L'observation participante
Orazio Maria Valastro (sous la direction de)
M@gm@ vol.1 n.1 Janvier-Mars 2003
LE PARTICIPANT-OBSERVATEUR DANS L'INTERVENTION HUMAINE
Hervé Drouard
HDRO101688@aol.com
Praticien-chercheur-formateur; Docteur en Sociologie; titulaire du DECEP (diplôme d'Etat de Conseiller d'Education Populaire); Président-fondateur de l'IRASS (laboratoire de recherche mixte: praticiens et universitaires); Fondateur de l'Affûts (Association française pour des formations doctorales en travail social qui regroupe des praticiens-chercheurs du social); co-concepteur de "l'Université de pays Sèvre et Logne", région du vignoble nantais; Rédacteur en chef de la revue FORUM, revue francophone de la recherche en travail social; responsable de la commission recherche à l'AFORTS (Association Française des organismes de Formation et de Recherche en travail social).
INTRODUCTION:
PRATICIEN/EXPERT/MILITANT
Le paradoxe de l'Education émancipatrice: vers la praticienneté
" ... L'héritage paradoxal des Lumières pourrait se formuler ainsi:
il revient de droit aux praticiens de quelque chose de s'ériger en
théoricien de cette pratique, aux militants de rendre raison de leur
adhésion ... ".
"Mais d'autre part, ce discours de la générosité émancipatrice
dont la révolution française va prendre, au long des siècles, l'allure
de plus en plus assurée d'une entreprise multiforme au sein de laquelle,
sortis des rangs des émancipateurs, rivalisent des chargés d'affaire,
véritables connaisseurs et bientôt dépositaires exclusifs du savoir
sur l'émancipation. Leur point commun au sein même de l'irréductibilité
de leurs propos est d'ériger en véritable paradigme de la connaissance
sur les choses humaines qu'elles sont bien des choses, que l'action
des acteurs n'est saisissable que par sa réduction méthodique à l'agencement
des agents, que les intéressés sont les derniers à pouvoir être qualifiés
pour parler de ce qui les intéresse, que le lieu de l'homme est radicalement
autre mais qu'il est, sous certaines conditions, explorable par qui
en a reçu qualité. Emanciper devient l'apanage professionnel des sociologues,
psychanalystes, socianalystes, sociolinguistes, etc.".
HAMELINE Daniel, 1985, in DU DISCOURS A L'ACTION les sciences
sociales s'interrogent sur elles-mêmes (sous la direction de BOUTINET
J.P., Paris, l'Harmattan, Logiques Sociales).
Je partirais de ce texte de Daniel HAMELINE, Professeur honoraire
de l'université de Genève, grand pédagogue et "pédologue", s'il en
fût, on me pardonnera ce néologisme qui m'évite d'employer le terme
toujours tabou en France de "praxéologue".
Les sciences humaines ont été obligées d'inventer récemment le terme
et la technique "d'observateur-participant" parce qu'on avait mis
l'observateur hors du monde et créé le chercheur professionnel alors
que depuis le début des choses le participant s'est fait observateur
(sans quoi nous ne serions pas là) et chaque petit d'homme refait
consciencieusement le parcours sinon personne pour écrire et lire
aujourd'hui quoi que ce soit!
Adam et Eve que font-ils au jardin d'Eden? Les petits d'homme que
font-ils au début de leur vie? Ils observent (au deux sens du terme:
observance et observation) leur corps et son environnement et la loi
fondatrice de l'humain, l'interdit de la toute-puissance et de la
toute-jouissance. Jusqu'à ce qu'un tiers vienne aiguiser leur curiosité,
pousser aux limites, à la transgression "vous serez comme des dieux,
vous connaîtrez tout et vous pourrez tout" [1].
Comment résister à un tel appel? La curiosité-aiguillon apporte en
effet et pour toujours la connaissance, la conscience du vrai et du
faux, du bien et du mal, de l'évident et du caché, du transparent
et du secret. Elle découvre et décachette indissociablement ce qui
m'est utile et ce qui me fait mal, ce qui trompe et fait souffrir
l'autre. Elle s'inquiète du mystère des origines monstrueusement aléatoires.
Tout homme est donc participant et observateur de sa vie et
du monde pour exister, survivre, grandir. Dans le même mouvement,
il observe les faits et les apprécie (là encore le mot a gardé
sa double signification avec ses connotations morales et plutôt
négatives: on n'aime guère recevoir des "observations"). Mais
il y a des degrés, des modalités, des orientations, des inclinations,
des choix. La société valorise aujourd'hui, soi-disant pour
l'efficacité! la curiosité productive, super-orientée, le
savant ignare et sans conscience morale. Je prétends qu'il
est temps de rétablir chaque homme dans sa dignité de praticien-chercheur-enseignant
dans tous les domaines de sa vie et particulièrement dans
cette partie essentielle qu'est le métier, la profession.
Nous développerons donc successivement: 1) Pourquoi la participation
d'abord? 2) Pourquoi et comment une "observation scientifique"?
3) Pourquoi et comment des praticiens-chercheurs?
1) TOUS PARTICIPANTS ET TOUS OBSERVATEURS
Pourquoi la participation d'abord et au début de tout? Mais impossible
à détacher de l'observation au point qu'il vaudrait mieux parler de
"participation-observation" ou de "participation par l'observation"?
Parce que c'est la vie même, condition de la survie, de notre développement
physique, intellectuel, moral. Dès notre premier instant, notre corps
"observe" la loi de ses gènes et le bain de son environnement physico-chimique
et affectivo-culturel qui vont le constituer individu unique, fort
ou faible, curieux de ceci ou de cela, plus chercheur ou plus cherché.
J'estime avoir eu la chance (mais combien d'autres encore plus que
moi!) d'avoir pratiqué plusieurs métiers, d'avoir vécu dans des lieux
très variés, d'avoir réalisé ou dirigé des recherches très nombreuses
et sur des objets très divers. Je ne peux énumérer cet inventaire
à la Prévert mais je crois important de donner quelques indications
pour montrer l'importance de l'implication, la productivité du couple
"participant-observateur". Dans l'ordre chronologique et pour les
métiers d'abord: enfant-vacher, moniteur de colonie de vacances ou
de patronage, travailleur à la chaîne en usine, "gardien de foyer
nord-africain", matelot-secrétaire dans la Royale (Marine Nationale),
Directeur d'une école primaire à classe unique, animateur socio-culturel
d'enfants ou de jeunes ou d'adultes de divers milieux, navigant au
Commerce (aide-cuistot), peseur et compteur sur le port, gardien de
bateaux, chercheur sur le terrain, chercheur en laboratoire, enseignant-chercheur
à la faculté de sociologie d'Alger, formateur-chercheur dans un centre
de formation au travail social, en même temps que chargé de cours
dans plusieurs universités, formateur en formation continue pour plusieurs
métiers et à des niveaux différents, concepteur d'un dispositif d'initiation
et de formation par la recherche, Rédacteur en chef de Forum, revue
de la recherche en travail social.
Pour les lieux de vie: villages et bourgs très ruraux, quartiers de
grandes villes portuaires ou non, centres ville ou banlieues, ex-village
colonial collé à une cité mixte (coopérants de plusieurs pays et travailleurs
algériens).
Chaque ensemble professionnel ou chaque installation nouvelle oblige
à une adaptation, une remise en cause et en distance qui aiguise la
sensibilité et l'observation du nouvel environnement. Tous les sens
sont aux aguets, toutes les informations ont besoin d'être décodées,
classées, traitées pour élaborer des réponses correctes et satisfaisantes
pour les uns et les autres. Nul besoin de techniques d'observation,
de méthodes formalisées, d'hypothèses formulées: tout fonctionne dans
l'inchoatif et, selon les personnalités, le temps est plus ou moins
long pour se retrouver comme un poisson dans l'eau et se faire admettre
comme un pair.
2) POURQUOI ET COMMENT UNE OBSERVATION "SCIENTIFIQUE"?
On aura compris que nous avons parlé jusqu'ici de l'observation spontanée,
vitale, fondamentale, partagée, commune. Comment s'est imposée l'idée
qu'il y avait de meilleurs observateurs, qu'on pouvait apprendre à
mieux observer, que la curiosité naturelle pouvait s'aiguiser plus
encore et se concentrer sur des questions particulières et amener
ou pas à des actions nouvelles. Toutes les civilisations connues se
sont construites sur le partage des arts et des techniques que certains
ont initiés, enseignés, commandités et le plus grand nombre mis en
oeuvre anonymement.
Le démon de la curiosité a poussé Prométhée à s'emparer du feu du
ciel, Noé à faire du vin et un bateau-monde, Imothep à concevoir des
pyramides et Ptolémée à placer les astres dans le ciel. L'observation,
l'expérimentation, la notation - dès que l'écrit a été inventé - ont
mis à distance, en doute les certitudes admises, les rites transmis
et renouvelé et généralisé des pratiques nouvelles. Des noms, des
personnalités de légende ou d'histoire émergent donc qui vont inciter
d'autres hommes à poursuivre, à parfaire le travail: des lignées de
savants se lèveront à chaque génération.
Les classes des savants-inventeurs, des artisans-réalisateurs, des
apprentis et apprenants en tous genres, des simples exécutants vont
s'en donner à cœur joie, se classant, se surclassant, se déclassant;
classant leurs savoirs, l'accumulant comme un trésor, le cachant aux
non-initiés. Car le savoir donne pouvoir, honneur, argent, prestige
à la mesure de son origine qu'on a intérêt à tenir pour divine, secrète,
réservée, non communicable au commun des mortels. Qui croit détenir
les lois du monde domine les autres humains.
L'idée que ce savoir accumulé par quelques-uns doit être partagé à
tous a mis beaucoup de temps à germer. Hormis un type de savoir, soi-disant
essentiel et utile aux ignorants: celui qui permet à chacun d'accepter
sa condition, de rester à sa place, d'obéir aux puissants qui savent;
le savoir religieux minimum qui enracine dans le sacré et l'insondable,
le vrai à croire et le bon à faire pour les autres ici et maintenant
(et pour un salut personnel hypothétique dans un au-delà incertain!).
Quand les conditions de la circulation ont été créées, l'aspiration
à apprendre autre chose que l'imposé ou le directement utile s'est
répandue et les possibilités d'acquérir se sont multipliées; il n'y
a pas si longtemps et pas encore pour chacun, loin s'en faut! Que
s'est-il passé aussitôt? De nouveaux "clercs" ont décidé ce qui pouvait
être enseigné, à qui et selon quelles modalités. Ils ont édicté comment
on construisait les savoirs, on les formalisait et faisait reconnaître;
qui étaient légitimes pour cela et pouvaient parler et ceux qui n'avaient
rien à dire.
Et c'est ainsi que d'autres monopoles ont surgi, d'autres chiens de
garde, d'autres classements: des types de savoirs fondamentaux, supérieurs,
ou des inférieurs; des valorisés ou des méprisés, des nobles ou des
roturiers. Des hiérarchies subtiles entre des formations, des métiers,
des écoles; et à l'intérieur, des niveaux et des degrés à l'infinie.
Bien sûr que la recherche et l'enseignement méritent d'être des vrais
métiers! Que des techniques se sont affinées; des procédures, des
méthodes ont peu à peu démontré leur efficacité pour expliquer et
comprendre; que des disciplines doivent s'installer garantissant rigueur,
accumulation, progression!
Mais en durcissant certaines positions, par exemple, la rupture épistémologique,
ou l'obligation du découpage de l'objet, de son isolation, de la distance
maximum, on a oublié, surtout dans les sciences humaines et sociales
que le sujet est toujours impliqué, que le chercheur fait partie du
monde dans lequel il cherche, qu'il a toujours un rapport, plus ou
moins secret, un intérêt ou un compte à régler, un enjeu personnel.
L'objectivité annoncée, promise, se révèle souvent un leurre, une
illusion; la subjectivité déniée, refoulée, un atout.
A quelles conditions la proximité, la connivence, l'expérience de
l'objet peuvent apporter des compréhensions, des harmoniques, des
complexités nécessaires avant toute tentative d'intervention contrôlée
sur l'objet et son environnement? A contrario, de quoi se privent
les chercheurs-experts qui prônent la méfiance systématique vis-à-vis
des praticiens forcément immergés dans leurs routines, leur auto-justification,
leur corporatisme conservateur? Qui est le plus conservateur et intéressé
à préserver les privilèges accolés à son expertise?
Heureusement, se lèvent toujours, parmi les "vrais" savants, des chercheurs
passionnés qui avouent la modestie de leur savoir, qui se soucient
de tous les points de vue, qui mobilisent et associent tous les acteurs,
partagent leurs doutes et hypothèses, leurs techniques et leur savoir-faire.
Je ne serai jamais assez reconnaissant à mes maîtres à penser et à
chercher qui m'ont appris patiemment et sur le terrain l'oscillation
permanente entre le près et le loin, le microscope et le panoramique,
le juste équilibre et la bonne distance. J'étais encore animateur
en milieu maritime quand mon organisation employeur décide de commanditer
une vaste étude sur "l'univers du marin français". Le directeur de
recherche, parisien mais d'origine haïtienne, au lieu d'embaucher
une armée de sondeurs plus ou moins formés et polyvalents a eu l'idée
de mobiliser et de former le plus possible de personnes, praticiens
ou en proximité avec les marins de la pêche ou du commerce; de les
associer à l'ensemble du processus de recherche: monographies préalables,
- soit de villages côtiers, de ports, de bateaux, de biographies ou
généalogies - interviews en profondeur de différents types et grades;
analyses en groupe, construction d'hypothèses, élaboration de questionnaires
sur l'ensemble des thèmes intéressants, passation, dépouillement;
seule, la rédaction a été confiée à une équipe restreinte dont les
membres (j'en étais) s'étaient formés sur le tas en participant à
l'ensemble. Je n'avais pas fait d'études en sociologie et comme beaucoup
à cette époque dans le secteur du travail social (les années 60),
j'étais plutôt attiré par le psychologique, le relationnel.
Ces trois années de travail sur le terrain m'ont appris le métier
de sociologue et de psycho-sociologue. Les 3années de faculté ensuite
ont seulement mis en place les concepts déjà manipulés et ouverts
d'autres horizons. Je n'ai jamais oublié la double leçon tirée de
cette expérience: la primauté de la pratique, de l'immersion dans
l'objet et la continuité entre l'action et la recherche. La pensée
naît de l'action, de la manipulation des objets et cette évidence
pour le bébé demeure pour l'adulte. Dans mon métier d'enseignant ou
de formateur, j'ai toujours associé et alterné terrain et théorisation;
conçu un dispositif de formation par la recherche; rapproché consignes
et mises en application; fait choisir des thèmes motivants et implicants,
promu une recherche "en pratiques", en soins infirmiers, en travail
social, en formation, ... .
3) POURQUOI ET COMMENT DES PRATICIENS-CHERCHEURS-DIFFUSEURS?
Affirmer que tout praticien de quelque chose - et qui ne le serait
pas? - peut et doit accéder à la recherche et à la transmission de
ses savoirs apparaît à la plupart des gens sérieux comme une galéjade.
Même après l'invention de la VAE, validation des acquis de l'expérience
par l'université. Comment un béotien, englué dans l'action quotidienne
pourrait entrer en concurrence avec un savant qui consacre sa vie
à s'informer, à observer, à écrire?
Pourtant de grands penseurs comme Marx, Bachelard [2],
Paul Valéry ont rêvé que chacun puisse apporter sa pierre au savoir
universel, à partir de sa position vitale, famille, habitat, profession,
engagements divers. Oui, l'expérience apprend, l'expérience construit
du savoir et du faire-savoir. Quel genre d'apport spécifique et essentiel?
Et à quelles conditions?
Les mêmes qui vont dénoncer les technocrates qui prennent des décisions
souvent forcées, inadaptées à la complexité de la situation parce
qu'ils ne connaissent rien au terrain, n'ont pas la compréhension
intime des réalités, refusent justement aux praticiens le droit d'apporter
cet éclairage de l'intérieur, forcément multi-référentiel et transdisciplinaire,
nécessaire à l'action. Quand un praticien (par exemple un travailleur
social) se fait étudiant, et propose un objet par trop enraciné dans
sa pratique et orienté vers une transformation de celle-ci, son directeur
de recherche va le tirer vers l'orthodoxie mono-disciplinaire que
lui maîtrise. Qu'il soit le pédagogue du détour théorique, de la multiplicité
des points de vue, de la mise en distance temporaire, soit! c'est
son travail! Mais qu'il arrive à persuader l'étudiant qu'il faut faire
table rase de son passé, de son implication, de son expérience, de
son souci de l'action à améliorer, n'est-ce pas un assassinat? Un
crime contre des professions qui ont, toutes, besoin de chercheurs
"endogènes" (issus des rangs professionnels) pour progresser, se faire
reconnaître, défendre leur utilité sociale.
Au niveau de la diffusion et surtout de la vulgarisation dont on sait
qu'elle manque cruellement parce que les savants n'ont besoin que
de publier dans les revues scientifiques et qu'ils savent rarement
traduire en langage accessible au tout-venant les résultats de leur
recherche, les praticiens-chercheurs sont bien placés - s'ils refusent
de jouer au nouvel abscons! - pour expliquer simplement leur démarche
et leurs conclusions. C'est à eux de lancer et d'alimenter les revues
de vulgarisation. Paradoxalement, ces dernières semblent peu rentables
et peu prestigieuses. Nous n'avons l'expérience que du secteur social.
Nous avions lancé une revue régionale "Action Sociale en Auvergne"
qui permettait de valoriser les recherches faites par nos étudiants,
dans le cadre de leur initiation; ou celles faites par les praticiens
sur leur terrain, à l'occasion de formations continues ou de nécessité
de leurs services. Chaque groupe de recherche ou chaque auteur apprenait
ainsi à rédiger une note de synthèse ou un article de vulgarisation
destiné à leurs collègues ou à la population concernée par l'étude.
Les impératifs financiers et surtout l'investissement demandé au rédacteur
en chef, le manque de foi en cette action de longue durée chez les
financeurs ont eu raison, au bout de 5 ans, de cette tentative, au
moment où je partais en retraite.
La revue FORUM [3], de dimension nationale
et de parution trimestrielle, lancée, il y a trente ans par le Comité
de liaison des centres de formations supérieures ou continues en travail
social et qui s'était donné progressivement les mêmes objectifs survit
toujours avec difficulté. Elle vient de fêter son centième numéro
intitulé "Construire les savoirs professionnels du travail social".
Bien qu'il soit difficile de mesurer son lectorat: elle aboutit surtout
dans les centres de formation ou les organismes où elle peut être
consultée par de nombreux étudiants et praticiens, sa rentabilité
a du mal à être assurée et les gestionnaires ne semblent pas avoir
le feu sacré pour chercher et trouver les solutions satisfaisantes.
Pourtant si l'on se réfère aux dernières orientations du CNRS, il
semble que les choses sont en train de bouger dans le sens que nous
préconisions depuis longtemps, et sur de nombreux points relevés ici:
enjeux de la recherche, liaisons avec les acteurs, transdisciplinarité
- en écho aux différentes sortes de "constructivistes" qui prônent
une approche holistique et non atomistique. On nous pardonnera donc
en guise de conclusion et de prospective de citer longuement des extraits
de ce document et de souligner quelques passages.
EXTRAITS DU SCHEMA STRATEGIQUE DU CNRS 2002 [4]
(Texte complet à: https://www.cnrs.fr/Strategie/DocPDF/Projetetab.pdf.
Sélection faite par J.L.Le Moigne, 30 juin 2002, extraite des 14 premières
pages du document.)
"Les distinctions classiques méritent d'être repensées."
"Le premier registre est celui de la distinction entre 'recherche
fondamentale' et 'recherche finalisée' ".
"Voir la recherche non comme un espace distribué en différents secteurs,
plus ou moins étanches les uns aux autres, mais comme un espace intégré
d'activités.
Les différents champs de savoir ne se développent pas 'hors contexte':
ils entretiennent des relations étroites avec des savoir-faire, des
moyens de production, des lieux et des intérêts multiples qui
contribuent à les modeler et à orienter leur développement qui résulte
ainsi du croisement de plusieurs logiques de production et d'appropriation
du savoir, dont les logiques instrumentales font partie.
Les scientifiques ne sont ni les seuls intervenants, ni les seuls
juges dans ce champ de pratiques. Ils savent par exemple que leur
activité est de plus en plus tenue de se développer dans des directions
et selon des temporalités qui sont influencées, sinon prescrites,
par des exigences sociales, politiques et économiques.
La démarche de recherche se trouve ainsi conduite à incorporer,
de façon délibérée et explicite, la prise en charge de ses propres
débouchés sur le terrain de l'action, et elle en accompagne les effets
'retour' sur le terrain de la connaissance.
Mais, il est essentiel, réciproquement, de prendre en compte les attentes
et réponses de l'environnement dans la construction des objets du
travail de connaissance.
Cette situation ne change pas la nature du processus d'élaboration
des connaissances en tant que tel, mais elle déplace les repères traditionnels
permettant de distinguer entre une recherche soucieuse en principe
exclusivement d'avancée théorique et une recherche orientée vers des
implications plus directement pratiques: en fait, il faut voir
la recherche non comme un espace distribué en différents secteurs,
plus ou moins étanches les uns aux autres, mais comme un espace intégré
d'activités.
Le second registre, est celui de la distinction entre les 'priorités
théoriques' de la connaissance et les 'outils de la recherche'. En
ouvrant le champ des possibles, se renouvellent les méthodologies,
et donc les problématiques de la recherche.
La définition des thématiques de recherche est désormais de plus en
plus dépendante des choix faits en matière d'infrastructures de recherche.
Il n'est plus possible de penser celles-ci comme le domaine de l'intendance,
par nature seconde et subordonné par rapport aux choix qui engagent
l'avancée de la connaissance.
Les sciences du vivant, les sciences et technologies de l'information,
les sciences de l'environnement, la physique et l'astrophysique aussi
bien que les sciences de l'homme et de la société vont se construire
de plus en plus à partir des données nouvelles que les plates-formes
technologiques leur permettent de constituer. Celles-ci, en ouvrant
le champ des possibles, renouvellent les méthodologies, et donc les
problématiques de la recherche autant que ses modes d'organisation,
à l'échelle nationale et internationale.
Le troisième registre, et probablement le plus fondamental, est celui
de la distinction entre des disciplines distinctes, assignées à des
'champs' et à des 'méthodes' spécifiques et disjoints, au moins relativement,
les uns des autres.
Une série de repères fondateurs de la pensée et de l'action se trouvent
au aujourd'hui bousculés par l'avancée des connaissances.
Les grands secteurs de l'innovation scientifique se situent définitivement
à l'intersection de plusieurs espaces disciplinaires dont ils font,
du même coup, voler en éclats les frontières traditionnelles.
Ainsi le champ des sciences et technologies de l'information et de
la communication, qui se constitue non seulement dans une dynamique
des sciences de l'information et des systèmes, mais aussi dans l'association
des sciences humaines et sociales, des sciences du vivant, des sciences
cognitives ou des nanosciences, illustre parfaitement ce mouvement
de transdisciplinarité (on pourrait dire la même chose du secteur
de l'éducation ou du secteur social).
De façon plus générale, le développement de nouveaux secteurs de connaissance
à l'interface des disciplines ne laisse désormais de côté aucun département
scientifique.
La construction coopérative d'objets transdisciplinaires doit notamment
permettre de redonner toute leur place aux sciences humaines et sociales,
au-delà d'une simple contribution aux autres secteurs de la recherche
en termes d'humanisation de la science.
En effet, l'intervention de ces sciences dans le processus interdisciplinaire
ne concerne pas seulement les 'enjeux sociaux' de la science, ni les
'implications des nouvelles technologies'. Elle entre de plain-pied
dans la construction des objets de recherche eux-mêmes, dès lors qu'une
série de repères fondateurs de la pensée et de l'action se trouvent
aujourd'hui bousculés par l'avancée des connaissances".
NOTES
[1] Genèse 2,5 - On rappellera que
le verbe 'connaître' en hébreu veut dire aussi bien nommer
les choses, pénétrer leur intimité (coucher avec sa femme),
s'en emparer et en jouir.
[2] Bachelard G. - 1935, le nouvel
esprit scientifique.
[3] Forum, Revue de la recherche en
travail social, aforts@aforts.fr.
[4] Nous renvoyons au Compte rendu
de l'Université d'été de Nantes, septembre 2002 qui rassemblait
Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne, Jacques Ardoino, Marcel
Jollivet et alii.
REPERES BIBLIOGRAPHIQUES
Outre ces grands noms et leurs nombreux ouvrages et articles, nous
ajoutons quelques repères bibliographiques sur les éléments que nous
avons traités.
BOUQUET B., DROUARD H., DUCHAMP M., 1989 La recherche en travail social,
Centurion.
DROUARD H., LEGROS M., PASCAL H., 1991, Sociologie et intervention
sociale, Centurion.
Collectif, 1999, Praxéologie et recherche en travail social, contribution
à un débat, édit. ONFTS; article de H.Drouard "Pourquoi une praxéologie?"
pp 11 à 20.
MACKIEWICZ MP., (sous la direction de), 2OOO, Praticiens et chercheurs,
parcours dans le champ social, (préface de H.Drouard), L'Harmattan.
Participation au "Manuel d'initiation à la recherche en travail
social", 1997, ENSP.
Recueil de poèmes: "N'empêche pas la musique" Editions St Germain
des Près.
- "Chansons d'amour et d'insomnie", La Nouvelle Proue.
Romans: "Le Galopeur", éditions Odyssée.
- "Les Chercheurs" (en cours d'édition).
Articles parus dans de nombreuses revues scientifiques ou de
vulgarisation.
"Stratégie de développement régional de la recherche en travail social",
Produire les savoirs du travail social, actes du 3ème colloque de
la recherche en travail social, Comité de liaison des centres de formation
permanente et supérieure en travail social, 1987.
"Vers un doctorat en travail social", Prospective et travail social,
actes du colloque de Toulon, Université du Var, 7 & 8 oct. 1993.
"Problèmes de discipline professionnelle", Agora, débats/jeunesse
n.5, L'Harmattan, 1996.
"Construction des savoirs par les praticiens-chercheurs", Programa
intensivo Erasmus E-4071 "La construccion y transmision de los saberes
en el trabajo social", Universidad de valencia, Juin 1997.
Recensions régulières des livres ou recherches portant
sur le social dans "Bulletin du livre en français" e.net (BCLF)
et Journal de l'Action Sociale https://lejas.com.
newsletter subscription
www.analisiqualitativa.com