels ou publics restent en de-ça de tout ce que l'on pourrait dire... Parfois il nous arrive même de ne pas savoir comment restituer ce que l'on croit savoir sur le monde...

    Cela s'avère d'autant plus difficile lorsqu'on se retrouve au cœur des mouvements sociaux et que tout en y participant on a envie de le faire connaître en jetant un regard critique sur sa dynamique, sur les agissements de ses agents qui comme tout en chacun ont leurs contradictions, leurs faiblesses et incertitudes.

    Dans ce cas, notre empathie originelle ou acquise au cours du travail de recherche envers ces personnes qui vont nous "servir" pour "refaire l'histoire", pour comprendre le "phénomène", nous pousse à limiter nos critiques. Mais en même temps, pour ne pas devenir une sorte de faire valoir, nous nous sentons obligés d'aller jusqu'au bout de la critique possible. Celle-ci tout en dépouillant les mythes et déconstruisant les imaginaires qui lui servent de socle culturel s'arrêtera pourtant à des considérations générales et n'essayera pas de faire œuvre de démolition systématique de tel ou tel élément du puzzle, et surtout de telle ou telle personne...

    LE SOCIOLOGUE EST TOUJOURS UN OBSERVATEUR PARTICIPANT

    Voilà une des limités de l'observation participante. Cas après une observation participante, on se pose en certain nombre de questions telles que: peut-on en quelque sorte "trahir" la bonne volonté d'un ami, d'une connaissance, d'une personne qui nous a aidé lors de notre recherche par des attitudes parfois généreuses et apparemment désintéressées? La "trahir", par exemple, en rendant public les petites mesquineries militantes que l'on connaît. Ou encore la "trahir" en rendant public des propos qu'elle nous avait "avouait", mais "hors micro", en nous demandant justement de ne pas les divulguer...

    Mais il y a encore d'autres limites auxquelles nous nous sommes affronté lors de nos recherches. En voici en exemple. Lorsqu'on participe à un mouvement on connaît tellement "bien" certains de ces aspects qu'ils deviennent des acquis "naturels" dont il ne nous semble pas nécessaire rendre compte. Alors que, certaines comportements incorporés dans un groupe y compris par l'observateur participant lui-même, pour les personnes n'ayant jamais eu des contacts avec le groupe ou le mouvement étudié, sont extrêmement importants.

    Je pense, quand même, que cette approche participante est d'un côté essentielle pour connaître certains plis, "recoins", moyens, méthodes, fonctionnements, origines des activités et de ses agents, mais qu'un travail complémentaire est essentiel pour relever, par exemple, dans un mouvement social des aspects qui lui sont particuliers et que les "militants" considèrent des choses "normales", "acquises" aussi bien du point de vue culturel que des imaginaires les dynamisants, alors qu'elles ne le sont que pour les individus et les groupes en question non pas par les "autres".

    Compte tenu de ces problèmes liés à l'observation participante, lorsqu'on s'intéresse à un mouvement auquel on participe ou on adhère ne serait-ce que symboliquement, pour que le travail du sociologue conserve les caractéristiques d'une recherche critique nécessaire et pour ne pas changer sa casquette avec celle du publicitaire, il lui faut faire des efforts pour mettre en place une adhésion distanciée. Celle-ci ne doit pas l'empêcher d'adhérer au plus près de l'objet, du mouvement, de la dynamique qui représente l'objet de sa recherche. Comme vous le voyez cela devient un véritable travail d'équilibriste. Car, je le répète l'observation participante qui est une approche intime nécessaire pour étudier un mouvement il faut la poursuivre jusqu'à certaines limites. Celles liées au besoin de s'extraire de la "réalité objective" que l'on veut reproduire sous une forme de représentation culturelle pour ne pas se laisser importer par son cours....

    Pour cela il est nécessaire, lors d'une observation participante, de maintenir ouverte une bifurcation. L'on peut et l'on doit manifester, par exemple, avec le mouvement qui nous intéresse, mais il nous faut manifester en observateur, en essayant de maintenir cet équilibre entre le regard du dedans (celui du militant) et celui du dehors (le badaud qui voit passer un cortège alors qu'il est en train de faire tranquillement ses courses).

    Tout compte fait, je pense néanmoins que le sociologue est toujours un observateur participant. Seulement qu'il a la possibilité de choisir, à partir des intérêts ou des stratégies personnelles qui sont les siennes, de rester "neutre" ou de s'engager dans un des chemins alternatifs qui nous ont offerts par la sociologie critique.

    Mon parcours qui a oscillé entre militantisme au quotidien et observation participante, m'amène à choisir à poursuivre mes recherches vers une observation militante. Celle-ci n'est pas non plus dictée par des impératifs idéologiques, mais "seulement" par ce désir du chercheur à épouser la réalité pour dévoiler la dynamique des imaginaires qui sont employés aussi bien par les individus que par les collectifs qui lui donnent corps, pour construire ou déconstruire des normes, des espaces, des lieux, des initiatives formant notre environnement, notre histoire et donc nos référents.

    Dans ce cas cette sociologie participante devient militante parce qu'elle s'engage à prendre ses distances des démarches voulant figer les mouvements, considérant les recherches sur les hommes et les femmes qui nous entourent comme des simples objets à empiler les uns sur les autres. Alors qu'elle nous offre par le biais de nos efforts de critiques indépendants et autonomes de continuer à rechercher chez les autres les imaginaires, les postures et les choix quotidiens qu'on retrouve en nous-même et vice versa.


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    M@gm@ ISSN 1721-9809
    Indexed in DOAJ since 2002

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